En cette fin d’après-midi du monde, c’est la question que choisit de poser, en langue haoussa, le voyageur et photographe suisse Didier Deriaz, dans un volume superbe publié aux éditions de l’Aube : » Inaïni Afrika « .
Ce n’est pas seulement un livre de photographie, un de plus. Ce n’est pas non plus un livre de souvenirs. C’est une collection de rencontres, coupées de réflexions libres, nourries d’un compagnonnage de vingt-cinq ans avec le continent. Les images n’exagèrent rien, elles ne sont ni exagérément esthétique ni banalement excessives. Elles témoignent, mezzo voce, d’une proximité véritable.
» La décolonisation n’est pas terminée. Je trouve que l’Afrique n’est pas assez prise au sérieux et que les Africains n’ont que trop peu la parole… Il ne s’agit pas de s’ériger en témoin mais de se faire passeur. Vous raconter tous ces gens qui me sont si proches, simplement, » histoire de régler l’éclairage « .
De fait, Didier Deriaz a su faire l’effort de se taire. D’oublier ses connaissances et tout ce qu’il avait appris. Pour écouter, docilement et simplement. Pour se laisser aller à recevoir, de l’Afrique, tout ce qu’elle avait à lui offrir : non seulement des visions, saisies sur l’instant, mais aussi des sentiments, des impressions, bientôt des idées : une autre conception de la vie, rencontrée dans un village sahélien ou une bourgade de forêt.
Pulsions de vie
Il faudrait citer chaque image, car toutes méritent qu’on s’y arrête un moment : il y a ce groupe d’enfants qui courent en jouant sur une dune de sable, près de la Mare de Tabalak, au Niger. En contrebas, on distingue quelques arbres pauvres, et quelques cases jaunes. Des animaux, peut-être, tout au fond, et l’inépuisable aridité du désert. Et la prodigieuse joie de vivre des enfants.
Et puis il y a les anecdotes, racontées en toute simplicité : ainsi de la rencontre de Didier Deriaz avec le propriétaire qui lui louait une maison, à Ouagadougou, en 1981. » L’homme était Thomas Sankara, alors Secrétaire d’Etat à la Présidence, chargé de l’information… Le 4 août 1983, il prenait le pouvoir avec ses compagnons Compaoré, Zongo et Linganii… » Nostalgie discrète de ce témoignage sur ce Che Guevara africain dont la tombe, toute simple, dans une banlieue de Ouaga, est fleurie chaque année par ceux pour qui ce nom évoque une forme d’idéal utopique.
Pudeur de la misère
Du Niger, encore, des images de famine et des regards d’enfants angoissés par la faim, de mères terrorisées par la mort qui rôde, fuyant l’objectif du photographe comme s’il représentait lui aussi un danger, comme s’il aggravait leur faiblesse, leur abandon, comme s’il pouvait, mystérieusement, porter le coup de grâce à leur détresse.
Pourtant l’Afrique quotidienne du photographe est pleine de joie et de santé, c’est l’Afrique des Travaux et des Jours, celle de l’agriculture et de l’élevage, celle de la pluie et des rivières, de l’eau qui court. Celle de la philosophie tranquille de ce vieux, questionnant enfin, au village, l’européen plein de projets : » Mais vous voulez développer quoi ? « .
Développement… Sait-on seulement quel est le bon chemin, et si tous les chemins de l’humanité ne se valent pas ? » En dépit des plaies profondes de l’esclavage, de la colonisation et de l’échange inégal qui l’on meurtrie, l’Afrique est restée fidèle à elle-même : elle donne toujours plus qu’elle ne recevra. » Soulignée par Bah Ould Saleck dans sa postface, cette leçon de générosité est ce qui a le plus profondément inspiré Didier Deriaz. Comment ça va, l’Afrique ? ça va très bien, merci. » Layallo « .
Pour joindre l’auteur ou commander le livre :
Didier Deriaz, Inaïni Afrika,
Editions l’amble, CH-1323 Romainmôtier,