Chronique : Édimbourg à Montréal – Entre Deuil et Résilience


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Michel Tagne Foko
Michel Tagne Foko

Édimbourg, Écosse, Royaume-Uni, février 2023. Nous sommes, un ami et moi, dans les quartiers de la vieille ville, imprégnés de son architecture emblématique et ses rues pittoresques, en train de dîner à la terrasse d’un restaurant typique de la région. Dans l’attente de nos assiettes, nous écoutons de la musique slave et nous observons les gens déambuler et s’émerveiller dans les rues, malgré le grand froid saisissant. Tout est simple, tout est beau, c’est dans ces moments ordinaires que la beauté de la vie se révèle pleinement… Une atmosphère à la fois particulière et enchanteresse se déploie autour de nous.

Parmi les clients de cet endroit, se trouve une jeune femme qui semble apprécier ma présence. Son visage s’illumine de sourires dès que nos regards se croisent. Au début, je me dis que c’est juste la bienveillance légendaire du coin, les gens d’ici sont connus pour être gentils et accueillants, mais ensuite, je comprends que c’est autre chose.

Il y a comme une connexion qui naît, un peu comme à la télévision, dans les films et séries « Feel-Good », un signe ou peut-être l’un de ces préludes à la magie des rencontres fortuites, où des instants éphémères demeurent à jamais gravés dans nos mémoires.

La jeune femme prend son courage à deux mains et vient faire la conversation. Elle nous offre du champagne, encore et encore. Elle pense peut-être que j’aime ça. Ça se voit qu’elle croit me faire du bien. Si seulement elle pouvait savoir qu’un verre d’eau serait largement mieux apprécié que ce qu’elle me sert et que je consomme par politesse… Le champagne, cette boisson souvent perçue comme un symbole de luxe, est habituellement associé à une image d’universalité, chacun supposant qu’il est apprécié par tous en raison de son prix élevé. Pour ma part, je fais partie de ceux qui ne l’apprécient guère. Peut-être est-ce par conviction personnelle, une forme de rébellion contre l’ostentation des plus fortunés qui s’approprient ce breuvage pour s’en vanter… Je ne suis vraiment pas fan, mais je le tolère, sans enthousiasme particulier.

Je reçois un coup de fil du Cameroun. On m’annonce le décès de ma seconde vraie mère, car là d’où je viens, dans les Grasslands, il n’existe pas de fausses mères. Toutes les mères sont considérées comme réelles. Elle était l’une des épouses de mon père. Une mère, c’est comme un dieu, un véritable tout en soi. Je sais, cela peut prêter à confusion dans un monde où la définition moderne ne se base que sur le biologique et non pas sur l’affectif. On pourrait même croire que cette phrase manque de cohérence ou de chaleur, mais je vous rassure tout de suite, ce n’est en rien une erreur linguistique ; c’est une affirmation consciente.

Dans le royaume des Bandjoun, au cœur du pays bamiléké, à l’Ouest du Cameroun, lorsque vous naissez dans une famille polygame, les épouses de votre père sont de facto vos mères. Vous n’avez pas le droit de faire la différence. Vous devez appeler chacune « maman », même si vous savez pertinemment, en grandissant, qui vous a réellement mis au monde. C’est ainsi, les us et coutumes, ce sont les règles de bienséance. Si vous ne respectez pas ces consignes, vous commettez un affront, et c’est irrespectueux, mal vu, comme une forme de discrimination. Ça choque ! Ça blesse. C’est ainsi, et chacun s’attèle à bien faire…

C’est donc dans cette ambiance de séduction, avec des étoiles qui scintillent dans les yeux, que je reçois cette terrible nouvelle. Et là, stupeur. C’est encore quoi cette histoire de mort ? Je me redresse précipitamment, m’écartant de la foule. Puis, je regagne la solitude de ma chambre d’hôtel. Je suis comme arraché brutalement à ce petit coin de paradis écossais pour être plongé dans les abîmes de l’enfer.

Je me questionne profondément sur ce que j’aurais pu faire différemment lorsqu’elle était encore avec nous. Par exemple, je regrette de ne pas l’avoir invitée à découvrir Salvador da Bahia au Brésil avec moi. Certainement qu’elle aurait adoré le Pelourinho, ses rues pavées, ses maisons coloniales, son histoire, ainsi que cet endroit particulier, le « bar negro », où l’on savoure du bon café arabica et où l’on danse de manière spirituelle, inspirée du candomblé. Voir le carnaval dans cette ville incroyable, se balader sur ces plages extraordinaires.

Que dire de Carthagène des Indes ? Son vieux port, son centre historique, ses églises d’antan, la beauté de ce que l’on voit, son marché villageois, ses nuits animées, la chaleur de ses habitants, la Colombie comme je l’aime, paysanne et parfois moderne à la fois. Cúcuta et ce bon goût du Venezuela, avec ses qualités humaines et ses horreurs… Peut-être ai-je failli en choisissant de militer en faveur des droits humains plutôt que de simplement profiter de sa présence à mes côtés ? Ces questions me tourmentent : ai-je vraiment exprimé tout l’amour que je lui porte ? Peut-elle voir, désormais, de là-haut où elle repose, combien son départ nous laisse dévastés ? Dire adieu à sa mère est toujours un acte horrible. Ça fait un mal fou !

Quelques jours plus tard, le Royaume-Uni perd tout son charme et je suis dans l’avion pour le Canada. Pendant ce temps, au Cameroun, les miens se rassemblent, provenant de tous les horizons, pour accompagner maman FOKO vers sa demeure finale. Je suis l’unique absent, bien que je sois le plus jeune fils de mon père, tendrement surnommé le « petit roi » par les autres membres du clan.

Mon absence est largement due au dictateur impitoyable du Cameroun, Paul Biya, au pouvoir depuis quarante ans, dans un règne sans partage. Il m’interdit de retourner chez moi, vexé, entre autres, par une tribune parue dans les journaux où j’évoque ses crimes sur les populations diverses, ses fragilités physiques et ses poses orgueilleuses. Étant de nationalité française, je dois donc rester là-bas, susurrent ses partisans, sous le voile du crépuscule des confidences.

Dès mon arrivée à Montréal, mes amis me montrent combien ils m’aiment. Afin de me réconforter, ils décident d’organiser une veillée à la mémoire de la défunte, dans une banlieue huppée de la ville, chez notre merveilleux complice et frère Kamga… C’est là où je vois, de manière claire et ferme, l’importance des amis dans une vie, dans la mienne. Savoir qu’on n’est jamais seul dans ce genre de moment est un réconfort absolu que je souhaite à tout le monde, on devrait tous avoir des amis, des vrais…

Il est temps d’aller de l’avant, et en plus, il fait beau aujourd’hui, un soleil magnifique et les oiseaux qui chantent en volant dans le ciel, comme un air d’automne, même si nous sommes encore en plein hiver par ici. Nicaise, une amie qui vit à Chicago (États-Unis), m’emmène dans notre coin préféré de la rue Sainte-Catherine, à proximité du Quartier Latin.

Cette rue est bien plus qu’un simple axe urbain. Elle incarne l’âme bouillonnante de Montréal où la vie bat son plein jour et nuit. Chaque coin de cette artère vibrante nous rappelle les instants partagés, des rires échangés. On a souvent rêvé d’y vivre, charmés par son ambiance animée et sa diversité culturelle. Il y a de plaisants bars et de la musique techno à l’intérieur, un peu comme à la rue d’Aerschot à Schaerbeek (Bruxelles, Belgique), mais sans les vitrines des dames galantes…

Après quelques pas et des discussions animées, nous avons enfin atteint Berri-UQAM, plus précisément la BANQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec). Je pense que ce qui l’intéresse le plus, c’est de me montrer un de mes livres sur un présentoir dans ce lieu important. C’est souvent le cas avec mes amis, même si je trouve cette pratique bizarre. Ça me met mal à l’aise, un peu comme Thomas, qui, à Auckland, en Nouvelle-Zélande, prend un selfie chaque fois qu’il voit un de mes livres dans une bibliothèque.

Même si je suis tout à fait conscient d’avoir une œuvre exposée ici, je m’étonne grandement devant l’intense émotion qui m’envahit d’un coup, lorsque la bibliothécaire me remet le livre en main propre, avec ma photo en couverture. Au-delà de la fierté de voir mon travail sur cette étagère du rayon documentaire, c’est comme si tout à coup mes mots prennent une forme tangible, incarnant une part de moi-même…

Ah, les nuits montréalaises… C’est l’éclat des quartiers iconiques comme le Vieux-Montréal, le Plateau-Mont-Royal et le Quartier des Spectacles. Les rues s’animent, vibrant au son de la musique des passants, des artistes de rue et des charmants cafés. C’est une toile où histoire et modernité se marient, où chaque coin dévoile une nouvelle facette de cette ville cosmopolite. Et l’air, ah, cet air nocturne chargé de mystère et de promesses, porteur d’une quiétude rare, un baume pour l’âme en quête de paix. La beauté de Montréal la nuit réside dans cette atmosphère apaisante, où le bonheur se niche dans chaque recoin, offrant un spectacle unique à ceux qui prennent le temps de l’admirer. Eh oui, Montréal, je t’aime !

Michel Foko
Michel TAGNE FOKO Écrivain - Journaliste - Éditeur | Fondateur : LA PRESSE DU SOIR, ÉDITIONS DU MÉRITE, LE QUOTIDIEN JULIA, etc
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