Rencontre avec Sylvie Richard, conceptrice d’un cycle de projection de documents d’archives télévisées sur la guerre d’Algérie. Les films sont visibles à Paris jusqu’au 30 octobre, et de nombreux extraits sont accessibles sur un site Internet.
Sylvie Richard est chargée, à l’Institut national français de l’audiovisuel (INA), de valoriser le patrimoine audiovisuel français. Elle est à l’origine de la programmation » La guerre d’Algérie à la télévision française » présentée au Centre Georges-Pompidou à Paris jusqu’au 30 octobre. De l’argumentation grossière des pro-Algérie française, dans les années 50, jusqu’à la remise en question radicale du rôle de la France dans son ex-colonie, en passant par les interrogations douloureuses des Pieds-noirs et les illusions perdues des anciens combattants du FLN*, les documents projettent une lumière nouvelle sur cinquante ans de relations assurément passionnées. Plusieurs entretiens réalisés récemment apportent la distance nécessaire pour appréhender ces témoignages, tout droit sortis de la période la plus heurtée de l’Histoire algérienne.
Afrik.com : Pourquoi montrer aujourd’hui des images de la guerre d’Algérie ?
Sylvie Richard : Nous avons lancé, il y a un an, une opération de restitution à la population du patrimoine audiovisuel. Un travail sur l’Algérie s’imposait, aujourd’hui comme hier même si la guerre n’est plus occultée dans les médias français. Le Parlement a enfin appelé du nom de » guerre » ce conflit qui n’a longtemps pas eu de nom. Par ailleurs, lors de la visite en France du président Bouteflika, on s’est aperçu que le sujet était encore sensible, trente-huit ans après l’indépendance de l’Algérie. Comme le dit très bien l’historien français Benjamin Stora, les gens ont encore l’impression que ce n’est pas leur histoire que l’on raconte.
Notre hypothèse a été confirmée : ce cycle de projection est celui qui a rencontré le plus grand succès, avec un public assez mélangé de surcroît.
Afrik : La programmation couvre un demi-siècle, de 1949 à nos jours. Vous avez voulu montrer l’évolution de la perception de la guerre d’Algérie dans la production française, mais pourquoi vous être arrêtée à 1957 pour les actualités ?
S.R. : En fait, les Actualités que nous montrons, qui faisaient partie des avant-programmes dans les cinémas, sont là pour représenter une certaine image très déformée de la réalité que les informations françaises voulaient alors montrer. Dans la période suivante, le regard s’est fait plus subtil, plus nuancé. Nous le montrons aussi, mais en nous appuyant sur » Cinq colonnes à la Une « , qui fut l’émission-phare de la télévision française dans les années 60. Nous projetons des reportages allant jusqu’à 1968, et qui posent des questions délicates pour l’époque : les débuts de l’Algérie indépendante, le destin des Pieds-noirs, les porteurs de valises (nom donné aux Français ayant soutenu l’action du FLN*, Ndlr).
Notre propos n’est ni d’apaiser, ni de rallumer les braises. Nous voulons exploiter la richesse du fond d’archives, mais aussi l’évolution au fil du temps. C’est pourquoi nous projetons une sélection incluant la réflexion de François Mauriac, typique de celle de » l’honnête homme » tentant d’analyser une situation sans parti-pris, mais également les témoignages, plus tardifs, d’acteurs ordinaires de cette guerre.
Afrik : Pourquoi ne projetez-vous pas de films de fiction ? Certains, comme » Vingt ans dans les Aurès « , sont mythiques et peu de gens les ont vus.
S.R. : Nous n’avons pas accès aux films de cinéma. Quant aux téléfilms, ils ne sont ni nombreux ni très bons. Ils sont souvent vieillis, un peu schématiques. Et puis, nous avions un tel fonds d’archives que nous avons voulu absolument privilégier leur exploitation.
Afrik : La guerre d’Algérie a longtemps été occultée à la télévision française. Reste-t-il des inédits à découvrir ?
S.R. : Non, franchement je ne crois pas. Pour préparer cette programmation, nous avons été jusqu’à visionner des rushes inexploités par » Cinq colonnes à la Une « . Le grand inédit, c’était le film de reporter de la fusillade de la rue d’Isly (lors de la Semaine des barricades, en avril 1961 à Alger, Ndlr). Mais la bande a été montrée quelques années plus tard.
Afrik : Verra-t-on un jour votre programmation en Algérie ?
S.R. : C’est mon souhait. Je voudrais montrer ces films aux Algériens, en accompagnant leur projection du commentaire simultané d’un historien algérien. Je pense que cela serait possible. Notre délégation de Lyon a déjà été contactée par le Consulat d’Algérie, qui souhaitait acheter les images.
* FLN : Front de libération nationale