Le film gabonais se laisse voir avec plaisir, malgré une mise en scène puérile et un scénario médiocre. L’oeuvre séduit toutefois de par sa générosité touchante.
C’est un émouvant cantique de la racaille à la sauce gombo que nous sert le réalisateur Imunga Ivanga. Dôlè (l’argent) est une fable sociale sur fond de mutineries adolescentes qui a reçu deux prix dont celui du festival de Tunis. Mougler, Baby Lee, Joker, Akson et Bezingo, la quinzaine guillerette, errent dans les rues de Libreville, la capitale gabonaise, entre menus larcins et plans foireux. Mougler, héros malgré lui, assume difficilement son mal de vivre : père alcoolique, mère malade (foudroyant, l’imagination créative) le quotidien de Mougler serait bien sombre s’il n’avait sa bande de pieds nickelés, rappeurs désargentés à la tchatche irrésistible, et… sa petite amie aux yeux de jais.
Les maladresses de mises en scène, les digressions gratuites (scènes de prédicateurs qui n’apportent rien au récit, longues -très longues- balades sur la plage, main dans la main, avec lumières crépusculaires qui ont malheureusement échappé à la coupe) et la piètre qualité du scénario, sont toutefois compensées par la beauté des images et des lumières. La rue de Libreville apparaît telle une fresque rutilante, dans un tourbillon de couleurs, de coups de klaxon, d’huile de friture et de sourires charmeurs. Fascinée -la rue : le petit peuple de Libreville découvre une combine en or. Pour 250 FCFA, le Dôlè (le jeu à gratter) peut rendre millionnaire. Certes, c’est en francs CFA, mais les rêves de destins princiers se répandent, comme une traînée de poudre. Madame Chance qui vend les tickets est assaillie devant le regard dubitatif d’un molosse engoncé dans un costume trop étroit et affublé d’une pétoire antédiluvienne. Les quelques subsides de nos cinq lascars atterrissent immanquablement dans la caisse.
Une petite touche d’amertume
La satire sociale prend ici un goût amer : car pour Mougler, les songes d’opulence sont synonymes de médicaments pour maman. Le premier braquage de bidons d’essence – visez l’allusion bien sentie : essence + Elf+ pauvreté = Gabon – est un fiasco alors… Puisque la chance ne veut pas sourire, la force est de s’en remettre à l’astuce. Les cinq garçons organisent le braquage du Dôlè. Mais quand Mougler parvient à la chambre d’hôpital, essoufflé et les remèdes sous le bras, c’est trop tard. Maman Mougler est passée de vie à trépas (voyez l’allusion : Elf+pauvreté+ illusion + « maladie » = la maman de Mougler est morte) Son meilleur ami -lui aussi – a failli mourir dans l’aventure (voyez l’allusion : Elf+pauvreté+ illusion + « maladie » + vol = le copain de Mougler a failli y passer). Alors : fondu sur les billets de loterie dans les flots dorés de l’océan atlantique. Si vous n’aviez pas saisi le message martelé durant une heure et demie, c’est chose faite.
La dureté de la fable s’arrête là : pas de violences policières, pas de coups de boule dans les bagarres de rue, le tonton est gentil, et même le premier de la classe (sempiternelle tête à claque portant chapeau et foulard) ne parvient à se rendre antipathique (sa seule réplique : « De toute façon c’est moi le plus classe », vaut à elle seule le déplacement). De la tendresse, à défaut de grand cinéma.