L’Eglise algérienne connaît des moments difficiles. Désertée, violentée, elle se bat pour survivre. Vingt religieux ont été assassinés par des groupes armés. Les fidèles vivent leur foi secrètement. Voyage dans un pays qui a offert trois papes à la chrétienté et, surtout, le fondateur du dogme catholique, Saint-Augustin.
Les chrétiens d’Algérie vivent leur foi dans le secret. L’intégrisme religieux et politique veut les rendre invisibles, inexistants dans la société algérienne. Mais aujourd’hui, ils réclament leur part de soleil. Voyage dans une histoire deux fois millénaire.
Le christianisme trouve en Algérie, au deuxième siècle de notre ère, un terrain favorable pour son expansion. Le message de paix et de justice de la nouvelle religion plaît aux populations assujetties par l’Empire romain. Le christianisme devient vite un moyen fédérateur pour se libérer de Rome. Dès 189, et pendant dix ans, un ecclésiastique des Aurès, Victor 1er, devient évêque de Rome et treizième successeur de Saint-Pierre. Deux autres évêques d’origine algérienne occuperont les fonctions papales : Miltiade (311-314) et Gelase 1er ( 492-496).
Le premier grand schisme de l’Eglise vient d’Algérie. Les donatistes, de Donat, le fondateur du dogme, trouvaient le message très mou. Le donatisme prône l’égalitarisme et le culte du martyr. Ils partent en guerre contre l’Eglise officielle. De nombreux ecclésiastiques sont massacrés. » Quand ils (les donatistes) rencontrent un maître monté sur un char et entouré de ses esclaves, ils font monter les esclaves dans le char et forcent le maître à courir à pied « , rapporte Saint-Augustin.
Pendant un siècle, de 429 à 533, l’Eglise d’Afrique subit la domination vandale. Réhabilité par Justinien, empereur romain d’Orient, le christianisme ne trouve pas la vigueur suffisante pour résister à l’islam.
La croix sous le croissant
L’islam a trouvé des difficultés pour s’implanter en Algérie. Pendant près d’un siècle (647-711), les Berbères s’opposent à trois vagues arabes successives. Une femme, Dihia, surnommée Kahina (la magicienne) par les Arabes, présentée par les historiens tantôt de confession juive et tantôt païenne, prend la tête de la résistance. A sa mort, l’Afrique du Nord entre dans Dar-el-islam (la maison de l’islam). L’Eglise algérienne avait vécu.
Avant la colonisation française, le christianisme a presque disparu sur le sol algérien. Pendant la période turque, les deys (souverains locaux nommés par Constantinople) tolèrent quelques ordres religieux qui s’occupaient essentiellement des esclaves et captifs chrétiens. Le plus célèbre d’entre eux est l’écrivain espagnol Cervantès.
Le retour de l’Eglise en Algérie est assez ambigu. Les militaires français ne voulaient pas d’hommes d’Eglise au moment de leur conquête, en 1830. Vingt ans plus tard, le pays compte trois diocèses :Alger, Oran et Constantine. Mais l’opposition militaire ne désarme pas. Finalement, Napoléon III décide de se ranger aux côtés de l’Eglise.
La congrégation des Pères blancs et, une année plus tard, 1867, celle des soeurs blanches commencent à s’implanter en Algérie. Obligation leur est faite de parler arabe et berbère, et de se vêtir comme des Algériens. La Kabylie a été choisie pour terrain d’expérience. Si les Pères blancs ont été accueillis en amis par la population, les conversions n’ont pas été très importantes.
Les nouveaux reconvertis vivent leur foi dans le secret. Suspectés par leur communauté, quelquefois rejetés par leurs familles, ils se cachent pour prier. » On se retrouvait tous les soirs pour discuter entre nous. Le prêtre ne voulait pas nous encourager. Il croyait que c’était pour frimer ! J’ai appris la catéchèse à la lueur d’une bougie. On avait décidé de ne pas informer nos parents. Pour eux, c’est pire que le sida ! « , raconte Mounir, devenu actif dans une association de chrétiens d’Algérie.
L’Eglise ensanglantée
Avant l’indépendance, l’Algérie comptait un million de chrétiens. Européens pour la plupart. La violence et la politique de la terre brûlée de l’OAS (l’Organisation armée secrète) les jette sur les premiers bateaux. Les Algériens de confession chrétienne sont du voyage.
A l’indépendance de l’Algérie, l’Eglise se pose la question quant à sa place dans une terre d’islam. L’archevêque d’Alger, Mgr Duval, tranche la question : » L’Eglise, comme il se doit, n’a pas choisi d’être étrangère mais algérienne « . Joignant l’acte à la parole, il prend la nationalité algérienne. Cessant d’être française, l’Eglise algérienne est directement rattachée à Rome.
La » nouvelle guerre » d’Algérie marquera l’histoire de l’Eglise algérienne dans le sang. Vingt religieux sont assassinés par les groupes armés. Le premier attentat, assassinat de deux soeurs blanches à Kouba, crée un choc dans la population. » Les gens venaient nous apporter un soutien moral. Ils avaient honte de ces actes « , confie Père Bélaïd. Ces meurtres étaient d’autant plus incompréhensibles que les pères blancs ne s’occupaient que du social. Dans les quartiers défavorisés, comme à la Casbah d’Alger, ils sont presque les seuls à établir des réseaux d’insertion et d’alphabétisation.
La presse algérienne a recensé 20 000 Algériens de confession chrétienne. Mais les ecclésiastiques sont sceptiques sur ce chiffre. Il n’y a pas de recensement officiel. Les Algériens préfèrent vivre leur foi en secret. Non sans raison. L’assassinat de quatre Pères blancs à Tizi-Ouzou révoltera les chrétiens d’Algérie. Pour la première depuis l’indépendance en 1962, trois cent personnes, catholiques et protestants, manifesteront publiquement leur identité. Ils seront rejoint dans leur marche, à Tizi-Ouzou, par des milliers de personnes avec pour slogan : »Nous sommes tous chrétiens ! ».
Pour vivre longtemps, vivons cachés
» Au fond, nous sommes un peu comme Marie : ce que nous portons dans notre coeur, la découverte de Jésus, la joie d’être devenus chrétiens, nous ne pouvons pas en faire part à nos proches « , cette confidence faite au Père Jean Bélaïd explique la situation des chrétiens dans un pays où les groupes armés s’érigent en exécutants de la volonté divine. » Ma famille vivait comme toutes les familles algériennes. On ne se distinguait en aucune façon. Nous participons aux fêtes du ramadhan et aux autres fêtes musulmanes. Mais, on célébrait aussi les fêtes chrétiennes « , se rappelle Rachid, Denis pour son nom de baptême. Il se souvient des mensonges de sa mère pour ses voisines trop curieuses. » Elle leur racontait que l’on célébrait des anniversaires quand les voisines devenaient inquisitrices, plus par curiosité que par méchanceté. Elles connaissaient toutes nos dates de naissance ! « , rigole Rachid-Denis.
Pour l’adjuvant de l’archevêque d’Alger, Jean Bélaïd, l’Algérie est plurielle et il faut qu’elle le reste. Une Algérie pure sur le plan ethnique et religieux est une Algérie totalitaire. Pis, une hérésie sanguinaire.
En photo : Notre-Dame d’Afrique, la cathédrale d’Alger