La crise mondiale des prix dans le secteur de l’alimentation et des carburants offre aux pays d’Afrique de l’Ouest « l’occasion stratégique » de mieux assurer leur propre sécurité alimentaire, selon certains analystes du secteur agricole, mais ils n’y parviendront qu’en consacrant 10 pour cent de leurs budgets publics à l’agriculture et en exploitant plus efficacement leurs avantages comparatifs.
Face à la hausse moyenne de 45 pour cent du prix des céréales depuis la mi-2006, les ministres du Commerce, des Finances et de l’Agriculture des Etats-membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont réunis au Nigeria les 18 et 19 mai pour convenir d’une stratégie destinée à améliorer la sécurité alimentaire dans la région.
« Chaque pays doit renforcer son propre avantage [comparatif] avéré », a déclaré Tshikala Tshibaka, responsable principal des politiques de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui a assisté à la rencontre, « et cette idée est relativement nouvelle pour la région ».
Une idée qui a également un prix : « C’est l’occasion stratégique pour certains pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Nigeria de décider s’ils souhaitent devenir le grenier de la région, mais il leur faudra faire d’importants investissements pour y parvenir », a affirmé John Staatz, professeur en économie de l’agriculture, de l’alimentaire et des ressources à la Michigan State University.
Les avantages comparatifs
Si M. Staatz reconnaît qu’aucun pays du monde n’est autonome dans le domaine de l’alimentaire au sein de l’économie mondialisée d’aujourd’hui, il estime que les pays de la région les plus susceptibles d’atteindre un bien meilleur degré d’autonomie pour certaines cultures sont le Nigeria, qui produit 57 pour cent des céréales de la région, ainsi que le Mali, le Niger et le Tchad au Sahel, dont chacun couvre déjà environ 70 pour cent de ses propres besoins alimentaires.
Malgré tout, la région ne parviendra pas à satisfaire l’ensemble de ses besoins en céréales, selon la FAO.
« Il y a un gros potentiel pour le développement de la production rizicole, mais dans l’ensemble, la région devra continuer à importer des céréales pendant bien longtemps », a estimé M. Tshibaka.
La FAO divise la région en ceintures agricoles situées dans le sud, le centre et le nord.
La riziculture pourrait être considérablement stimulée dans les ceintures sud du Nigeria, du Bénin, du Togo, du Ghana, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Sierra Leone, du Liberia et de la Guinée, selon M. Tshibaka ; tandis que la production de manioc, de patates douces et de plantains pourrait être développée dans la ceinture centrale, qui traverse la Guinée, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire.
Et dans la ceinture nord (nord du Ghana, sud du Niger et du Mali, Mauritanie et Sénégal) les céréales sèches, telles que le mil, le sorgo et le maïs, ainsi que l’élevage devraient être développés, a-t-il expliqué à IRIN.
Un changement de l’intérieur
Pour M. Tshibaka, les investissements agricoles doivent être un processus interne à la région : divers acteurs principaux tels que le Nigeria devraient intervenir pour soutenir la production dans les petits pays.
« Nous ne pouvons pas compter sur une aide externe. Le Nigeria doit ouvrir la voie avec des investissements, tout comme d’autres producteurs de pétrole africains –la Libye, l’Angola et le Gabon », a-t-il noté.
Rien ne se produira si les Etats ne consacrent pas au moins 10 pour cent de leurs budgets annuels à l’agriculture, selon M. Staatz. Les dirigeants africains y avaient consenti en 2003, mais jusqu’ici seuls six des 53 pays ont réussi à tenir leur engagement, et bon nombre d’entre eux ne consacrent encore que cinq pour cent ou moins au secteur.
Ce manque de fonds laisse peu de marge aux investissements : les structures de recherche manquent cruellement de fonds et les agriculteurs n’ont pas assez de semences ni d’engrais d’une année sur l’autre.
Le 19 mai, les dirigeants de la CEDEAO ont néanmoins réitéré leur engagement à atteindre l’objectif des 10 pour cent.
« L’Afrique de l’Ouest est en train de se mobiliser », a expliqué Tidiane Ngaido, chercheur à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI).
Développer le commerce régional
« Pour renforcer les avantages comparatifs, les dirigeants devront privilégier les intérêts régionaux aux intérêts nationaux », selon M. Staatz.
En premier lieu, certains pays tels que la Guinée et le Liberia devront lever les mesures protectrices d’urgence qui limitent les flux de vivres à travers la région, notamment l’interdiction imposée sur les exportations alimentaires, a indiqué M. Staatz.
« Je comprends les dirigeants politiques qui tentent de préserver la sécurité alimentaire de leurs peuples et d’éviter l’agitation civile, mais à long terme, si tout le monde suit ces schémas [protectionnistes] et empêche les vivres de circuler au-delà des frontières, ce sera la crise assurée », a affirmé M. Staatz. « Mais le libre-échange est pratiqué de longue date en Afrique de l’Ouest, ce qui devrait aider ».
En définissant une politique régionale de commerce, les leaders harmoniseraient leurs objectifs de production, définiraient des normes agricoles communes, gèreraient certaines ressources partagées telles que le fleuve Niger, et défendraient les intérêts des Ouest-africains lors de négociations commerciales internationales, notamment entre l’Union européenne et l’Afrique, ont résumé M. Staatz et Steve Wiggins, chercheur à l’Overseas Development Institute (ODI) de Londres.
Et la CEDEAO et le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) seraient aux commandes.
Investir dans quoi ?
Dans leurs rapports, les spécialistes ont maintes fois défini les priorités en termes d’investissements pour stimuler la production.
Une amélioration des routes et des moyens de transport doit permettre aux producteurs de se rendre plus facilement sur les marchés, des programmes de micro-crédit doivent être mis en place pour permettre aux agriculteurs de se procurer des semences et des engrais, les instituts de recherche doivent recevoir des subventions plus régulièrement, et les Etats doivent investir dans l’amélioration des systèmes d’irrigation et de gestion de l’eau, selon l’ODI.
M. Wiggins est optimiste : la région démarre avec un potentiel initial bien plus important que beaucoup ne le pensent, a-t-il expliqué à IRIN.
En effet, selon les recherches menées par l’ODI en 2007, 11 des 30 pays qui affichaient les taux de croissance agricole globaux les plus élevés entre 1991 et 2005, se trouvent en Afrique de l’Ouest, et la croissance agricole s’est élevée de quatre pour cent en Afrique de 1981 à 2003, contre une croissance de deux à trois pour cent en Afrique australe et de l’Est.
La production céréalière en Côte d’Ivoire et au Ghana, et la production de racines et de tubercules au Bénin, au Ghana et au Nigeria ont été multipliées par cinq depuis les années 1960.
Les récoltes ont également augmenté en volume dans l’ensemble de la région, à l’exception du Sénégal, mais à une moyenne d’une tonne par hectare, elles sont encore relativement faibles.
Cette croissance a été alimentée par l’élargissement des zones cultivées, l’augmentation des récoltes et la meilleure productivité des travailleurs, selon M. Wiggins.
« Nous devons à présent comprendre pourquoi certains de ces pays ont réussi mieux que d’autres afin de pouvoir transmettre ces enseignements à travers la région », a-t-il observé. « Mais aujourd’hui, la situation avance ».
Investissements internationaux
Et les investisseurs internationaux ne sont pas en reste. La Banque mondiale a annoncé en avril qu’elle doublerait ses investissements dans la production agricole africaine, les portant de 450 millions à 800 millions de dollars, et la Banque africaine de développement investira 4,8 milliards de dollars en engrais, en recherche et en infrastructures, a annoncé son président, le 15 mai.
L’agriculture, au programme des dirigeants du G8, figure également parmi les priorités du secrétaire général des Nations Unies et est au cœur de la stratégie de développement 2008 de la Banque mondiale.
« Pour ce qui est du financement de l’agriculture, nous assistons aujourd’hui à un changement à un très haut niveau », a affirmé Tidiane Ngaido.
Et selon M. Staatz, compte tenu de la crise potentielle à laquelle se trouvent confrontés ces leaders, ils savent qu’ils n’ont pas le choix.
« Pour faire en sorte que les services essentiels soient viables dans ces pays, il faut une économie dynamique. Les pays d’Afrique de l’Ouest ont des économies essentiellement agraires ; ils n’ont donc pas d’autre choix que de renforcer leurs secteurs agricoles […] sinon, ils vont tout simplement en rester au stade de mendiants qui attendent de recevoir l’aumône ».