Les Journées Cinématographiques de Carthage sont traditionnellement l’occasion d’une réflexion sur l’avenir du cinéma arabe et africain. Placées cette année sous la présidence du réalisateur tunisien Ferid Boughedir, elles ont permis une fructueuse confrontation des expériences tentées dans différents pays pour attirer des financements plus importants de la télévision vers le cinéma.
Comme le montra d’emblée Dominique Wallon, Président de l’Association Ecrans Nord-Sud et ancien Directeur général du Centre national du Cinéma français, la mondialisation change totalement les termes dans lesquels les relations entre cinéma et télévision étaient posées. Désormais, l’audiovisuel forme un tout, et il n’est pas possible de défendre une identité culturelle sans agir, de manière coordonnée et rapide, pour promouvoir ces deux vecteurs de création. Pour autant, le tableau qu’il dressa des expériences de soutien à la création cinématographique dans les pays d’Afrique subsaharienne fut, par nécessité, plutôt pauvre. Rares sont les Etats à avoir, pour l’instant, fait de leur production une priorité, et à avoir engagé des mécanismes obligatoires de synergie et de solidarité entre télévision et cinéma.
L’expérience marocaine, livrée par Moustapha El Alaoui, Directeur général de la Régie autonome de publicité de la première chaîne du Royaume, présente en revanche un réel intérêt : les constatations chiffrées produites marquèrent l’augmentation des financements attirés vers le cinéma par un mécanisme de taxation automatique des recettes publicitaires des chaînes de télévision, prélevées à la source par les Régies et attribuées ensuite aux projets des cinéastes par le Centre du Cinéma Marocain.
Des chaînes qui créent
Complément à cette politique volontariste imprimée par le gouvernement marocain depuis trois ans, l’action des dirigeants des chaînes de télévision marocaines en faveur de la création cinématographique et audiovisuelle apparaît également novatrice : tel fut en tout cas l’exemple offert par Nourredine Saïl, responsable de la programmation de Canal Horizons, et surtout nouveau responsable de la chaîne 2M, qui a engagé une politique de coproduction résolue, avec pour ambition non dissimulée de conforter la place de sa chaîne, son image, et de faire école…
A l’exemple marocain s’ajouta le cas français, pays précurseur en matière de régulation audiovisuelle, sur lequel intervinrent le Directeur de la Programmation de France 3, Bertrand Mosca, fin connaisseur de la Tunisie, et le directeur des Relations internationales de la chaîne franco-allemande Arte, Michel Anthonioz : deux chaînes dont l’engagement pour soutenir la production cinématographique française, répondant aux obligations réglementaires qui leur sont imposées, constituent en outre un véritable partenariat de production, accompagnant des projets de film originaux, et notamment des premiers films, ou des films d’auteurs.
La mise au point du Conseil supérieur de l’audiovisuel français, par la bouche d’Olivier Zegna Rata, qui remplaçait le Président Hervé Bourges, retenu au dernier moment à Paris, était venue la veille marquer le cadre dans lequel cette coopération télévision-cinéma s’insérait : obligation pour les chaînes hertziennes en clair de consacrer 3% de leur chiffre d’affaires à la production de films de cinéma, et taxe de 5,5% de leur chiffre d’affaires alimentant, pour moitié environ, le budget mis à la disposition des cinéastes par le Centre National de la Cinématographie (CNC). Mathématiquement, ces 5,5% peuvent paraître marginaux, pourtant par le simple jeu de l’augmentation du chiffre d’affaires publicitaire des chaînes commerciales entre 1999 et 2000, ce seront mathématiquement plus de 200 millions supplémentaires qui iront au cinéma français l’an prochain !
L’audiovisuel, un secteur global
Les interventions des cinéastes et producteurs tunisiens furent particulièrement écoutées, à commencer par celles d’Ahmed Attia, et celles de Ferid Boughedir, auquel reviendrait la lourde tâche de formuler les recommandations finales, au terme de deux journées de débats particulièrement fournies.
Des quelques idées-forces qui furent agitées, il faut sans doute retenir la double mobilisation qui apparaît désormais urgente face aux périls de la mondialisation : une mobilisation réglementaire, afin d’instituer des mécanismes automatiques de financement du cinéma s’appuyant sur les chiffres d’affaires (au moins publicitaires, comme au Maroc) des télévisions, et une mobilisation professionnelle, responsabilisant les dirigeants des chaînes de télévision et les amenant à conclure au coup par coup, avec les différents corps de métiers du cinéma, des conventions à l’intérieur desquelles les coproductions cinéma-télévision puissent être réalisées, à l’avantage des deux parties.
L’audiovisuel est de plus en plus un secteur d’activité global, et si les spécificités qui existent dans le mode de travail entre les différents métiers ne sauraient être niées, il reste que c’est ensemble que toutes les professions de ce secteur peuvent défendre une identité culturelle, et la diversité des regards sur le monde, alors qu’en s’opposant stérilement, elles ne parviennent qu’à faire le lit des producteurs internationaux, mieux organisés, qu’ils soient américains ou indiens… C’est ainsi que le Colloque s’est conclu, sur une note à la fois optimiste et volontaire, sur des perspectives d’évolutions à court terme.