Face aux effets dévastateurs et imprévisibles des changements climatiques, l’Afrique affiche une vulnérabilité inquiétante. Présent à la COP 26 qui s’est tenue à Glasgow, Félix Tshisekedi, Président de la République Démocratique du Congo (RDC) et président en exercice de l’Union Africaine (UA), porte la voix d’une Afrique à dédommager.
Inondations, sécheresses, avancée de la mer, tempêtes, etc. Les conséquences du dérèglement climatique deviennent de plus en plus palpables en Afrique. Exemple à Madagascar, où une sécheresse exceptionnelle frappe actuellement la région du Grand Sud au point de provoquer la famine dans le pays. Au Sénégal, une étude publiée en août 2021 dans « Agronomy for Sustainable Development » annonce la diminution de moitié du rendement du riz pluvial entre maintenant et 2100. Deux exemples qui viennent s’ajouter à la longue liste des pays africains qui subissent, ou s’apprêtent à subir de plein fouet les effets de la crise climatique.
La menace des changements climatiques induit des retombées plurisectorielles. Ils pourraient entraîner une réduction de 10 à 20% de la production alimentaire globale de l’Afrique. Une hausse de la température d’environ 0,1°C par décennie est envisagée sur les vingt prochaines années. Et l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) estime déjà à au moins 150 000 par an, le nombre de décès dus aux modifications climatiques. Ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2030, si rien n’est fait.
Ce tableau n’illustre qu’une poignée des revers auxquels l’Afrique doit se préparer, alors que le continent n’est responsable que de 5% des émissions mondiales de carbone. Moins pollueur mais plus vulnérable, l’Afrique affiche une très faible capacité d’adaptation, ajoutée à une forte dépendance aux ressources naturelles. Elle manque de moyens pour juguler la variabilité climatique.
« Il est temps que l’Afrique soit dédommagée »
Au sortir de l’Accord de Paris sur le climat (2015), les pays riches, responsables de 83% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, promettaient un investissement annuel de 100 milliards de dollars. Montant destiné à financer l’atténuation des effets du changement climatique dans les pays pauvres. Six ans après, rien n’a bougé. « L’Afrique est fatiguée. Fatiguée d’attendre les vaccins anti-Covid pour protéger sa population contre la pandémie. Fatiguée d’attendre des investissements pour sortir de la pire récession économique qu’elle a subie depuis 25 ans. Fatiguée d’attendre une aide pour s’adapter et lutter contre le changement climatique », se désole le Président Félix Tshisekedi, dans une opinion parue dans Financial Times.
En prélude à la COP 26 et sous son leadership, les Etats africains ont élaboré un Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique. Ce plan de riposte vise à endiguer les problèmes d’ordres sanitaire et climatique que rencontre l’Afrique. Sa mise en œuvre nécessiterait un investissement de 50 milliards de dollars dont la moitié serait pourvue par la Banque africaine de développement (BAD). « Il est temps que l’Afrique soit dédommagée, pour le bien de la planète, et du continent », poursuit Félix Tshisekedi, dont la motivation est basée sur la reconnaissance de la contribution de l’Afrique à la préservation de l’humanité.
Le combat qu’il mène à la tête de l’Union Africaine commence d’abord par son pays, dont la forêt tropicale du bassin du Congo se hisse au rang de deuxième plus grand capteur de gaz à effet de serre de la planète, derrière l’Amazonie. Elle s’étend sur plus de 3,6 millions de kilomètres carrés et six pays, allant du Cameroun à l’Ouest à la République Démocratique du Congo en Afrique Centrale. Et représente 10% des forêts mondiales et 47% de celles africaines. Un véritable puits de carbone qui absorbe 10% du CO2 mondial et fournit des services écosystémiques tels que le maintien du régime des pluies et la régulation des cours d’eau.
La justice climatique menacée ?
Félix Tshisekedi travaille activement à la préservation de cette richesse naturelle de la RDC. Ainsi, le 15 octobre dernier, il a commandité un audit des vastes concessions forestières et a ordonné la suspension de tous les « contrats douteux » jusqu’aux conclusions finales. Non seulement sa démarche vise à instaurer la transparence dans la gestion forestière, mais elle participe également de sa volonté d’intégrer l’Alliance pour la Préservation des Forêts Tropicales. Objectif : favoriser la traçabilité de la gestion forestière dans son pays.
Si le président de l’UA s’est rendu à la C0P 26 pour défendre son Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique, au terme de deux semaines de négociations, la justice climatique n’aura finalement pas lieu. Côté financement, le Fonds d’adaptation de 100 milliards de dollars annuel promis depuis six ans maintenant, ne sera pas atteint avant 2023. Pire, les pays riches n’ont pas accédé à la mise en place d’un fonds additionnel prenant en compte les dommages causés à l’Afrique. Seul point positif, les conclusions des travaux font, pour la première fois, mention des énergies fossiles. Mais sans toutefois énoncer un calendrier et un plan d’actions pour leur élimination, en respect de l’Accord de Paris qui prévoit la limitation du réchauffement de la planète à +1,5°C.
« Comme redouté, la COP26 s’est avérée être une COP de pays du Nord, qui reflètent donc les priorités des pays riches. Alors que les impacts du changement climatique s’intensifient dans le monde et que les besoins d’adaptation des pays les plus vulnérables augmentent, les pays riches ne sont pas parvenus à démontrer une réelle solidarité », fustige Aurore Mathieu du Réseau Action Climat. Greenpeace France estime que « pour la première fois, les énergies fossiles sont pointées du doigt dans un texte de COP. Ce qui ressemble à un pas en avant à l’échelle des négociateurs, reste une lapalissade tragi-comique à l’échelle du monde réel. Les dirigeants des pays riches préfèrent hypothéquer l’avenir des jeunes générations et la survie des pays vulnérables plutôt que remettre en cause les intérêts criminels de leurs industries fossiles. »
Face à la catastrophe climatique qui s’annonce, les Etats africains devront désormais prendre leur destin en mains. Conscients du poids des pays du Nord dans la balance des négociations et de l’échec des COP successives, ils doivent se mobiliser à l’échelle africaine pour se prémunir de tout danger. Au regard de l’évident compte à rebours qui est lancé, Félix Tshisekedi et ses pairs portent sur eux la responsabilité du sauvetage de l’Afrique. Dont actes ?
Michaël Tchokpodo