Chronique n°2 – Arnold Sènou, écrivain et journaliste béninois, collaborateur d’Afrik.com, est en ce moment dans son pays natal. Il en profite pour croquer la vie locale dans trois petites chroniques que nous publions ici. La deuxième parle du paysage musical béninois, du « soyoyo » et du « zékédé »…
Le grand changement actuel au Bénin, très important à mon goût, et aussi considérable qu’il mérite d’être souligné, est venu de la culture, plus précisément de la musique. Oui, aujourd’hui, dans ce petit pays de 7 millions d’âmes, il vous saute aux yeux un foisonnement de chanteurs, et tous, bourrés de talent. En premier, ma préférence est allée du côté du bassiste, percussionniste de génie et par ailleurs chanteur, auteur et compositeur, Robinson Sipa. Au milieu des années 90, le groupe que formait ce jeune artiste avec son frère Eddy Lobo (décédé), avait fait remuer le tout Bénin, avec un gros gros tube, original, dansant, et bien drôle. Aujourd’hui, Robinson revient sur le devant de la scène, en inventant (oui, il en a été capable) une musique et une danse : le Soyoyo. Cette invention, parce que, s’explique-il, « je voudrais que, nous, les Béninois, nous arrêtions de copier ce qui se fait dans les pays alentours ».
Pour le peu que j’en ai vu, je définirai le Soyoyo comme étant une musique faite d’un rythme ralenti, tout en douceur mais bien dansant. C’est une musique sur laquelle des paroles aux messages simples et concrets, sont posées. Dans ce genre novateur que représente le Soyoyo, Robinson a vite eu de bons fidèles et efficaces disciples : entre autres, Pari Alex avec son tube « Célina » par exemple, ou encore le chanteur et guitariste Joka. Ces deux hommes rendent à chaque fois d’ailleurs hommage à monsieur Sipa, en criant son prénom.
La création du genre musical opéré par Robinson Sipa, a permis (très certainement), à Bless’ Antonio, chanteur, auteur et compositeur, d’inventer son Zékédé, qui commence lui aussi à faire des adeptes. Parmi les chanteurs mordus de ce nouveau genre musical, citons la jeune Lydia, qui tout en nous faisant entendre sa jolie voix, en profite pour nous balancer son popotin, sur la répétition de ce « zékédé », dans son dernier tube. Rodolpho Tumba, qui possède la stature d’un véritable camionneur, préfère lui, laisser ses danseuses exécuter ce jeu de bassin langoureux, sur le fameux mot…
A côté de ces deux courants musicaux apparus récemment, il est frappant de remarquer que, dans le paysage musical du pays, les chanteurs béninois d’aujourd’hui sont pour la plupart très jeunes. En outre, ils sont brillants, et surtout courageux, parce qu’ils chantent souvent, sinon toujours, dans les langues locales, et leur musique est un mélange de mélopées traditionnelles et occidentales. Parmi cette génération, citons « Les frères de Sang », qui nous font des chansons traditionnelles, souvent a cappella (sans instruments de musique). Avec des paroles en fon (langue locale) posées sur des mélodies à mi-chemin entre l’occident et le tiers-monde, le trio Fifa se démarque de la masse. Ma palme d’or de la beauté musicale revient incontestablement au jeune groupe Wéziza. Son dernier tube, « Ananoun », se retrouve sur toutes les lèvres et les jeunes filles n’ont que le refrain de la chanson à la bouche. Même moi, c’est vous dire ! C’est une chanson, dont les paroles posées sur un rythme afro-caraïbéen souhaitent avec sincérité et forte émotion, le retour de la jeune fille aimée, partie depuis peu. K-sim, un jeune chanteur, est aussi là pour défendre les langues et les musiques de son septentrion natal.
Chez les humoristes comme Masta Cool, Turbo Queen Tintin ou encore Jos Vicos, la liberté de parole ayant désormais bien pris ses quartiers dans l’ancien Dahomey, depuis l’avènement de la démocratie en 1990, ce sont les dérapages des hommes politiques, leurs malversations et autres actes douteux, ou parfois même les mauvais comportements du peuple, qui sont tournés en dérision dans leurs chansons. Quant aux femmes, elles sont aussi très présentes dans le champ musical du pays. En outre, elles chantent bien ! Parmi leurs thèmes de prédilection, citons, comme chez leurs homologues masculins, la dénonciation de la jalousie, l’exhortation au travail, ou encore un appel à la paix chez les politiciens. Ces chanteuses ont pour nom : Espoir, Ella Martins, Zouley Sangaré, Madou, Love Affo (ancienne danseuse), Zeynab. Rappelons que les deux dernières ont réussi chacune, sur leur récent album respectif (Infidélité et D’un endroit à un autre), à être éclectiques en matière de rythmes. Ainsi, elles sont passées, tour à tour, d’une musique traditionnelle, à une ivoirienne (coupé décalé), pour une plus occidentale…
Voilà de quoi permettre aux artistes dans les autres domaines culturels, de se battre encore plus. La prochaine fois, je vous parlerai du phénomène « coupé décalé » et de son influence dans cette partie du Golfe du Bénin dans laquelle je me trouve.
Arnold Sènou est romancier et journaliste. Dernier roman paru : Ainsi va l’hattéria chez Gallimard.