La nomination d’une ministre et d’un vice ministre noirs a engendré un débat sur la situation des afrocolombiens.
Malgré l’existence d’une loi et la reconnaissance constitutionnelle qui pour certains sont des modèles dans le monde, de nombreux noirs de Colombie sont pauvres, sont victimes du conflit armé, ont été déplacés de force, se sentent discriminés et se plaignent du racisme et de « l’invisibilisation ».
Álvaro Uribe, président de Colombie : « Je suis heureux qu’une personne de 28 ans, femme, représentant les nouvelles générations de colombiens devienne Ministre de la Culture, pour travailler pour toute la nation. Elle n’est pas arrivée là à cause de la couleur de sa peau, mais pour ses mérites. »
« Les noirs en Colombie se trouvent à la base de la pyramide sociale et occupent les dernières places dans les indices de développement humain « , reconnaît dans une entrevue avec BBC Mundo Pastor Murillo, un afrocolombien, sous-Directeur de Negritudes y Minorías Étnicas (Négritudes et Minorités Ethniques) du Ministère de l’intérieur et de la justice.
« Seulement dans l’éducation de base, les afrocolombiens ont un retard de 30 ans sur le reste du pays« , ajoute-t-il. Il affirme qu’il a bon espoir que les plans intégraux que le gouvernement national est en train de promouvoir aident à surmonter cette situation.
Dans une conversation avec BBC Mundo, Jorge Rojas, directeur de la Consultoría en Derechos Humanos y Desplazamiento (CODHES, Cabinet-conseil en Droits Humains et Déplacement), affirme qu’il y a quelques 700.000 afrocolombiens déplacés par le conflit interne.
Déplacés
« (Les afrodescendants) Représentent 17% de la population déplacée. Seulement dans les dernières années, 139.000 ont dû se déplacer », ajoute-t-il.
La violence a fait migrer vers les grandes villes de nombreux afrocolombiens, un un grand nombre d’entre eux survivent en demandant l’aumône dans les rues.
Malgré le fait que les afrocolombiens représentent entre 4,4 millions et 10,5 millions des 44 millions d’habitants de ce pays, il n y a presque pas de noirs parmi les hauts cadres du gouvernement national.
Petits emplois
Dans la pratique, beaucoup d’afrocolombiens exercent des petits emplois dans le secteur public national ou des emplois pénibles et mal rémunérés dans la construction, l’agriculture, l’élevage, l’industrie minière, le commerce, le nettoyage et les services domestiques.
Qu’il y ait désaccord sur le nombre d’afrodescendant en Colombie n’est pas un accident statistique. Cela reflète le fait que à peine 4,4 millions se reconnaissent eux-mêmes en tant noirs. Les autres ne l’admettent pas, car ils se sont mélangés avec les indiens et les blancs.
» 26% des colombiens ont du sang africain« , explique l’historienne Adriana Maya à BBC Mundo. Elle est spécialiste des afrodescendants.
Selon Maya, même si « depuis la Colonie une image de la Colombianité sans noirs et sans indiens, mais surtout sans noirs« , la Colombie a la troisième population noire la plus importante en Amérique après les Etats-Unis et le Brésil.
C’est la raison pour laquelle le fait que le président Álvaro Uribe ait nommé une femme noire, l’ingénieure Paula Marcela Moreno comme Ministre de la Culture et un autre afrocolombien Andrés Palacios, comme Vice Ministre des Relations de Travail au Ministère de la Protection Sociale a attiré l’attention.
Un fait « inédit »
« C’est inédit« , affirme Pastor Murillo qui confie que pour lui, ça a été « assez difficile » de s’ouvrir les portes en tant que afrocolombien. Au cours des 188 années de l’histoire républicaine de ce pays, il y a eu à peine trois ministre, une vice-ministre, un haut magistrat et un président provisoire noirs.
Ce dernier fut Juan José Nieto, qui, selon le sociologue Orlando Fals Borda, était dépeint sur les portraits officiels avec la peau beaucoup plus claire. Nieto gouverna les États Unis de la Nouvelle Grenade (Nueva Granada) entre janvier et juillet 1861.
Aujourd’hui, 146 ans après, dans le Congrès de la République composé de 268 membres, on compte à peine neuf congressistes afrocolombiens
L’une d’elle, la sénatrice de l’opposition Piedad Córdoba, a affirmé à BBC Mundo que la discrimination n’est pas seulement présente au niveau de l’État, mais également dans le secteur privé .Córdoba affirmé qu’elle ne connaît aucun afrocolombien qui aux commandes d’une compagnie privée importante dans le pays.
« Le seul que j’ai connu était un étranger, un belge qui fut président de Philip Morris et qui dirige actuellement une banque d’investissement « , affirme-t-elle.
Contre les stéréotypes
C’est pour cette raison que la nomination de la ministre Moreno « est un message très important, historique« , affirme l’historienne Maya.
Selon elle, le fait qu’il y ait une ministre afrocolombienne aide à compenser les stéréotypes sur les femmes noires que beaucoup vient uniquement comme « bonnes, baby-sitters ou prostituées ».
Maya explique que le message est important, indépendamment des raisons pour lesquelles le président Uribe a nommé une afro descendante ministre.
Certains secteurs ont interprété la nomination de Moreno comme le fruit de la pression des congressistes démocrates afroaméricains des Etats-Unis, comme condition de l’approbation par le Congrès de ce pays du texte du Traité de Libre Échange avec la Colombie.
Tandis que Córdoba pense que c’est cela qui a motivé sa nomination, Juan de Dios Mosquera, directeur du Mouvement Cimarrón soutient que la nomination de Moreno et de Palacios a plus été motivée par la pression des afrocolombiens eux-mêmes.
« Dès son premier gouvernement Uribe ‘envisageait’ de nommer des afrocolombiens, mais il ne l’avait pas fait« , ajoute Mosquera au micro de la BBC.
Mais le président Uribe a indiqué qu’il n’a pas nommé Moreno parce qu’elle est noire. « Je suis heureux qu’une personne de 28 ans, femme, représentant les nouvelles générations de colombiens devienne Ministre de la Culture, pour travailler pour toute la nation. Elle n’est pas arrivée là à cause de la couleur de sa peau, mais pour ses mérites« .
La ministre Moreno a pour sa part affirmé qu’elle est convaincue que à travers la culture, il est possible d’avancer dans la visibilisation des afrocolombiens et dans l’intégration des différentes ethnies du pays.
Il y a une semaine, les sept congressistes du caucus afrocolombien ont présenté un projet de loi qui vise à établir des quotas minimum d’emplois pour les noirs dans le secteur public.
Pour l’instant, le vice ministre Palacios a déjà pris ses fonctions, et en début juin ce sera au tour de la ministre Paula Marcela Moreno.
Traduit de l’Espagnol et publié pour la première fois en juin 2007