Comment le nouveau président français pourrait faire évoluer les relations avec l’Afrique


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Les électeurs français se désintéressent-ils vraiment de l’Afrique ? La scène se passait dans un café parisien. Les clients avaient les yeux braqués sur l’écran : il y avait, comme de saison, un débat télévisé sur les élections. Puis, la question du vote des étrangers fut soulevée. Alors, un consommateur, type « français moyen », fit la réflexion suivante : « Je pense que les Africains, même ceux qui sont là-bas doivent participer au vote en France. Ben oui, c’est nous qui leur imposons leurs dirigeants, il faut bien qu’ils participent eux aussi au choix de notre président. Ce ne serait que justice ! ».

L’ Afrique est pratiquement absente des discours des candidats et des programmes des médias, sauf indirectement, et de façon plutôt négative, sous l’angle de la question de l’immigration. Pourtant l’état réel de l’opinion française va à l’encontre de ce présupposé selon lequel l’Afrique n’est pas un sujet politique important. Dans une intervention à la conférence-débat organisée par l’ONG OneVote2012, le 4 avril, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris), M. Jean-Daniel Lévy de l’institut de sondage Harris-Interactive, a communiqué les résultats suivants :

— Seuls 18% des sondés demandent une diminution de l’aide au développement (eh oui : à peu près le score de Marine Le Pen au premier tour des présidentielles !).

— Sur la place de l’Afrique et des pays en développement dans les thèmes de campagne et la couverture des médias : 53% répondent qu’on n’en parle pas suffisamment.

— Pour ce qui est de la place spécifique de l’Afrique dans l’aide au développement : 73% des sondés estiment que la priorité doit être accordée à l’Afrique !

L’étroite marge de manœuvre du futur président français ne doit pas empêcher des initiatives fortes

Qu’il s’agisse de la situation générale ou celle des rapports avec l’Afrique, le futur président ne pourra pas bouleverser, à court terme, la donne économique : les effets des choix du gouvernement précédent, l’état des comptes publics et les contraintes communautaires européennes. Tout cela réduit considérablement le champ d’initiative du pouvoir. Néanmoins, dans cette voie étroite, le futur président aura justement l’occasion d’affirmer sa stature d’homme d’État, et de « capitaine dans la tempête », et ce par trois séries d’initiatives :

— prendre rapidement des mesures fortes dans tous les domaines qui demandent peu ou pas d’effort financier ;

— réaffirmer la prééminence du politique sur le fatalisme économique ;

— et surtout, tracer une vision pour le moyen et long terme.

Les initiatives sans grande incidence financière : les nominations

D’une façon générale, le choix des personnels – depuis les responsables chargés de la conception et la mise en œuvre des relations avec l’Afrique jusqu’aux enseignants dans les lycées français – doit obéir à des critères de compétence et d’intégrité, mais aussi de finesse intellectuelle et de tact relationnel. Aussi :

— L’incongru jeu de chaises musicales à la tête du ministère en charge de la Coopération, illustré par le renvoi peu glorieux de Jean-Pierre Cot, sous Mitterrand, et Jean-Marie Bockel, sous Sarkozy, doit être définitivement enterré.

— Il n’est pas déraisonnable de demander, d’exiger qu’on évite d’envoyer en Afrique des ambassadeurs ou des représentants de l’Union européenne qui acceptent de se compromettre personnellement de façon indigne avec les pouvoirs en place, et qu’on sanctionne de façon immédiate et exemplaire ceux qui auraient franchi la ligne rouge.

— L’ Agence française de développement (AFD), instrument principal de la politique de développement, doit avoir un nouveau directeur plus crédible que M. Dov Zerah.

L’importance des symboles

Si les Africains donnent parfois l’impression d’être exagérément susceptibles et de voir partout des fantômes du néocolonialisme, voire du racisme, cela n’est pas un hasard. Ce ne sont pas les démocraties européennes si fières de leur laïcité séculaire, et pourtant tout aussi agitées par les débats sur les origines chrétiennes de la civilisation et la préservation de l’identité nationale, qui démentiraient l’importance de symboles et des racines culturelles pour les peuples. L’absence du sommet de la République française aux obsèques de feu Senghor était une gaffe inexplicable. Dans la tradition africaine, les pires ennemis se réconcilient au moment des funérailles, surtout celles des personnages importants.

La traite négrière, la conquête militaire coloniale, l’exposition de la Vénus hottentote dans une cage, le système du travail forcé, cette version « soft » de l’apartheid qu’était l’indigénat, l’imposition de dictatures ubuesques au nom de la guerre froide : tous ces traumatismes passés sont dans l’univers mental africain automatiquement reliés à la situation actuelle résumée par la formule de « deux poids deux mesures », notamment dans l’application du droit international. Pour dissiper ces charges, pour ne plus avoir des « mémoires qui saignent », selon la formule de l’écrivain tchadien Noël N. N’Djékéry, des initiatives à caractère symbolique, sont absolument nécessaires :
–Avoir le courage de reconnaître les horreurs coloniales commises au nom de la « Civilisation », à l’exemple des enfumades en Algérie, des massacres de Madagascar en 1947, de la tragédie des travailleurs forcés du chemin de fer Congo-Océan, de la politique de la terre brûlée en pays Bamiléké (Cameroun), etc.

— Réhabiliter la mémoire des patriotes déportés, emprisonnés ou exécutés pendant la lutte anti-coloniale ou sous les régimes post-indépendance avec la participation active d’agents français, comme le Camerounais Roland-Félix Moumié (assassiné à Genève, en 1960) et le Tchadien Outel Bono (assassiné à Paris, en 1973).

— Accorder dans l’enseignement primaire et secondaire une vraie place à la littérature africaine, qui est une part intégrante de la littérature francophone, anglophone et lusophone; tant il est vrai que la création littéraire est un canal d’empathie sociale et culturelle, autrement plus puissant que les études, analyses et autres discours.

— Faire du jumelage un instrument systématique et fort de connaissance mutuelle entre les ruraux français et africains, et contribuer ainsi à liquider définitivement les complexes nés depuis la colonisation (la France et l’Allemagne avaient utilisé le système du jumelage pour ancrer dans le pays profond la réconciliation de l’après-guerre).

Augmenter l’APD, malgré la crise

La situation économique et financière – la crise – laisse peu de champ aux décideurs politiques. Mais que ces derniers disent « on n’y peut rien » et se réfugient derrière une politique de réduction budgétaire compulsive reviendrait à aggraver les difficultés. D’ailleurs, le magazine The Economist, chantre du libéralisme anglo-saxon, qui consacre une deuxième une aux élections françaises tout en préférant globalement Sarkozy, se démarque du dogme de l’austérité : « La politique de discipline budgétaire trop rigide voulue par l’Allemagne (…) empêche toute possibilité de croissance de la zone euro ». Une augmentation de l’Aide publique au développement (APD) attestera une confiance des gouvernements et institutions des pays développés envers les capacités potentielles de nos économies, ce qui rassurera les investisseurs, les donateurs et les bailleurs de fonds qui y verraient une espèce de triple A décerné aux économies de ces pays. Ce qui aurait, en retour, un effet heureux sur les entreprises européennes exportatrices vers l’Afrique. En somme, un cercle vertueux au sein duquel, au final, tout le monde gagnerait.

A propos de cette aide, il faut rappeler qu’elle est très inférieure à l’engagement de 0,7% du RNB (Revenu national brut) pris par les pays riches depuis 1970 et régulièrement reconduit et que, par ailleurs, sa réalité est surestimée, car gonflée par les annulations de la dette et les prêts à taux dits « concessionnels ». L’aide a des effets pervers, analysés en long et en large par tous, en particulier les ONG. Elle doit augmenter, mais elle doit aussi être réévaluée et réorientée.

Une nouvelle vision

Posez la question sur les rapports entre l’Afrique et la France et tous les candidats, de l’extrême gauche à l’extrême droite, vous répondront, d’un seul souffle : « Il faut rompre avec la Françafrique, soutenir les évolutions démocratiques, mieux associer les populations locales et la société civile, l’Afrique est le continent de l’avenir, etc. »
Il n y aurait aucun intérêt à ce que le futur président français se contente de répéter ce genre de professions de foi, bouillies et rebouillies. Les constats et les affirmations doivent se traduire par un renouvellement radical de la vision des rapports avec l’Afrique et les Africains dans un monde multipolaire et en plein bouleversement. Vision qui doit se traduire par des politiques refondatrices, des programmes à moyen et long terme et des pratiques et des comportements rénovés. Parmi les piliers de cette nouvelle vision, je citerais :

— La sortie par le haut du problématique tête-à-tête France-Afrique par une politique communautaire de développement et une vraie diplomatie européenne dans laquelle l’apport français sera déterminant; et aussi par la recherche de complémentarités – et non pas des confrontations avec les autres partenaires de l’Afrique-, en particulier les pays émergents.

— Un nouveau paradigme de financement basé non plus sur les dons et prêts mais sur-la taxation des transactions financières, et la contribution des grandes entreprises pétrolières, minières, forestières, etc.

— Un rôle effectif de la société civile africaine et les partis politiques dans la conception, l’application et l’évaluation.

Acheikh Ibn-Oumar

Lire aussi l’interview de François Hollande : « Le regard français sur l’Afrique doit changer »

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