Depuis vendredi dernier, de nouvelles tensions ont éclaté entre la communauté musulmane et copte en Egypte. Les chrétiens coptes sont régulièrement victimes de violences et discriminations dans le pays. Comment a évolué leur situation depuis l’arrivée de Mohamed Morsi au pouvoir ? Christine Chaillot, chercheuse spécialiste des chrétiens du Moyen-Orient, qui écrit des articles et livres depuis 30 ans sur cette communauté, analyse la situation. Entretien.
Afrik.com : Dimanche dernier, un copte a péri dans des violences après les funérailles de quatre membres de sa communauté, tués samedi lors de violents heurts avec des musulmans. Cette nouvelle flambée de violences montre que les coptes vivent encore dans des situations difficiles. Est-ce que cela signifie que Mohamed Morsi n’a pas tenu ses promesses les concernant?
Christine Chaillot : Aucune promesse faite par Morsi n’a été tenue depuis son élection, y compris pour répondre aux problèmes économiques très graves. On ne voit aucun signe de changement ni de démocratie. Les musulmans libéraux et les coptes s’en plaignent et certains continuent de manifester ouvertement pour le signifier. Tout cela est de plus en plus difficile à vivre pour les coptes, au quotidien. Les conditions de vie quotidienne des coptes se détériorent. Par exemple, on constate des enlèvements de jeunes filles coptes parfois mariées de force à des musulmans. Des chrétiens se voient refuser des emplois surtout au niveau supérieur dans les écoles, universités, hôpitaux et banques de l’Etat.
Afrik.com : Les coptes et musulmans vivaient en harmonie à une certaine époque. Les tensions entre les deux communautés ont débuté quand?
Christine Chaillot : Il faut tout d’abord comprendre que ces agressions qui ont débuté en particulier dans les années 1970 se sont multipliées pendant ces dernières décennies. Alors qu’on pouvait espérer une accalmie dans la poussée de la révolution qu’on pensait être démocratique, on constate que les problèmes des coptes se sont endurcis et que les attaques contre les coptes augmentent. Les violences des islamistes, salafistes et autres, continuent. Leurs médias et sites internet sont responsables de propager des idées de haine à l’encontre des chrétiens : on y insulte le christianisme ouvertement, par exemple sur des chaînes de télévision salafistes. Comment organiser un esprit de dialogue, d’entente, de paix et d’unité nationale dans ces conditions ? Même les juges ont peur des salafistes qui parfois sont nombreux à entourer les tribunaux selon les causes à juger. On m’a dit qu’il y a des pressions jusqu’au niveau des ministères. Certains salafistes ont même fait des listes des personnalités chrétiennes et même musulmanes à tuer. Selon certain, on veut aussi dégoûter et effrayer les coptes pour qu’ils quittent leurs pays.
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Afrik.com : Quelles sont les solutions pour que ces violences cessent?
Christine Chaillot : La solution principale consiste tout d’abord à faire cesser les violences de toutes sortes et à ne montrer aucune complicité avec les agresseurs. C’est bien sûr avant tout le rôle et la responsabilité du gouvernement et du président Morsi de protéger les coptes. Il faut que le gouvernement démontre sa ferme volonté à s’opposer à tout incident sectaire et s’organise sérieusement à différents niveaux pour empêcher toute violence à venir. Les coptes se plaignent aussi que la police ne joue pas son rôle de défense des citoyens coptes qui sont eux aussi des Egyptiens à part entière. Mais il ne suffit pas d’envoyer des policiers lorsqu’il y a des problèmes. La question est beaucoup plus complexe. Il faut comprendre les raisons premières de tout cela et en faire une analyse en profondeur.
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Afrik.com : Les coptes dénoncent régulièrement le fait qu’ils soient mal représentés dans la vie politique égyptienne. Sont-ils mieux représentés au Parlement?
Christine Chaillot : Au niveau du gouvernement, les coptes ne sont pas représentés proportionnellement. Un copte, Samir Morcos, qui a fait partie du groupe gouvernemental proche de Morsi, a donné sa démission lorsque Morsi a voulu imposer son pouvoir absolu de président, car il ne s’est pas senti informé et ne pouvait pas dans ces conditions coopérer véritablement au niveau du poste qu’on lui avait attribué. C’est très regrettable car Morcos est un grand spécialiste de la citoyenneté et des contacts avec les milieux musulmans de toutes catégories. Dans la nouvelle Constitution égyptienne acceptée par le peuple fin 2012, on trouve de nouveaux articles aux tendances très islamiques, et donc non favorables aux coptes, ni aux musulmans libéraux d’ailleurs. Il reste à voir comment ces articles seront appliqués à l’avenir dans la réalité.
Afrik.com : Avec ces nouvelles tensions, le pouvoir en Egypte pourrait-il changer de politique à leur égard pour apaiser la situation?
Christine Chaillot : En mars 2013, il n’y avait qu’une seule copte ministre au gouvernement. Il faudra attendre le résultat des élections, fin juin 2013, pour voir si le nouveau Parlement égyptien sera peut-être un peu plus libéral, si les élections ne seront pas trafiquées, et pour voir aussi quelle sera la proportion des parlementaires islamistes, Frères musulmans et salafistes. Il faudra alors comparer leur pourcentage et leur augmentation ou pas par rapport aux élections de novembre 2011 (alors 36% Frères musulman et 25% salafistes) et faire le compte final des chrétiens présents au Parlement et au gouvernement aux niveaux ministériel et autres.
Afrik.com : Quelles sont les solutions au problème copte selon-vous?
Christine Chaillot : Le gouvernement s’il voulait soutenir un véritable esprit démocratique devrait contrôler les médias à tous les niveaux pour qu’ils cessent leur propagande de haine. Il faudrait instruire les gens pour leur expliquer ce que sont la démocratie, la citoyenneté et les droits de l’Homme, y compris via les médias, y compris la télévision, et via les ONG et aussi le gouvernement bien entendu. Il faudrait que tous les Egyptiens libéraux musulmans et non musulmans en Egypte et ailleurs aussi continuent de manifester pour la démocratie et pour la liberté pour tous en Egypte. Comme me l’a dit récemment dit Naguib Gabriel, fondateur d’une ONG : « A l’ avenir, nous devons continuer de mener un long combat au niveau civil afin d’essayer d’établir une démocratie réelle en Egypte ». La révolution doit continuer, mais pas forcément seulement par des manifestations.
Afrik.com : C’est à dire?
Christine Chaillot : Avant tout, il faudrait changer les mentalités déjà trop répandues de tous ceux qui haïssent les chrétiens en les traitant d’êtres impurs (kafara) et inférieurs ; et ceci tout d’abord au niveau de certains chefs religieux islamistes, et puis au niveau des gens qu’ils arrivent à convaincre, en faisant appel à leur sens religieux en leur disant d’être « de bons musulmans ». Cela paraît très difficile pour ne pas dire impossible dans la situation actuelle, mais ce serait là une véritable révolution !
Afrik.com : Quel rôle pourrait jouer les puissances étrangères auprès du gouvernement pour apaiser les tensions entre coptes et musulmans?
Christine Chaillot : Les puissances étrangères comme les Etats-Unis et l’Union européenne doivent constamment rappeler au gouvernement égyptien ses devoirs face à tous les citoyens égyptiens, et ils ne devraient plus envoyer d’aide financière si ces accords sur les droits de l’homme ne sont pas respectés. Sur place, il faudrait que tous les gens de bonne volonté qui souhaitent le calme et la sécurité en Egypte, y compris au niveau du nouveau Conseil des Eglises d’Egypte et de Al-Azhar, travaillent tous ensemble avec la meilleure collaboration possible et continuent inlassablement à faire des appels généraux pour la tolérance religieuse réciproque et le respect d’autrui.