Selon un proverbe africain, « Quand la musique change, la danse change aussi ». Cette année, nous avons la chance d’adopter une nouvelle approche, de changer la musique, et de placer tous les pays fermement sur la voie d’une croissance durable avec des bienfaits partagés.
L’un des enseignements des 15 dernières années est que les pays en développement qui ont obtenu les meilleurs résultats sont généralement ceux qui ont le plus pris en charge leur propre développement. Qu’est-ce que cela signifie ?
Comme je travaille au FMI, mon premier conseil ne vous surprendra pas : la stabilité macroéconomique est une condition préalable d’une croissance durable. Il s’agit de maintenir l’inflation à un niveau modéré et la dette publique à un niveau soutenable. Il s’agit aussi de mettre en œuvre une politique économique qui permette de résister aux chocs extérieurs.
Prenons l’exemple de l’Afrique subsaharienne : la région a fait preuve d’une résilience remarquable face à la crise financière mondiale. En fait, près de deux tiers des pays d’Afrique subsaharienne ont connu 10 ans ou plus de croissance ininterrompue. Leur politique économique prudente a porté ses fruits. Bien entendu, la solidité des politiques macroéconomiques restera d’une importance primordiale, en particulier dès lors que la région sera confrontée à de nouveaux enjeux et à de nouveaux risques
C’est pourquoi le FMI accorde autant d’importance à la dimension macroéconomique. Parce que la stabilité aide les populations à prospérer et parce que l’instabilité traite de façon inéquitable les pauvres et les vulnérables. Par exemple, une inflation élevée est régressive. Et l’instabilité étouffe les investissements privés à grande échelle, qui constituent le moteur de la croissance.
Ce n’est qu’avec des fondations stables — une coque étanche et une embarcation en équilibre — que nous pouvons lever le mât, hisser les voiles et mettre le cap sur une croissance durable dont les bienfaits sont partagés.
Pour ce faire, il est impératif de mobiliser des recettes. Dans environ la moitié des pays en développement, les impôts sont inférieurs à 15 % du PIB, contre une moyenne de 34 % dans les pays membres de l’OCDE. La situation est pire encore dans certains pays fragiles. En appliquant des systèmes fiscaux qui sont simples, généralisés et équitables, on peut inverser cette tendance.
Le FMI a procédé récemment à une étude portant sur 126 pays à revenu faible ou intermédiaire entre 1993 et 2013. Selon cette étude, les programmes appuyés par le FMI assortis d’une conditionnalité relative aux recettes ont aidé ces pays à accroître leurs recettes fiscales de 1 point du PIB une année après la mise en place du programme. Par ailleurs, après trois années consécutives d’application d’un programme, les recettes fiscales ont augmenté de 3,5 points du PIB. Pourquoi est-ce important ? Parce qu’il s’agit de recettes fiscales supplémentaires qui peuvent être réorientées vers le développement.
En fait, c’est un point important : lorsque les recettes sont accrues, elles doivent être dépensées de manière efficiente et efficace à l’appui d’une croissance dont les bienfaits sont partagés. Il est essentiel de disposer d’institutions budgétaires solides et d’une bonne gestion des finances publiques. Comme d’autres études du FMI l’ont montré, par exemple, un investissement public bien géré a un rôle fondamental à jouer pour améliorer les infrastructures et favoriser une croissance aux bienfaits partagés.
Malheureusement, nous avons observé qu’environ 30 % des gains potentiels de l’investissement public sont perdus à cause d’inefficiences dans les processus d’investissement public. Si un pays se trouvant dans le quartile le moins efficient pouvait porter son efficience au niveau du quartile supérieur, il doublerait le rendement économique de son investissement.
Il est donc essentiel de mobiliser les recettes de manière efficiente. Il est prioritaire aussi de développer le secteur financier de manière à favoriser la croissance et à réduire la pauvreté. Les services du FMI ont estimé que le taux annuel de croissance des pays en développement qui disposent d’un secteur bancaire plus libéralisé dépasse d’environ 1 point celui des pays ayant un secteur bancaire moins libéralisé. Nous savons aussi que le pourcentage de la population qui vit avec moins de 1 ou 2 dollars par jour peut diminuer plus rapidement si le niveau de développement financier est plus élevé.
Les gouvernements peuvent jouer un rôle important en établissant les règles du jeu rapidement — en appliquant le contrôle, en protégeant les droits légaux et en renforçant l’infrastructure financière. Une amélioration du climat des affaires contribue à attirer les capitaux et les investissements privés, à la fois nationaux et étrangers.
Bien entendu, il est essentiel aussi de partager les fruits de la croissance, en promouvant l’inclusion économique et la viabilité de l’environnement. Il s’agit de donner accès au crédit, de renforcer la protection sociale et d’autonomiser les femmes et les filles — ce dernier point me tenant particulièrement à cœur.
On estime que si les femmes participaient au marché du travail, actives autant que les hommes, les revenus par habitant augmenteraient de 27 % au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de 23 % en Asie du Sud, de 17 % en Amérique latine, de 15 % en Asie de l’Est, de 14 % en Europe et en Asie centrale, et de 12 % en Afrique subsaharienne. Bref, l’autonomisation des femmes change la donne sur le plan économique.
De manière plus générale, des études du FMI montrent qu’une augmentation de la part de revenu du quintile inférieur de la population est liée à une accélération de la croissance du PIB. Nous avons noté aussi qu’une augmentation de 1 point de l’indice Gini des inégalités est liée à une augmentation de 6 points du risque qu’une période de croissance prenne fin dans l’année qui vient. Une croissance dont les bienfaits sont davantage partagés est donc aussi plus élevée et plus durable. En d’autres termes, l’équité, c’est bon aussi sur le plan économique.
En conclusion, en appliquant des mesures propices à une croissance durable, les pays en développement peuvent contribuer largement à favoriser leur propre développement. Mais ils ne peuvent agir seuls. La communauté internationale aussi doit jouer un rôle important, en collaborant avec les pays en développement eux-mêmes.