En 1960, la France, au moment d’accorder les indépendances à ses anciennes colonies, a imposé la signature de nombreux accords dans plusieurs domaines. Il y avait les accords sur le franc CFA, les accords sur l’exploitation des ressources minières et stratégiques soumise à des conditions spéciales, donnant la préférence à la France et les accords de coopération militaire et de défense. Ces dispositions obéissaient à ce que Jacques Foccart appelait : » la nécessité de s’organiser car ce sont les indépendances, nous devons partir mais nous devons nous organiser pour mieux rester. » Cette panoplie d’accords s’assimilait à une véritable corde autour du cou des pays africains qui venaient d’accéder à une soi-disant « souveraineté ».
Il fallait maintenir la dépendance malgré l’octroi de l’indépendance
Une souveraineté fictive dans la réalité : étau monétaire, contrôle de l’exploitation des richesses minières, surveillance vigilante par une base militaire chargée de veiller à la défense des intérêts français. Autrement dit, une situation économique, politique et militaire totalement sous contrôle, permettant ainsi à la France d’avoir toujours une mainmise totale sur ses colonies. Aujourd’hui, plus d’un demi siècle après, la situation est pratiquement la même.
Dans le domaine militaire, des accords de défense (RCA, Côte d’Ivoire, Gabon) d’une part, des accords de coopération en matière de défense avec le Togo, le Cameroun, Djibouti, Tchad et un pacte avec le Sénégal et Comores d’autre part, furent signés et enfin, d’autres pays d’Afrique subsaharienne signèrent des accords de coopération militaire. Les pays africains ont trouvé quelques avantages constitués par des dons d’équipements militaires et d’assistance en matière de formation dans la gendarmerie, la police et l’armée. La France les a utilisés d’ailleurs, très efficacement pour pénétrer les anciennes colonies belges qu’étaient le Rwanda, le Burundi et le Zaïre.
Malgré les fluctuations de la politique intérieure française exprimées par les discours des hommes politiques sur un retrait des forces militaires françaises en 2008, où l’on nous annonçait la fermeture des bases militaires pour ne garder que celle de Libreville et de Djibouti, il n’en a jamais été réellement le cas; et même dans cette hypothèse, il était toujours question de maintenir plus de 5000 hommes en Afrique.
57 ans après les indépendances, le 15 septembre 2017, la Ministre française de la Défense déclara que « la présence militaire française à l’extérieur n’a jamais été aussi importante de toute son histoire ». 7500 hommes répartis dans 8 pays africains, sans compter les forces spéciales entre 3000 à 4000 hommes.
Les autorités françaises estiment que la France doit être présente militairement en Afrique pour garder son statut international et répondre à son aspiration stratégique d’être une puissance qui compte dans le monde. Pour ce faire, le dispositif des bases militaires françaises est parfaitement organisé et implanté pour répondre avant tout aux intérêts français. C’est pourquoi, toutes sortes d’accords le façonnent et le modèlent pour s’adapter aux besoins. Comme dit ci-dessus, les accords de défense et de coopération militaire sont, aujourd’hui, la base légale de sa présence militaire en Afrique. La question de la légitimité de cette présence est un autre débat. Sur le plan du statut juridique, il y a plusieurs types d’implantations militaires.
Il y a les prépositionnements de droit ; ce sont les bases militaires implantées de manière permanente : Sénégal, Gabon et Djibouti et puis, il y a les opérations extérieurs (OPEX), comme par exemple, Serval au Mali, Sangaris en RCA, mais il y a aussi les OPEX qui deviennent des prépositionnements « de fait » parce qu’elles sont présentes depuis très longtemps, au titre d’opérations extérieures qui, du fait de l’évolution de leur mission, sont aujourd’hui, considérés comme des prépositionnements de droit, c’est le cas pour l’Opération Épervier au Tchad depuis 1986, et Licorne en Côte d’Ivoire. Les forces spéciales complètent ce dispositif, très discrètes, véritables forces de frappe, elles sont présentes dans toutes les zones d’intervention: Tchad, RCA, Mali, Côte d’Ivoire, Libye etc. Il existe d’autres distinctions plus techniques selon la mission assignée à ces positions militaires.
Les forces militaires françaises, au Sénégal ou au Tchad, n’ont pas la même mission. A Ndjamena, on a une base opérationnelle avancée (BOA), idem en Côte d’Ivoire où la mission s’est modifiée compte tenu de l’Opération Serval au Mali. Le nouveau schéma en 2017 du ministère de la défense français est le maintien de toutes les implantations et le déplacement du centre de gravité vers la bande sahélo-saharienne, guerre contre le terrorisme oblige.
Les bases militaires sont implantées en Afrique selon un schéma bien pensé qui a mis en avant le choix stratégique d’une présence très discrète. Ce choix de la discrétion est une option stratégique très importante compte tenu de la perception négative des populations de cette présence. L’effet recherché est qu’on oublie même leur présence. On peut faire le constat que, dans de nombreux pays, la plupart des responsables, membres du gouvernement, ignorent le nom du colonel qui commande la base militaire installée dans le pays, le nombre de militaires, et leurs principales activités etc..
Dans la présentation des missions de la base, l’aspect coopération est toujours mis en avant, dans le but de polir l’image des forces françaises, celles-ci interviennent pour des soins de santé dans certains pays, dans la réparation de routes ou des actions de lutte contre les incendies. Dans un pays comme le Tchad, les militaires français vivent en autarcie totale, loin des populations avec qui, elles n’ont pratiquement aucun contact, surtout dans les villes.
La récente implantation des militaires français au Niger avec les drones Reaper a soulevé beaucoup de problèmes. Le Président de l’Assemblée Nationale nigérienne a publiquement dénoncé le fait que les députés n’aient pas été informés au préalable sur les conditions d’acceptation de cette base étrangère. C’est l’occasion de dire que les représentants du peuple que sont les députés ne sont ni informés, ni consultés avant la signature de ces accords qui relèvent du domaine réservé, presque du Secret Défense, du Chef de l’Etat, qui seul décide.
Il faut bien comprendre que les autorités françaises le veulent aussi ainsi. Tout le monde aura relevé la précipitation d’un Nicolas Sarkozy pour faire signer à Paris les nouveaux accords de coopération militaire avec le Sénégal, au Président Macky Sall, fraîchement élu, lesquels accords avaient, auparavant, été remis en question par Abdoulaye Wade sur certaines dispositions.
On pourra souligner le glissement dans la dénomination de ces implantations avec l’abandon de l’appellation « base militaire » considérée comme ayant une charge négative, au profit des « Éléments Français au Sénégal » par exemple. Cette consigne pour l’observation d’une discrétion maximale dans leur fréquentation des lieux publics ou lieux de plaisir obéit à une part sombre de leurs activités que chaque militaire a bien intériorisé, car en cas de crise grave, nécessitant d’intervenir, il va falloir « nettoyer » comme disent les légionnaires.
Pour être prêt, il est impératif de se camoufler, de se faire oublier dans le pays d’accueil. Un autre élément concoure à ce choix, c’est l’immunité de juridiction accordée aux militaires français qui ne sont passibles que devant les tribunaux français même pour des crimes commis contre les nationaux et sur le territoire du pays d’accueil. Récemment, en RCA, des actes de pédophilie et de viols sur des jeunes enfants avaient été perpétrés par des militaires français mais opérant sous pavillon des Nations Unies. Ils ont été exfiltrés par leur État-Major vers la France et l’affaire a été classée sans suite, malgré le témoignage accablant d’un haut fonctionnaire néerlandais des Nations Unies..
Cette discrétion ne signifie pas immobilisme car ces forces continuent d’accomplir leurs missions multiformes comme on le verra plus tard. Pour satisfaire à une démarche pédagogique, Il convient d’expliciter d’abord, les innombrables avantages que procurent à la France, l’implantation de nombreuses bases militaires dans 8 pays africains, de bien comprendre pourquoi elle les a maintenues pendant 57 ans, et n’envisage à aucun moment de les fermer. La conservation de son empire africain est à ce prix.
La présence des forces françaises en Afrique est un atout extraordinaire pour la France, sa stature internationale, son rang de 2éme puissance économique européenne et de 5éme puissance militaire mondiale repose en grande partie sur son influence sur les pays africains. Un éventuel désengagement serait tout simplement désastreux pour elle. Et la place serait immédiatement prise par d’autres pays. Elle le sait bien, ses Généraux n’ont de cesse de le répéter aux hommes politiques qui veulent procéder à des coupes dans le budget de la Défense.
Les relations entre la France et l’Afrique sont si étroites que c’est tout naturellement que les commandes d’armes, de matériels et d’équipements militaires se font en priorité auprès des industries d’armement de l’hexagone. S’il est vrai que, dans les zones de conflits et de guerre, la Kalachnikov a détrôné depuis longtemps, tout autre fusil d’assaut, pour le reste, tout est majoritairement un équipement français. Même si, un détail ; Israël a bien vendu récemment son fusil d’assaut TAVOR, à certaines gardes présidentielles, réputé plus que la Kalachnikov.
Par ces bases militaires, l’industrie de l’armement en France a pleinement bénéficié de grands espaces d’entrainement mais aussi et surtout de l’absence totale de contraintes relevant de la sécurité, de la santé des populations et aussi du respect de l’environnement, pour tester de nouvelles armes. En outre, pour maintenir en état opérationnel, un équipement militaire constitué d’avions, de chars, qui a coûté une fortune aux contribuables français, de grandes facilités sont indispensables. Ainsi, faire décoller des mirages et des jaguars devient chaque jour plus compliqué en France. Un avion comme le Jaguar est un avion de combat qui, parfois, a besoin de voler à basse altitude, chose absolument impensable en France. Son bruit assourdissant, ses incroyables nuisances sonores, transforment le quotidien des populations en un véritable enfer. Quant aux crises de terreur des bébés, n’en parlons même pas !
Mais qui s’en soucie ? Tous les Tchadiens en savent, quelque chose, ces nuisances sont aujourd’hui imprimées dans leur mémoire et ils sont à même d’identifier un mirage, un jaguar ou tout autre avion de guerre français au décollage, et ce, même dans ce paisible ciel dakarois.
Quand un pays possède des avions bombardiers type Jaguar et Mirage, la tentation est grande de les tester réellement en position de combats et d’apprécier les performances en dégâts humains et matériels occasionnés par les frappes. On comprend pourquoi, très facilement, des interventions d’hélicoptères Puma, de frappes par des jaguars et mirages ont rasé, sans aucun état d’âme, les différentes rebellions au Tchad. Peut-on me dire, selon quel schéma, une telle expérience est possible en France ?
Soulignons aussi, l’opportunité unique offerte aux militaires français de s’entrainer à balles réelles dans les pays où sont implantées les bases militaires. Grâce à des années d’entrainement, sur les terres africaines, à moindre frais, de tous ses corps d’intervention, la France est le seul pays européen à avoir fait la démonstration de ses capacités et compétences opérationnelles, aujourd’hui, érigées en véritable expertise largement diffusée vers ses partenaires européens.
Les bases militaires françaises en Afrique sont un élément de contrôle, de maintien et de défense des intérêts économiques français. Grâce à leur potentiel technologique important, la surveillance des communications téléphoniques et autres, qui ne se limite pas au seul pays d’accueil de la base, mais s’étend à tous les pays limitrophes où existent, de fait, les mêmes intérêts économiques à protéger et à développer. D’où la notion de pré-carré français. Une farouche détermination anime et guide les autorités politiques françaises dans la défense de ces territoires ; qu’elles soient de gauche ou de droite, les politiques ne peuvent changer là où les intérêts économiques restent les mêmes. L’installation du groupe Bolloré sur les côtes africaines du pré carré avec une situation de quasi monopole permet, de fait, le contrôle des importations et exportations du pays d’accueil, ce qui peut poser problème en cas de crise, sans compter l’existence d’une complicité évidente avec les éléments de la base militaire, comme on l’a vu lors de la crise ivoirienne ; des hélicoptères en pièces détachées étaient dans des conteneurs pour la rébellion mais déclarées comme des denrées alimentaires pour les militaires de l’opération Licorne.
Les enjeux de sécurité maritime supposent pour la base militaire de contrôler toute la trajectoire des acheminements stratégiques pour, par exemple, Ndjamena ; la ligne rouge part de la Rochelle, de Toulon vers Dakar puis Abidjan, Douala et enfin Ndjamena. Ce qui explique la main mise effective des forces françaises sur les côtes maritimes de l’espace françafricain.
La coopération militaire existant entre la France et les pays du pré-carré francophone comporte un volet formation très important. C’est une vraie plus-value pour la France quand elle a des forces qui opèrent dans 8 pays « souverains », que les chefs d’état-major des armées de l’air et de terre de ces pays soient issus des rangs des Écoles françaises. Cela offre un bon levier d’influence. Les réductions budgétaires imposées au secteur de la Défense, ont touché les écoles de formation au sein desquelles les officiers africains étaient accueillis. Depuis quelques années, des écoles à formation régionale ont été créées dans plusieurs pays africains. Nombre de généraux français ont déploré que pour « des économies de bouts de chandelles » la France perde l’avantage du grand brassage que permet la formation au sein des écoles françaises. « Nous perdrons des relais d’influence qui constituent un atout important construit dans la durée, utile en matière de renseignements, mais aussi, en cas de crise pour améliorer notre réactivité laquelle a été la clef du succès dans la bande sahélo-saharienne ». En outre, déplore le Général Denis Mercier, de cette politique de ne plus former les officiers africains en France, résulte un effet d’éviction des officiers africains, à un moment où les Américains, les Chinois et même les Turcs proposent des formations aux officiers africains chez eux. Si cela continue, on le regrettera amèrement dans quelques années.
Ce point est très important car des officiers africains formés en Chine, par exemple, choisiront demain des armes chinoises pour leur pays. Sans compter qu’ils ne seront plus des relais d’influence et de renseignements pour la France, comme c’est le cas aujourd’hui.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’une des missions fondamentales des bases étrangères consiste en une parfaite connaissance du territoire mais aussi une identification complète des moyens de défense et d’information des différentes forces du pays d’accueil.
Des études et une observation minutieuse des populations dans leur composante ethnique et tribale sont conduites et constituent une base de données importantes mises à la disposition des hommes politiques français. Ces informations sont très utiles, elles seront exploitées pour semer la « fitna » entre les populations dès que des directives politiques seront données. Une véritable cartographie et un scan des forces et faiblesses des capacités militaires africaines, mais aussi un fichage complet et détaillé des responsables militaires permettent de favoriser la promotion de certains mais aussi d’écarter les esprits indépendants.
Le paradoxe est frappant, quand on réalise d’une part, que rien de ce qui se passe dans le pays d’accueil ne peut échapper aux autorités de la base que ce soit sur le plan militaire, sécuritaire, politique grâce à leur propre réseau d’écoutes qui s’étend à toute la sous-région, et à leurs relais d’influence positionnés dans toute la machine étatique et, d’autre part, qu’aucune autorité du pays d’accueil ne sait ce qui se passe au sein des bases militaires. Personne ne peut dire ce que transportent les avions qui atterrissent dans les aéroports au sein de la base. Même, le Président de la République du pays d’accueil ne peut dire qu’il est courant de ce qui se passe à l’intérieur des bases militaires installées dans son pays.
Par cette forte posture, par cette emprise indéniable sur le pays d’accueil, ces forces militaires installées avec des moyens militaires supérieurs, le dominent de fait mais aussi développent un complexe d’infériorité, voire de sujétion dans nos armées. Les pays africains n’ont pas de véritable souveraineté.
La France, gendarme de l’Afrique? Incontestablement ! Entre 1960 et 1990, 79 coups de force ont réussi en Afrique, pendant la guerre froide où les rivalités EST-OUEST ont entrainé les Africains dans de nombreuses guerres de substitution. La forte présence militaire étrangère n’est toujours pas gage de stabilité, de sécurité et de paix pour les populations africaines. En effet, de 2008 à 2013, d’importantes turbulences politiques ; coups d’Etat, tentative de renversement, crise constitutionnelle, terrorisme de Boko Haram, d’AQMI ont secoué de nombreux pays africains. A l’examen des évènements politiques graves, loin d’être une force favorisant le dialogue, la paix, la stabilité, on relèvera qu’en période de crises internes, de conflits politiques dans le pays, cette présence militaire française sortira de sa discrétion et deviendra un acteur majeur, qui s’ingérera dans le conflit en cours, prendra position et pèsera de toutes ses forces pour en déterminer l’issue, aiguillonnée par ses seuls intérêts au détriment de ceux du pays d’accueil.
S’arrogeant de fait, un droit d’intervention militaire, qu’importe ce que prévoient les accords, la France se réservera seule le droit d’apprécier,
selon ses intérêts, chaque situation et finalement d’agir en conséquence.
L’histoire contemporaine des crises politiques africaines nous l’a démontré, maintes fois, et il ne s’agit pas de parler dans l’abstrait mais bien au contraire, de donner des exemples concrets qui édifieront l’opinion sur les dangers d’une présence militaire étrangère qui peut, à tout moment, constituer une menace pour la stabilité et la paix du pays d’accueil. Ce qui, prochainement fera, si Dieu le veut, l’objet de la deuxième partie.
Par Fatimé Raymonne Habré