Christelle Nadia Fotso : « Lorsqu’on a eu beaucoup de chance, il est difficile d’être lucide »


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Christelle Nadia Fotso
Christelle Nadia Fotso

Avocate à New York, fille du puissant homme d’affaires camerounais, Fotso Victor, Nadia Christelle est au Cameroun pour la promotion de son premier roman. Nous avons rencontré cette jeune femme diplômée au possible, douée, et nantie d’une culture qui va puiser ses références aussi bien dans la langue de Shakespeare que celle de Molière, qu’elle manie avec un bonheur égal.

Afrik.com : Votre langue maternelle, la pratiquez-vous également ?

Christelle Nadia : Ma langue maternelle est le français donc ma réponse est oui puisque je parle anglais en Français. Je ressens, j’aime en Français donc … Cela va sembler étrange mais je n’ai jamais pensé que l’identité se résume à langue. Ma grand-mère ne parlait pas français mais cela ne nous a jamais empêché de communiquer. Aujourd’hui encore lorsque de l’au-delà où elle se trouve, elle veut me dire quelque chose, elle le dit et sans comprendre sa langue, je la comprends.

Afrik : Les empreintes des choses brisées ! « L’empreinte » invoque la trace d’un événement qui a eu lieu, quand les « choses brisées » renvoient généralement à des échecs et des souffrances. Diriez-vous que vous êtes une jeune femme tournée vers son passée, tourmentée par son histoire ? La princesse d’Eluard « rit pour cacher sa douleur d’elle-même » ; peut-on dire que vous écrivez pour cacher une sorte de désabus affectif ?

Christelle Nadia : Je n’écris pas pour cacher mais montrer en essayant tant bien que mal de poétiser des vérités parfois détestables et de rendre des choses inesthétiques belles. Comme Eluard, j’ai la beauté facile et cela rend tout très compliqué mais j’aime les belles choses compliquées.

Je dirais que je suis une femme tourmentée, torturée tout court qui essaye de se libérer de ses choses brisées et d’assumer sa liberté. Les désabus affectifs ? Bah, j’ai la chance d’être une guerrière amoureuse. Je ne sais pas souffrir, c’est pourquoi j’écris.

Afrik.com : Ce roman sonne comme une nouvelle naissance au monde. Vous décidez d’assumer la lumière en levant un pan de voile sur les zones d’ombre d’un tempérament qu’on entrevoit « rebelle », « révolté » : passionnée ?

Christelle Nadia : Disons que je suis née deux fois et que la chance de ma vie est d’avoir très tôt découvert la poésie. J’ai compris assez jeune que les mots ne mentent pas et surtout peuvent parfois être magiques. Il est évident que je suis une femme révoltée mais ma révolte n’est pas nihiliste et mon ambition est de vivre pleinement mes passions sans succomber à certains chantages qui font croire que certaines choses sont interdites. Je dis « non » non pas pour ne pas dire « oui » mais pour penser et ne pas suivre.

Afrik.com : En laissant votre petit nom, « Kiki », en renonçant à l’usage d’un pseudonyme au profit de votre patronyme, ne manquez-vous pas de modestie ?

Christelle Nadia Fotso photo petite taille
Christelle Nadia Fotso photo 2

Christelle Nadia : Mais non, j’ai toujours détesté ce petit nom que je n’ai pas choisi. « Kiki » est la petite fille imparfaite qui se contente d’être convenable et surtout de ne jamais faire honte. J’ai été forcé d’accepter ce petit nom parce qu’aux Etats-Unis, on n’arrivait pas à dire « Christelle » en confondant ce nom avec « Krystal » prénom que je déteste. Mon père, par exemple, ne m’a jamais appelée ainsi et ce n’est que cette année que j’ai compris pourquoi ! Je ne m’appelle plus Kiki parce que je suis enfin moi.

Afrik.com : N’est-ce pas facile d’être brillante, cultivée, et reconnue quand on est la fille de Fotso Victor ? La définition du mérite ne s’en trouve-t-elle pas biaisée ?

Christelle Nadia : Quelle question ! Au contraire lorsqu’on a un père, des parents comme le miens, on est condamné à l’excellence lorsqu’on veut être autre chose que leur enfant. Il est donc plus facile de ne chercher à s’élever et de juste dire je serai normal ou je vais suivre mes parents qui ont réussi… Vouloir être plus, dire non à la facilité n’est pas difficile mais tellement facile puisqu’on a tellement d’excuses. Je pense qu’il n’est pas possible de s’élever sans être farouchement lucide et en général lorsqu’on a eu beaucoup de chance, la lucidité est difficile parce qu’elle est désagréable et qu’elle force à faire d’autres choix en assumant pleinement sa condamnation à être libre. J’aime dire que j’écris comme mon père réfléchit et je le dis justement pour affirmer ma vie aurait été plus simple et plus aisée si je m’imposais pas le devoir de mâcher et de ruminer de moi-même les nourritures terrestres sans accepter les idées déjà prémâchées.

« Je ne sais pas ne pas réagir »

Afrik.com : Un mot sur le contexte politique camerounais ?

Christelle Nadia : Aucun !

Afrik.com : Si le Gouvernement de la République fait appel à vous, reviendrez-vous au Cameroun, eu égard au climat plutôt délétère qui prévaut ?

Christelle Nadia : Je ne suis pas assez « présentable » pour cela. Je suis une intellectuelle et comme ma grand-mère paternelle, je ne sais pas ne pas réagir…

Afrik.com : Je note d’une part que vous n’avez pas dit oui, vous n’avez pas dit non : L’image ça se module et votre liberté de parole on peut toujours vous la garantir ; d’autre part l’intellectuelle s’est curieusement tue sur la situation politique de son pays.

Christelle Nadia : C’est un « non » d’écrivain ! Je ne suis pas assez docile pour faire de la politique. J’ai trop bien lu Kafka. Il y a en moi plus de Camus que de Sartre. Quant à mon silence, il s’explique par le fait que je ne veux pas commenter pour commenter… Et puis je vis ailleurs depuis si longtemps qu’il serait pour le moins irrespectueux de l’ouvrir pour le plaisir de m’entendre parler. Je doute de ma capacité à pouvoir construire par mes interventions. C’est un silence de juriste et d’une personne qui respecte trop le Cameroun pour dire n’importe quoi ! J’essaye de résister à cette passion contemporaine de l’ignorance qui consiste à rabâcher des choses à la mode mais sans valeur.
Symphonie pour cordes sensibles : concerto pour trois voix

Afrik.com : Concernant votre roman… Léah, Andréa, et Sacha ne sont-elles pas une sorte de portrait-robot de vous-même ? Vous clivez votre personnalité en trois personnages : cette combinaison dramatique brouillerait les pistes et éviterait au lecteur de remonter jusqu’à vous…

Christelle Nadia : J’aimerais avoir la beauté de mes personnages qui sont meilleurs, et surtout moins pathétiques, que moi. Mais c’est aussi parce que, en dépit de ma force, je suis fébrile. Et pour cause ! Cette lucidité qui me pousse vers le haut en me faisant subir tant d’échecs : je n’arrive pas à être excellente alors que je suis condamnée à l’excellence pour exister.

Cependant, votre dernière remarque est pertinente. Je crois que je suis partout et nulle part dans mon livre. Comment vous dire ? Ces personnages m’ont bousculée et m’ont résisté. J’adore être bousculée intelligemment et j’aime que l’on me résiste.

Afrik.com : Théorisez-vous votre travail?

Christelle Nadia : Oh non pas du tout. Je déteste les théories presque autant que j’adore les mots. Ce qui me rend folle de littérature est le fait qu’elle me permet d’être moi. Je ne suis jamais aussi vivante que lorsque j’écris, je ne m’embarrasse donc pas de la lourdeur de la théorie et je trace ma route convaincue que si je m’applique ma création sera percutante. Ceci dit hélas, je suis née romantique au sens littéraire du terme et je m’efforce de changer.

Afrik.com : Y a-t-il des scènes dont vous êtes particulièrement fière?

Christelle Nadia : La fierté n’est pas un sentiment que je ressens par rapport à ma propre écriture. Je n’aime pas me relire et je ne vois pas ce que je crée ou du moins très longtemps. Ceci dit j’aime la scène de la trahison ou plutôt de celle de la vengeance de Sacha parce que je crois qu’en amour, il ne faut jamais tendre la joue gauche quand on s’est fait éclater la joue droite.

Afrik.com : Etes-vous consciente que ce livre peut choquer certaines âmes sensibles?

Christelle Nadia : Je suis quelqu’un de totalement inconscient. Mais cette inconscience est volontaire et pas toujours facile. J’ai eu des grand-mères qu’on a moquées bruyamment, des parents qu’on a humiliés et bien je vais vous dire une chose le fait d’avoir le nom de mon père fait que je sais que l’enfer c’est les autres et qu’il faut non pas choquer pour choquer mais dire les choses et oser dire à la meute, à la foule, à la société « que nenni ! » ou « voici ce qui se passe. » Il suffit de me regarder pour comprendre pourquoi je suis contre le totalitarisme d’une soi-disant normalité !

Afrik.com : Pourrait-il y avoir une suite à ce roman ?

Christelle Nadia : Oh non ! Par respect pour ceux qui ont aimé ce livre ou pour ceux qui l’ont détesté, je me dois de faire mieux. Le défi pour moi est d’exceller et d’essayer de m’impressionner. Ce sera très difficile mais j’aime la difficulté.

Afrik.com : Travaillez-vous actuellement sur de nouveaux projets d’écriture ?

Christelle Nadia : J’écris constamment donc oui. J’ai un recueil de poésie qui est terminé, un deuxième en Français que j’ai besoin d’apprivoiser tellement il est sauvage et un roman en anglais qui est peut-être « périmé ».

Afrik.com : Qu’est-ce qui explique le délai de présentation du livre au public camerounais ? Cela fait plus d’un an qu’il a été publié, y a-t-il eu comme une hésitation ?

Christelle Nadia : Oui il y a eu des doutes. Je connais mal le Camerounais. Et étant donné qu’au Cameroun, je suis la fille de… je me sentais prisonnière justement de mes « choses brisées ». Puis j’ai vieilli, ce qui est agréable lorsqu’on s’assagit et je me dis que ce serait un défi de venir au Cameroun et d’être Christelle Nadia et non Christelle Nadia Fotso. J’ai un ami qui est le second être que j’admire le plus au monde qui m’a dit : « tu as besoin d’avoir des ennemis et au Cameroun, tu vas t’en faire. J’attends cela avec impatience ! »

Afrik.com : En plus de ceux dont vous pourriez hériter de votre père, cela pourrait faire nombre. En tout cas nous vous disons : bon vent ! Vous avez du talent et c’est un plaisir de contribuer à le faire savoir

Questionnaire de Proust (adapté)

1 – Quel est votre principal trait de caractère ?

La férocité/voracité, je suis une guerrière amoureuse

2 – A quoi reconnaissez-vous l’homme idéal ?

A sa manière d’être à moi et de m’élever vers les étoiles ! (Ceci dit je ne crois pas à l’homme idéal, la perfection et l’idéalisme sont féminins, par conséquent explosifs et toujours dangereux. C’est surtout pour cette raison que je ne suis pas une femme qui attend d’être prise. Je prends !)

3 – Le défaut qui vous insupporte chez une femme ?

La malhonnêteté imbécile (elle peut être intelligente)

4 – Votre principal défaut ?

Mon émotivité.

5 – Votre roman préféré ?

L’Amant de Marguerite Duras

6 – Votre film préféré ?

La femme d’à côté de François Truffaut

7 – Votre chanson préférée ?

En ce moment : « J’ai jeté mon cœur » de Françoise Hardy

8 – Ce que vous détestez par-dessus tout ? La médiocrité, particulièrement la mienne (surtout lorsqu’elle est justifiée par la mauvaise foi et par une bienveillance narcissique.)

9 – Votre idée du bonheur sur terre ?

Etre choyée et adorée par les personnes que j’admire follement.

10 – Votre état d’esprit du moment ?

Méditatif, j’apprends le yoga donc…

Lire aussi : A quoi pourrait-on comparer Christelle Fotso ?

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