Des milliers de chrétiens coptes ont assisté lundi devant la cathédrale copte du Caire aux funérailles de 17 des 25 manifestants tués dimanche lors d’affrontements avec les forces de l’ordre. Ces violences ont éclaté durant une marche de protestation des coptes contre l’attaque d’une église par des islamistes radicaux la semaine précédente dans la province d’Assouan. Depuis la chute de Hosni Moubarak en février 2011, qui a laissé place à certains courants fondamentalistes comme les salafistes, les coptes craignent pour leur avenir en Egypte. Des craintes légitimes pour Christine Chaillot, écrivain spécialiste des chrétiens du Moyen-Orient qui écrit des articles et livres depuis 30 ans sur ces communautés. Son dernier livre, Les chrétiens coptes d’Egypte. Des discriminations aux persécutions (1970 2011), est paru en septembre 2011 aux éditions de L’œuvre. Entretien.
Afrik.com : Dans quelle situation vivent actuellement les chrétiens coptes d’Egypte ?
Christine Chaillot : Depuis la période qui a suivi la révolution égyptienne de janvier et février 2011, on constate une recrudescence d’attaques contre les chrétiens coptes d’Egypte, qui est la plus importante communauté chrétienne du Moyen-Orient (environ 10% soit entre 7 et 8 millions d’Egyptiens). Il est d’ailleurs important de rappeler qu’Alexandrie est le premier siège du christianisme sur le sol africain. La première Eglise d’Afrique noire est celle d’Ethiopie qui dépendit dès le début du 4ème siècle de l’Eglise copte orthodoxe d’Alexandrie, et ceci jusqu’en 1959. C’est à cette date que le patriarcat de l’Eglise orthodoxe éthiopienne indépendante a été formé, avec son siège à Addis-Abeba.
Afrik.com : Quelles sont les origines de ces violences en Egypte ?
Christine Chaillot : Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à ce type de violences contre les coptes. Il est innaceptable que les forces de l’ordre aient fait usage de la force contre les manifestants dimanche! L’islamisation du pays s’est renforcée dès les années 1970. Lorsque Sadate devint président de l’Egypte, il a alors libéré des milliers de Frères musulmans emprisonnés sous Nasser, et qui ce sont très bien réorganisés jusqu’à nos jours. Ces Frères musulmans sont devenus la force politique la plus importante et la mieux organisée aujourd’hui en Egypte. Ils sont devenus puissants en particulier par le biais des syndicats et en organisant de très nombreuses actions sociales qui les ont rendus très populaires dans tout le pays. D’autre part, en 1981, Sadate a fait passer un nouvel article dans la Constitution égyptienne. Il s’agit de l’article 2 qui dit que la loi de la charia, la loi islamique, est la source principale de la Constitution égyptienne. Aujourd’hui, les Frères musulmans, mouvement fondé en 1928, ainsi que d’autres islamistes, souhaitent appliquer la charia en Egypte. Les Frères musulmans sont mûrs pour demander le pouvoir et l’obtenir à plus ou moins long terme.
Aux élections parlementaires annoncées pour fin novembre 2011, les Frères musulmans obtiendront sans doute un très grand nombre de voix. Il faut toutefois souligner que les Frères musulmans n’ont pas commis d’actions violentes.
Afrik.com : Qui sont les auteurs des troubles en Egypte?
Christine Chaillot : Après la révolution de janvier et février 2011, ce sont les musulmans salafistes qui ont été les auteurs de violences vis-à-vis des chrétiens coptes. Ils souhaitent un retour à un « Islam pur ». Peut-être aux salafistes se mêlent d’autres groupes extrémistes violents. On n’a pas suffisamment de données pour en avoir la certitude. Le fait est qu’actuellement on assiste à des attaques très violentes contre les coptes qui souhaitent manifester leur existence en tant que minorité et en tant que citoyens égyptiens qui demandent des droits égaux pour tous, musulmans et chrétiens. Ils représentent environ 10% de la population égyptienne (entre 7 à 8 millions). Après la révolution, de nombreux musulmans et chrétiens ont souhaité et souhaitent encore la démocratie et la liberté religieuse. Les extrémistes musulmans ont aussi attaqué des musulmans soufis, considérés comme hérétiques. Ces derniers ont été obligés de demander protection auprès du gouvernement égyptien. En effet, les extrémistes pensent que les soufis ne sont pas en adéquation avec « l’Islam pur » qu’ils veulent instaurer. Si à l’avenir on applique à la lettre l’article 2 de la Constitution égyptienne, les non musulmans redeviendront des soumis (dhimmis en arabe) comme cela fut le cas depuis l’arrivée des musulmans en Egypte au 7e siècle et jusqu’au milieu du 19e siècle. Ce serait terrible, en notre début du 21e siècle, d’assister à un tel retour en arrière: car alors, comment parler et établir l’égalité de tous les citoyens et aussi les droits de l’Homme?
Afrik.com : Quel rôle l’armée va-t-elle jouer à l’avenir pour mettre un terme à la recrudescence des violences intercommunautaires ?
Christine Chaillot : Comment arrêter la violence ? L’armée doit répondre à cette question cruciale si elle veut la paix en Egypte. Il est évident que face à l’opinion internationale l’armée doit tout faire pour sauver la face et établir l’ordre et la paix. Mais elle est confrontée à des groupes ou groupuscules et à des personnes violentes, très difficiles à contrôler, et qui souhaitent semer la terreur, sans doute pour leurs propres intérêts politiques et religieux. Actuellement, la violence peut éclater n’importe où et n’importe quand en Egypte, en particulier sur la place Tahrir, qui est le centre des manifestations depuis la révolution. L’armée avait promis après la révolution de janvier-février d’être un gouvernement de transition. Mais elle va sans doute essayer de garder un certain pouvoir dans le gouvernement égyptien à venir. Par exemple, il y a actuellement des pourparlers entre elle et les Frères musulmans. Chacun des deux camps, et aussi tous les partis politiques anciens ou récents, préparent l’avenir selon leurs propres intérêts. Les Frères musulmans n’auront sans doute pas la majorité aux élections parlementaires, mais les observateurs pensent qu’ils obtiendront le plus grand nombre de voix dans le futur Parlement.
Quant à l’armée, ce qui complique encore davantage la situation, c’est qu’au sein même de l’armée, il y a des Frères musulmans et des extrémistes musulmans. L’armée égyptienne est donc divisée. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Nasser l’armée est toute puissante. Elle veut continuer à jouer un rôle en Egypte. D’autres acteurs entrent en jeu au Moyen- Orient ou ailleurs, comme les Etats-Unis qui ont donné depuis des décennies des sommes considérables non seulement pour des projets de dévelopement mais aussi pour l’armée égyptienne. Ils sont incontournables.
Afrik.com : L’armée est de plus en contestée par le peuple égyptien qui portait beaucoup d’espoir en elle après la révolution pour rétablir la démocratie. Comment expliquez-vous la perte de cette aura ?
Christine Chaillot : L’armée a perdu son aura auprès des Égyptiens qui ont cru en la révolution et ont espéré que le temps de la démocratie était arrivé. Appliquer la démocratie, ce n’est pas une simple question de temps. A ce sujet, on ne peut pas changer les mentalités en quelques mois, comme certains occidentaux se l’imaginent naïvement. D’autre part, il y a des Egyptiens musulmans qui veulent appliquer la charia : c’est leur souhait le plus profond. Il est très difficile de tous les satisfaire. Certains extrémistes musulmans sèment un désordre considérable en Egypte par des actes de grande violence. Ils font même trembler le gouvernement de transition. Ce qui montre la puissance et la force que peuvent prendre même des groupuscules. Il faut espérer que les musulmans modérés votent en grand nombre pour les partis libéraux, ce qui permettrait à l’Egypte de garder un esprit ouvert et démocratique à l’avenir, et aussi pour que musulmans et chrétiens puissent cohabiter comme des citoyens égaux. D’autre part, l’islamisation ne touche pas seulement l’Egypte mais aussi ses pays voisins. Je peux comprendre moi-même pourquoi des musulmans politiques et pieux souhaitent un Etat islamique. On est arrivé à un moment dans l’histoire où beaucoup de musulmans recherchent leur identité religieuse, et cela aboutit à l’idée d’un Etat islamique, puisque religion et gouvernement ne sont pas séparés dans l’islam. Les questions principales qui se posent sont donc : comment faire admettre aux musulmans très religieux l’existence des minorités ainsi que leurs droits religieux ? Comment garder le dialogue entre des gens qui ont des idées très différentes ?
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