Les autorités béninoises ont décidé de rapatrier au pays ses œuvres culturelles dispensées dans le monde et singulièrement en France. Cette décision certes légitime, est-elle réellement crédible ?
Dans son article, Sams-Dine Adamou, analyse les aspects juridique et opérationnel entourant le retour hypothétique des œuvres culturelles béninoises de l’étranger. D’abord il constate que l’environnement juridique doit évoluer et que le processus sera contraint aux procédures de l’UNESCO. Ensuite, l’auteur insiste sur le fait que pour accueillir de telles œuvres, il faudra mettre à niveau les musées ou espaces susceptibles d’exposer et stocker ce patrimoine. Ainsi, il ne suffit pas de déclarer, il faut voir le processus dans son ensemble.
Février 2016, alors que la campagne présidentielle battait son plein, Lionel Zinsou était en visite à Abomey, cité historique symbole de la pénétration et de la domination française. Accueilli par une foultitude de curieux, le candidat savait quoi servir pour captiver. La question du rapatriement des biens culturels s’invite ainsi dans le débat national. Quelques mois plus tard, c’est à travers une envolée de parole du ministre Pascal Irénée Koukpaki, que les journalistes vont apprendre que le Président Patrice Talon tenait à réaliser la promesse de son challenger ; et que la France serait déjà officiellement saisie.
Mais les autorités ont-elles une idée de ce qu’elles réclament à la France ? Disposent-elles d’un inventaire de ces objets ? Certaines sources font état de masques, de bijoux, de bas-reliefs, des trônes entiers (trône de Glèlè), des statuettes (statue du Roi Guézo), des portes sacrées du palais d’Abomey, des bâtons de commandement utilisés par les Rois appelés Sceptres, de la statue du dieu Gou. Jusque-là, aucune source officielle ne renseigne avec exactitude sur les objets et leur localisation précise en France, en dehors de ceux du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris. Réclamer. Est-ce une priorité ?
Le caractère identitaire béninois du patrimoine culturel en exil est sans équivoque. Toutefois, des mesures préalables s’imposent pour revendiquer sa propriété. En effet, le Bénin ne saurait rapatrier son patrimoine culturel sans le couvert d’un instrument juridique international dont seul l’Unesco en est le dépositaire. La Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, adoptée lors de la 16ème session de la Conférence Générale de l’Unesco, tenue du 12 octobre au 14 novembre 1970 à Paris, est l’arme principale dont dispose les autorités béninoises pour mener cette conquête. Près de cinq décennies après l’adoption de cette convention, le Bénin ne l’a pas encore ratifiée et donc ne peut pas s’en servir.
Par ailleurs, vu la richesse de sa culture et le glorieux passé matériel de ses souverains, le Bénin est un pays culturellement industrialisable. Et pour réussir cette industrialisation culturelle, le Bénin est appelé à mettre en place un corpus législatif qui protège et valorise son patrimoine culturel d’une part et d’autre part, un document de stratégie pour le développement du secteur. Car la ruée vers les objets historiques accroit de plus en plus leur trafic illégal. Si la volonté des dirigeants est fondée, il s’avère important pour le gouvernement, de se doter de moyens législatifs et de faire ratifier par le Parlement, la convention sus-indiquée. En son article 4, cette convention émet des directives pour effectuer le rapatriement de biens culturels. En vertu de l’article 7 de cette convention, la France, patrie débitrice coopérerait mieux. Sans ces préalables, toute action présente serait vaine et toute intention future ne sera que pure démagogie.
Le retour au bercail devra alors suivre les recommandations de l’Unesco. Les objets devront être accueillis dans un cadre adéquat : infrastructures adaptées, personnel qualifié, sécurité assurée, conservation et mise en valeur minutieusement préparées. Cela revient à construire un musée dont les caractéristiques répondent à celles des musées de type moderne, à l’équiper de matériels convenables, et à veiller à ce qu’il soit animé par des gens formés spécialement pour ça et dévoués. Ensuite, il faut commettre un architecte des musées, des muséologues et autres professionnels du domaine, pour réaliser des études minutieuses de chacune des composantes du projet. Tout ceci a un coût qui pourrait être difficile à supporter par l’Etat, au vu de ses nombreuses charges régaliennes. D’où la nécessité d’explorer des pistes de partenariats culturels, qui prennent en compte l’ensemble des musées nationaux et tout le patrimoine culturel national. La première loi votée sous le gouvernement actuel du Bénin est la loi sur les Partenariats Publics-Privés. Elle semble ici opportune, car un bien culturel révélé, c’est d’importantes devises générées, du point de vue de l’intérêt de plus en plus manifesté par les touristes et les scientifiques. Par ailleurs, au sein de ce musée, pourront se développer d’autres activités connexes rentables, notamment l’artisanat. La valeur ajoutée est double : le bénéfice pécuniaire pour l’entrepreneur culturel et pour l’Etat, l’impact sur la création d’emplois.
Réclamer son patrimoine culturel en exil ? Oui, mais il faut baliser le terrain d’abord. Il faut organiser minutieusement un bon retour au bercail. Pour cela, l’Etat doit se doter de lois nationales qui protègent le patrimoine culturel et de politiques qui le développent, se mettre en règle juridiquement vis-à-vis du droit international et confier le reste du processus à un ou groupe de privé (s) spécialisé, tout en lui assurant des garanties et un accompagnement officiel. Pour que le Bénin, terre natale de ces richesses culturelles, ne devienne pas un mortel asile. Dans l’attente, la porte de leur retour reste encore fermée.
Sams-Dine Adamou, écrivain béninois.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.