Associations, collectifs et des personnalités publiques, journalistes, écrivains ou chanteurs, se sont insurgés contre le projet du Cran d’organiser un évènement-concert à l’occasion de la première commémoration française de l’abolition de l’esclavage. La fronde a gagné : le concert est annulé. À l’image, par exemple, de Claudy Siar, animateur radio et télé emblématique de la cause noire en France, qui s’est prononcé pour un 10 mai solennel et non « carnavalesque ».
Par Fabienne Pinel
Afrik.com : Comment réagissez-vous à l’annonce de l’annulation de l’évènement de la place de la Bastille ?
Claudy Siar : C’est une grande nouvelle ! Même si c’était prévisible, car le Cran ne pouvait se heurter à la majorité des personnes qui se battent depuis des années pour la reconnaissance des victimes de l’esclavage et de la Traite. Voilà une bonne décision qui fera du 10 mai un évènement important et solennel de notre histoire, et non une fête de la musique du monde !
Afrik.com : Que représente pour vous le 10 mai ?
Claudy Siar : Le 10 mai est une date symbolique pour la France, et ce pour plusieurs raisons. Il marque le jour de l’adoption par le Parlement français de la Loi, proposée par Christiane Taubira, député de Guyane, qui reconnaît l’esclavage et la Traite des populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes comme un crime contre l’humanité. Même si le texte ferme la porte à toutes formes de réparations pour les descendants des victimes, il est, néanmoins, une étape essentielle. Au terme de nombreuses tergiversations et débats, la date du 10 mai a été choisie pour commémorer l’abolition de l’esclavage. C’est donc une date républicaine : une journée pour toutes les victimes de la barbarie et de l’esclavage. L’autre raison de sa portée symbolique est historique : le 10 mai 1802, le colonel mulâtre Delgrès fomente une rébellion, matée dans le sang, contre les troupes napoléoniennes venues rétablir l’esclavage en Guadeloupe. Après 15 jours de massacres, il préfèrera se donner la mort, avec 300 de ses hommes, plutôt que de redevenir esclave…
Afrik.com : Comment envisagez-vous le déroulement de cette journée ?
Claudy Siar : C’est la première année que la France honore les victimes de la Traite négrière et de l’esclavage. Le gouvernement a pris une décision digne afin de commémorer ces victimes et sensibiliser la France à cette histoire qui appartient à notre passé commun. Nous devons donc, pour cette première commémoration, adopter une attitude de recueillement. On ne peut pas brouiller le message en organisant des festivités pour un jour si important. Un concert n’est pas, me semble-t-il, le moyen le plus approprié pour se souvenir des millions de morts causés par l’esclavage et la Traite. Il existe des codes, à nous de savoir les utiliser. Organiser un concert, même si la musique est fondamentale dans les sociétés afro caribéennes, nous semble cantonner l’Homme Noir à l’image véhiculée par les cultures colonialistes : un homme qui, avec de la musique, oublie tout, jusqu’à sa propre histoire ! Les leaders du Cran ne pouvaient pas ignorer la colère qui était en train de monter et les réactions de mécontentement que le concert suscitait. Il faut seulement avoir l’humilité nécessaire à ce type de commémoration.
Afrik.com : Vous considérez que le Cran n’avait pas la légitimité nécessaire pour organiser cette manifestation ?
Claudy Siar : Je dirais juste que celui qui accepte d’endosser un si lourd fardeau, doit être à l’écoute. On ne peut pas créer un schisme au sein de la communauté afro caribéenne qui nuirait à notre image et serait un pont d’or aux Sarkozy, de Villiers, et autre Le Pen. On est parfaitement dans l’image coloniale, je le répète : « Donner leurs de la musique, ils s’amuseront et sauront quoi voter ! »
Afrik.com : C’est donc la forme, un concert, qui vous gêne ? Elle est pourtant l’apanage de nombreuses commémorations…
Claudy Siar : Je suis prêt à chanter pour le Sidaction… En revanche, il m’est difficile d’imaginer – et attention, je ne suis pas en train de faire de compétition des mémoires – de chanter pour célébrer la fin de la Shoah. Dans ce cas, la douleur est trop grande et la commémoration se doit d’être solennelle. Le 10 mai aussi doit respecter cette très grande douleur.
Afrik.com : Comment va se dérouler cette journée ?
Claudy Siar : Il va y avoir de nombreuses manifestations. Certaines très officielles, organisées par le gouvernement et le Sénat, et d’autres plus modestes. Nous devons conjuguer nos expertises et talents afin que cette journée ne soit pas celle de l’histoire des Noirs, mais bien celle de tous les Français. Les livres scolaires vont être changés pour que l’histoire de l’esclavage et de la Traite ne soit plus jamais minimisée. Nous devons donc donner le ton d’un recueillement solennel. Il y aura aussi des manifestations dans certains pays africains. Je trouve par ailleurs assez inadmissible que ces derniers s’alignent sur une date française. Je pense qu’il serait temps que l’Afrique écrive elle-même sa propre histoire !
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