Le principal parti au pouvoir en Tunisie, Ennahda, est secoué à cause d’une vidéo dans laquelle on aperçoit Rached Ghannouchi s’adressant à des salafistes. Il leur explique comment islamiser la Tunisie et éviter l’exemple algérien.
Tempête chez Ennahda. Le principal parti au pouvoir en Tunisie, Ennahda, subit de violentes secousses à cause d’une vidéo postée sur Youtube et dans laquelle on aperçoit son chef historique, Rached Ghannouchi, s’adresser à des salafistes. Il leur demande d’être patients face aux laïques, et de suivre ses conseils pour « islamiser » la Tunisie par étapes.
La vidéo, qui fait le bonheur des libéraux tunisiens, a fait le tour de la toile et des médias. Rached Ghannouchi explique à ses interlocuteurs qu’il faut à tout prix éviter la stratégie de forcing opérée en Algérie durant la décennie noire. « En 1991, on pensait que l’Algérie avait atteint un point de non retour, mais on s’est trompé. Il y a eu un retour en arrière et les mosquées sont revenues aux mains des laïques ». Et d’ajouter que « cela risque d’arriver en Tunisie », surtout que « la mouvance laïque est plus forte en Tunisie et que les islamistes algériens sont plus forts que ceux de Tunisie ».
C’est ce même Ghannouchi qui, quelques jours auparavant, affirmait à la presse l’existence d’ « un danger salafiste ». Un double discours qui laisse perplexe sur le parti « islamiste modéré » qu’Ennahda prétend être. « Nous avons le pouvoir » mais « ils (les laïques, ndlr) ont la main sur l’économie, les médias, l’administration », et « il n’est pas sûr d’avoir la police et l’armée » sous la coupe d’Ennahda.
Manipulation et dénigrement
Ce dernier cible également l’ancien Premier ministre de la transition, Béji Caïd Essebsi : « El Béji ne cessait de répéter pendant toute une année que nous ne pourrions pas dépasser 20 % et qu’on serait par conséquent maîtrisable. Vous voyez bien qu’il se trompait et nous avons créé une grande surprise ». Mais il se rend compte que « ce n’est pas définitif » car « ils se rassemblent aujourd’hui », a-t-il ajouté en faisant allusion à l’opposition. Le patron islamiste demande à ses interlocuteurs d’être patients : « Celui qui veut lancer une radio a désormais la possibilité de le faire, celui qui veut une télévision y serait d’autant plus autorisé. Vous pouvez organiser des camps, inviter des prêcheurs. Tout cela vous est permis, alors pourquoi autant d’impatience ? » Quant à la charia, le leader d’Ennahda estime que « les textes de loi ne valent que ce qu’on peut en faire ».
Après avoir gardé dans un premier temps le silence, un membre d’Ennahda a finalement tenté de justifier, ce mercredi à midi, les propos dérangeants de Rached Ghannouchi sur les ondes d’une radio privée. Ameur Laareyedh, membre du bureau politique du parti, parle de « montage » et de « manipulation », de « propos sortis de leur contexte » et de « mauvaises interprétations » des médias. « L’objectif d’Ennahda n’est pas de diviser le pays, preuve en est la coalition tripartie au pouvoir », a-t-il tenté d’argumenter sur un ton agressif.
L’auteur de la vidéo, un présumé salafiste, affirme que la vidéo est présente sur Youtube depuis le mois d’avril 2012. Dans un communiqué publié mercredi après-midi, Ennahda affirme que la scène a été filmée en février 2012 et qu’il s’agit purement d’une « campagne pour dénigrer le parti ». Manipulation ou non, Ennahda vient à nouveau de prendre un énorme coup de massue.