A Clichy-sous-bois, un an après la mort des deux adolescents, Bouna et Zied, puis le soulèvement des banlieues à l’automne 2005, une dizaine de lycéens se réunissent pour écrire sur des thèmes qui les touchent. Leurs paroles mettent en exergue une ville délabrée, une ville de Seine-Saint-Denis qui a fait la une des médias, mais qui pourtant demeure l’une des plus pauvres de France. Naïma, Madeline, Khoudeidji, Nadjet et Vanessa ont livré à Afrik leurs témoignages.
Naïma
Moi dans ma cité « Toit et joie » c’est Nickel. Tous les matins quand je pars au Lycée je retrouve Mamadou. Je lui dis un grand bonjour, en lui demandant, « comment ça va ? », et lui il me répond « Ca va Allambdoullaye et toi ça va ? ». Je lui réponds, « ça va… », et dans mon esprit je me dis, ça va, tant que mon bâtiment reste propre grâce à toi.
Mamadou, c’est lui qui fait le ménage dans l’immeuble, c’est un peu le Monsieur Propre du « Toit et joie ».
Lui, il habite à « La Forestière », comme ma copine. La première fois que j’ai vu sa cité j’étais choquée. D’abord je ne trouvais même pas l’entrée de la cité, ensuite j’ai vu les boites aux lettres toutes défoncées, et puis quand j’ai voulu prendre l’ascenseur, je l’ai pas trouvé. J’ai donc pris les escaliers, et là je me suis retrouvée à piétiner avec mes baskets toutes neuves de la rentrée dans la pisse ; les murs étaient plein de tags, j’en ai vu un en particulier que je retrouve parfois dans mon ascenseur et que Mamadou efface : « TNZ ». ça veut dire Trois Neuf Zéro, 390, 93390 c’est le code postal de Clichy sous Bois, en gros, c’est là où je vis.
La forestière, c’est pas la seule cité dégradée à Clichy. Y’a aussi la Stamu. C’est là où mon cousin Ahmed vit. Enfin, devrait vivre. Il est censé habiter au dernier étage du Wall Street Center, c’est une tour. Mais là-bas, l’ascenseur ne fonctionne jamais. Et mon cousin Ahmed, le pauvre, il vit dans sa voiture. Arrêtez d’imaginer que sa femme l’a mis dehors, non, c’est juste l’ascenseur qui l’a mis dehors. Pourquoi ? Parce que Ahmed, il est asmathique…
Madeline
Un jour, ma prof d’histoire-géo nous a demandé : « Qu’est-ce que vous faites le samedi soir ? » Et on a répondu ; « Ben rien qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? » D’autres profs nous ont dit : « Vous avez un endroit où vous réunir entre amis après les cours ? »
Et on a dit en rigolant : « y’a l’épicerie, ou le supermarché ! »
C’était peut-être marrant au début, mais ça nous a rappelé qu’il n’y avait rien ici.
Pourquoi ? J’en sais rien.
Pourquoi on est obligé de prendre plusieurs bus pour regarder un film ?
Pourquoi y’a tout ailleurs ?
Quand on va à Livry-Gargan, y’a la piscine.
Quand on va à Rosny-sous-Bois, y’a le cinéma.
Quand on va à Paris, y’a les métros.
Nous tout ce qu’on aimerait, c’es avoir un centre ville…
On n’arrête pas de se déplacer aux 4 coins de Clichy pour acheter un truc.
Alors quand les profs nous disent que c’est la campagne, je suis d’accord avec eux.
Quand une copine m’appelle pour sortir, je lui dis : « mais pour aller où ? »
Et comme on sait pas où aller, on sort pas.
Et c’est pour ça qu’on voit des jeunes tenir les murs.
Khoudeidji
Quand j’étais petite, je faisais plein de choses ici.
Tout était beau et calme.
Je jouais à cache-cache, à la corde à sauter.
Je me rappelle qu’on s’amusait à Fort-Boyard à côté de l’esapce 93, et puis on construisait des cabanes, on jouait aussi à la maman.
Parfois, dans mon quartier, tous les jeunes s’assemblaient, on faisait des matchs de foot, de base-ball, l’été c’était les batailles d’eau… Parfois, on faisait quelques bêtises, on volait des pommes, on sonnait aux portes avant de partir en courant comme des fous.
Mais j’ai grandi maintenant, et je ne trouve plus rien à faire à Clichy-sous-Bois.
Pourquoi ?
Parce qu’il n’y a rien pour les grands, qui ont perdu l’imagination de leur enfance.
Je ne suis pas la seule à remarquer qu’il n’y a rien ici.
Clichy, c’est comme une ville fantôme.
Nadjet
Pourquoi vous voulez qu’on en reparle, ça sert à quoi ? Et après il va se passer quoi ? Y’aura les médias c’est ça ? et l’année dernière ils ont dit quoi, que deux jeunes sont morts dans une centrale électrique et que les jeunes étaient révoltés, c’est ça que vous voulez rappeler ?
Pourquoi dire aux gens que Clichy c’est une ville de racaille ? c’est ça que vous voulez leur dire ? Et le taux de chômage à Clichy, ils le savent ça ? Et le taux de chômage des jeunes ?
Pourquoi vous voulez qu’on en reparle ?
Vanessa
Stop aux idées reçues sur Clichy.
C’est une ville comme les autres avec ses bons et ses mauvais côtés.
Les médias, ils ciblent trop les aspects négatifs, et ça me révolte à mort.
Moi je suis clichoise, et je suis fière de l’être.
Et je suis loin d’être une glandeuse.
Tous les soirs ; je bosse dur pour y arriver.
Pourtant pour moi c’est pas toujours facile.
Quand j’avais 11 ans c’était un peu compliqué à la maison : problèmes d’argent, pas de logement stable, dans ma tête c’était le bordel.
Je me posais plein de questions, et surtout j’étais jalouse des autres :
Pourquoi moi j’pouvais pas aller au cinéma ?
pourquoi j’pouvais pas aller à la piscine ?
Pourquoi j’pouvais pas avoir les mêmes choses que les autres ?
Aujourd’hui j’ai grandi.
J’ai 16 ans, et j’ai plein d’ambitions.
Je veux faire des études de médecine, je me dis qu’avec ce métier, j’aurai la reconnaissance !
La reconnaissance de tout le monde, et même de ceux qui m’ont souvent méprisée.
Je veux montrer à toute la France qu’ici, y’a pas que des brûleurs de voitures.
Mais surtout j’veux que ma mère soit fière de moi.