Georges Taffou Happy est l’une des seules personnes, à Paris, à proposer, au sein de ses bars-restaurants, La Jungle et la Jungle Transafric, une carte de cocktails alcoolisés africains qu’il a tous composé lui-même. Avec plus de 150 créations à son actif, le tavernier camerounais nous explique comment il concocte et découvre de nouvelles saveurs pleines de caractère, qui font le bonheur de ses clients et la spécificité de ses établissements.
Le Lait de panthère, le Guerrier massaï, le Bantou, l’Os du gorille ou encore le Zoulou, la Gazelle allumée ou le Pygmée en enfer, la carte des boissons de Georges Taffou Happy est truffée de cocktails alcoolisés aux noms pour le moins évocateurs. Des cocktails qu’il a crée lui-même et qui n’ont pas d’africain que le nom, puisque qu’ils sont composés avec des ingrédients typiques du Continent. Une curiosité parisienne, fruit de recherches secrètes de la part de cet artiste camerounais du goût, qui séduit de plus en plus d’adeptes au sein de ses bars-restaurants, La Jungle et la Jungle Transafric.
Afrik : Le cocktail n’est pas un art typiquement africain. Comment est perçu ce que vous faites en Afrique ?
Georges Taffou Happy : Le bar n’est en effet pas une affaire africaine. En Afrique, c’est la bière qui est reine. C’est dans les grands hôtels qui reçoivent des touristes, en l’occurrence des Blancs, que l’on sert généralement des cocktails. Ce qui est magnifique, c’est que les Africains sont surpris qu’on utilise leurs produits pour créer des recettes d’alcool qui ont du goût, que l’on puisse s’amuser avec du bissap, du jus de gingembre, de mangue ou de goyave. Là bas, on n’en consomme que pour s’abreuver, pas quand on a envie de faire la fête. Pour les fêtes arrosées, on sait qu’il y a la bière, le vin de palme ou les alcools artisanaux. Parfois, en Afrique, quand les gens ne te voient pas faire, ils pensent que c’est quelque chose que tu as acheté tout fait. L’Afrique-Antilles (rhum, jus de fruit de la passion et de gingembre), le Bushman, cocktail est à base de gingembre et de champagne ou encore le Bantou, concocté avec du sirop de bissap et du pastis, sont quelques uns des nombreux exemples que l’on peut prendre pour illustrer la création de cocktails originaux pour retrouver l’Afrique jusque dans votre verre.
Afrik : Qu’est ce qui rend le goût de vos cocktails si unique ?
Georges Taffou Happy : J’y mets jusqu’à six ingrédients, comme c’est écrit sur la carte. Beaucoup pensent que je suis fou de tout expliquer de la sorte. Mais quand ils essaient chez eux, ils n’arrivent pas à obtenir le même mélange. Evidemment, j’ai une touche secrète. Car en dehors du simple dosage, j’ai mes matières premières que je fais macérer tranquillement dans ce que j’appelle mon petit labo, dans ma cave. Personne ne sait ce que je fais comme mélange. Je prends deux trois alcools avec juste quelques écorces – gingembre, cannelle, bois bandé, etc – que je fais macérer. Et en un mois, je sais exactement ce que je vais obtenir comme goût. La base de mon travail reste le rhum. J’expérimente beaucoup pour voir ce que ça donne. Le cocktail est pour moi une connaissance empirique. J’en crée parfois même avec l’aide des clients. Tout rentre en compte : le goût, la robe et l’odeur.
Afrik : Combien de cocktails avez-vous créé et combien en créez-vous par an ?
Georges Taffou Happy : J’en ai créé plus de 150, mais je ne travaille pas comme un chanteur. Parfois je perfectionne ceux qui existent déjà, parce qu’ils ont besoin de vie. Je peux leur ajouter un côté fruité, les enrober avec une liqueur, les sécher… pour qu’ils gardent un goût que vous ne retrouverez nulle part ailleurs.
Afrik : Avez-vous déjà pensé à faire de vos recettes des produits industriels ?
Georges Taffou Happy : J’ai donné une ou deux recettes à la marque Caraïbos (création et distribution de boissons exotiques à partir de fruits d’origine sélectionnée, ndlr). J’avais envie de voir comment cela allait être perçu par les consommateurs. Je préfère que d’autres fassent l’essai à ma place. Si un centième de mes produits fait fureur, qu’est-ce que ça sera si j’ouvre la page de mes meilleurs cocktails ?
Afrik : Quelles sont vos cocktails les plus demandés ?
Georges Taffou Happy : Le Lait de panthère se dispute la vedette avec Le Zoulou. Il y a aussi Le Guerrier massaï, La Paillote et La Salsa qui marchent fort, à l’image du Jungle Fire, du Pygmée en enfer ou du Tigre noir.
Afrik : Quelle est, par exemple, la composition du Lait de panthère ?
Georges Taffou Happy : (avec un petit air désolé) Le Lait de panthère est une recette qui doit rester secrète : c’est ça qui fait sa valeur…
Afrik : Sur vos cartes, on peut voir des catégories de cocktails appelées les Bombardiers ou les Explosifs, que l’on imagine plus forts que les cocktails classiques. Pourquoi proposez-vous de telles préparations ?
Georges Taffou Happy : Je travaille beaucoup avec des petits jeunes branchés de Paris. Les Bains Douches (l’une des plus célèbres et select boîtes de nuits parisiennes) sont juste à côté. Ils s’arrêtent chez moi et me disent : « Nous sommes quinze, nous avons tant et une heure devant nous. On veut tous ressortir en chantant ». Il faut qu’en une heure de temps je leur concocte quelque chose de fort. Le but du jeu pour eux n’est pas de se déchirer, mais d’arriver en boîte un peu chauds et de se contenter de leur consommation gratuite. Entre prendre un verre à 7 euros chez moi et un verre à 20 euros en boîte, le calcul est vite fait. Et puis quand ils repartent, ils n’ont plus besoin de prendre quoi que se soit : ils ont tout en un. Quand tu prends un « Séïsme », par exemple, tu ressors en tremblant et tu ne demandes pas ton reste. Le gars qui prend « L’os du gorille », quand il sort de chez moi, peut grimper tout de suite dans un baobab…
Afrik : Vos clients sont des noctambules en mal de sensations fortes ?
Georges Taffou Happy : Il y en a qui viennent passer un bon moment autour d’un verre. Des choses que tu gardes longtemps en bouche. On peut vraiment passer du bon temps avec un seul verre. Il y a ici un profond respect pour l’alcool. Ce sont des gens qui se tiennent. Pour ce qui est des fêtards, au lieu de descendre dix bières dans le bar d’à côté, ils viennent ici et on leur sert quelque chose qui leur encombre moins le ventre mais qui est tout aussi efficace… Et en plus qui a du goût. Ce n’est pas la défonce pour la défonce. Il faudrait être fada pour venir tous les jours pour un truc qui n’a pas de goût. Si on prend le « Marabout rouge », il est clair qu’il va faire son office à cause des doses d’alcool qu’il y a dedans, mais c’est un goût fabuleux. Il y en a qui prennent deux ou trois cocktails. Ce n’est pas parce qu’ils ont envie de finir sous la table : c’est surtout parce que c’est bon.
Afrik : Certains de vos cocktails, sur vos cartes, n’ont aucune indication quant à leur composition. Sur quoi se basent les clients pour choisir ce type de consommation ?
Georges Taffou Happy : Il y en a effectivement que je n’explique même pas. Comme le « Bob Marley ». On ne connaît pas la composition. Je leur dis juste que « ce qui n’est pas expliqué n’est pas explicable. Vous vous lancez ou vous ne vous lancez pas ». Pour beaucoup c’est un peu comme une poussé d’adrénaline de plonger comme ça dans l’inconnu. J’ai une série que j’ai appelé « Les Agonies ». Agonie 1, 2, 3, 4 mais à partir de cinq on n’explique plus.
Afrik : Les « Agonies » sont pour les casse-cou ?
Georges Taffou Happy : Souvent certaines personnes veulent les enchaîner. Un peu comme un défi. Mais rares sont ceux qui ont pris les Agonies de 1 à 5. Quand ils arrivent à l’Agonie 4, il n’y a plus personne. Même les petits jeunes qui veulent jouer les durs.
Visiter le site des établissements de Georges Taffou Happy