Comment Retailleau crée une crise diplomatique avec l’Algérie au service de ses ambitions présidentielles


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Bruno Retailleau
Bruno Retailleau

En orchestrant une stratégie de tensions avec l’Algérie, le ministre de l’Intérieur se positionne en opposition à Emmanuel Macron et se place pour l’élection présidentielle de 2027. Mais au prix de risques considérables pour les citoyens franco-algériens, les relations bilatérales et les intérêts économiques français.

La présidentielle de 2027 projette déjà son ombre sur l’échiquier politique français. Bruno Retailleau, actuel ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de François Bayrou, sous la présidence d’Emmanuel Macron, pense avoir trouvé avec la question algérienne une opportunité stratégique pour se positionner. Officiellement membre du gouvernement, il multiplie pourtant les prises de position qui entrent en contradiction frontale avec la ligne de l’Élysée et s’implique, hors de toute logique gouvernementale, sur les dossier de Jean-Noël Barrot, le Ministre des Affaires étrangères.

L’Algérie comme levier d’opposition conservatrice

L’incident diplomatique de ce samedi, concernant le refoulement de l’épouse de l’ambassadeur d’Algérie au Mali, illustre parfaitement cette stratégie de rupture. Algérie Presse Service a dénoncé cet acte qui contrevient à la Loi internationale et qui avait clairement comme objectif d’attiser le conflit.

Alors qu’Emmanuel Macron privilégie l’apaisement et réaffirme son attachement aux accords migratoires de 1968, Retailleau incarne la ligne dure d’une droite déterminée à rompre avec ce cadre historique, sans chercher à en comprendre les fondements. Cette posture trouve un écho chez le Premier ministre François Bayrou, qui avait menacé Alger d’un ultimatum sur la renégociation des accords migratoires, avant que l’arbitrage présidentiel, rendu depuis le Portugal, ne douche les espoirs des partisans d’une politique plus restrictive.

En se positionnant en opposition à Macron sur ce sujet sensible, Retailleau courtise délibérément un électorat de droite et d’extrême droite en attente d’une fermeté accrue sur l’immigration et les relations avec les anciennes colonies. Cette manœuvre politique est amplifiée par le JDD, sous contrôle de Vincent Bolloré et proche des sphères d’extrême droite, qui n’hésite pas à affirmer que Macron aurait « capitulé devant l’Algérie » – une rhétorique qui sert parfaitement les ambitions de Retailleau.

Une démission calculée en perspective

La question n’est plus de savoir si, mais quand Retailleau quittera son poste ministériel. Une démission lui permettrait de prétendre avoir été entravé dans ses projets de réformes et de s’affranchir des contraintes gouvernementales pour préparer une candidature présidentielle assumée. Ce faisant, il consoliderait son image d’homme de droite intransigeant, positionnement idéal pour incarner une alternative tant aux macroniste qu’à Marine Le Pen.

Son atout majeur réside dans sa capacité à se placer à l’intersection des attentes des républicains conservateurs et d’une partie de l’électorat lepéniste. Retailleau combine un autoritarisme régalien avec un libéralisme économique revendiqué. Dans cette configuration, son hostilité envers l’Algérie s’inscrit dans une stratégie électorale éprouvée : mobiliser le ressentiment post-colonial et les inquiétudes migratoires pour s’imposer comme le champion incontesté de la droite dure.

Un coût diplomatique et humain considérable

Cette stratégie électorale s’annonce particulièrement périlleuse, non seulement pour son promoteur mais surtout pour les relations franco-algériennes et les intérêts français. En instrumentalisant les tensions bilatérales, Retailleau fait peser un risque sérieux sur les 900 000 citoyens franco-algériens, potentiellement otages de ces manœuvres politiques. Ces derniers pourraient se retrouver victimes de restrictions de circulation ou de complications administratives résultant de cette escalade diplomatique.

L’économie française n’est pas épargnée par ces calculs électoraux. Les échanges commerciaux avec l’Algérie, qui représentent plusieurs milliards d’euros annuels, pourraient subir de plein fouet les conséquences d’une détérioration des relations diplomatiques. Les entreprises françaises implantées en Algérie, notamment dans les secteurs stratégiques comme l’énergie ou les infrastructures, risquent de voir leurs positions fragilisées au profit de concurrents chinois, italiens, turcs ou américains, déjà à l’affût d’opportunités pour supplanter l’influence française.

Si cette stratégie peut s’avérer politiquement rentable à court terme, en séduisant un électorat en quête de fermeté, elle hypothèque gravement les intérêts français à long terme. Le prix de ces ambitions personnelles sera payé par les 900.000 binationaux franco-algériens, par les entreprises françaises implantées au Maghreb, et par l’influence diplomatique de la France en Afrique.

Retailleau semble ainsi prêt à sacrifier sur l’autel de sa carrière politique non seulement les relations avec Alger, mais aussi la prospérité économique et le rayonnement international que la France a mis des décennies à reconstruire après la décolonisation.

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