La relation entre l’Algérie et l’Italie s’est intensifiée de manière spectaculaire ces dernières années, reléguant la France, partenaire historique d’Alger, à une place secondaire. Ce renversement illustre à la fois les dynamiques géopolitiques changeantes en Méditerranée et les répercussions des tensions récurrentes entre Paris et Alger.
En seulement trois ans, l’Italie a doublé ses échanges commerciaux avec l’Algérie, atteignant un volume de 21 milliards de dollars en 2023. Cette ascension fulgurante repose sur des investissements massifs, en particulier dans le secteur énergétique. Le géant italien ENI a signé plusieurs accords stratégiques avec Sonatrach, la société nationale des hydrocarbures algérienne, pour sécuriser des approvisionnements en gaz naturel, dont l’Italie dépend fortement dans un contexte de crise énergétique mondiale.
L’Italie s’est imposée comme le principal client des exportations de gaz algériennes, supplantant ainsi l’Espagne et consolidant son rôle d’allié énergétique clé. Ce partenariat, renforcé par des projets d’extension des infrastructures gazières comme le gazoduc Transmed, a permis à l’Italie de garantir sa sécurité énergétique.
Enrico Mattei, l’architecte historique des relations italo-algériennes
Le rapprochement actuel entre l’Italie et l’Algérie s’inscrit dans une histoire plus longue, marquée par la vision stratégique d’Enrico Mattei, ancien patron d’ENI. Dans les années 1950 et 1960, Mattei a joué un rôle clé en établissant des liens économiques et politiques solides entre l’Italie et l’Algérie, alors en lutte pour son indépendance.
Mattei, connu pour son opposition aux grandes compagnies pétrolières anglo-saxonnes qu’il surnommait les « Sept Sœurs », a révolutionné le secteur énergétique en proposant aux pays producteurs des conditions plus équitables que celles offertes par les majors pétrolières. En Algérie, il a activement soutenu le FLN en finançant indirectement sa lutte pour l’indépendance, voyant dans cette relation un moyen de garantir l’indépendance énergétique italienne.
Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, Mattei a renforcé les relations bilatérales en signant des accords énergétiques novateurs, qui ont servi de modèle pour les décennies à venir. Son approche visionnaire a contribué à forger une confiance qui persiste encore aujourd’hui.
Une diversification des secteurs de coopération
Si l’énergie constitue l’épine dorsale des relations italo-algériennes, la coopération s’étend bien au-delà. En 2022, les deux pays ont signé 15 accords couvrant des domaines aussi variés que l’industrie pharmaceutique, les énergies renouvelables, l’agriculture, l’artisanat et les infrastructures ou le dernier en date, la formation policière.
Dans le domaine des infrastructures, des entreprises italiennes participent activement à la modernisation des réseaux routiers et ferroviaires algériens, ainsi qu’à des projets de construction d’habitations. L’Italie a également mis l’accent sur le transfert de savoir-faire, favorisant des partenariats entre entreprises des deux pays et offrant des formations pour les cadres algériens.
Une dégradation des relations avec la France
Ce repositionnement de l’Algérie vis-à-vis de l’Italie intervient dans un contexte marqué par une détérioration progressive des relations entre Alger et Paris. Les différends historiques liés à la colonisation, exacerbés par des déclarations controversées de responsables français, ont contribué à refroidir les liens entre les deux pays. Dernier incident en date, les brimades infligées aux citoyens algériens dans les aéroports français.
À cela s’ajoutent des divergences sur des questions stratégiques, comme la gestion de l’immigration ou le positionnement diplomatique en Afrique du Nord. L’Algérie reproche également à la France de ne pas avoir fait preuve de réactivité suffisante pour renforcer les partenariats économiques bilatéraux, contrairement à l’approche proactive de l’Italie.
Un contexte géopolitique favorable
L’Italie, avec sa position stratégique en Méditerranée, a su tirer parti de la volonté algérienne de diversifier ses alliances. Dans un climat où la guerre en Ukraine a bouleversé les marchés énergétiques, Alger a trouvé en Rome un partenaire fiable, capable de valoriser ses ressources naturelles tout en investissant dans des secteurs clés de son développement.
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Par ailleurs, la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a adopté une approche pragmatique, misant sur une diplomatie économique dépourvue de l’héritage colonial qui pèse sur les relations franco-algériennes. Le déclassement de la France par l’Italie en tant que principal partenaire de l’Algérie marque un tournant dans les relations euro-méditerranéennes. En attendant que la France ne réagisse pour rétablir sa position, l’Italie consolide son rôle de premier plan dans une région stratégique en pleine reconfiguration.