Annulations massives de réservations et lourdes pertes, chômage technique avant licenciement, psychose nourrie par une communication défaillante… à la Réunion, le chikungunya ébranle l’économie locale. Le secteur touristique, moteur de l’île, n’est pas le seul concerné.
Par Ann Douala
Paradis en détresse. Depuis le 23 janvier dernier, les hôteliers estiment avoir perdu près de 500 000 euros et prévoient une baisse d’activité de 70 % pour le premier trimestre 2006 à cause de l’épidémie de chikungunya. « Jusqu’ici, il y avait eu peu d’annulations sur les départs prévus, mais nous observons maintenant une chute de l’ordre de 30 à 40 % des réservations », s’inquiète René-Marc Chikli, président de l’association des tour-opérateurs Ceto. « Il y a eu au début quelques rares annulations et quelques reports, mais le préjudice va surtout porter sur les ventes à venir, et cela peut durer quelques mois », poursuit-il.
Le gage de « sécurité » mis à mal
Au désespoir des professionnels, la durée de l’épidémie demeure une grande inconnue. « Pour l’instant, ça va. Mais avec l’augmentation des cas et leur durée, la situation pourrait devenir critique », explique M. Botzon, de l’hôtel Les Créoles, situé à l’ouest de l’île. Selon Philippe Fabing, ancien directeur général de l’institut de sondage et de statistiques Ipsos, si l’épidémie devait s’installer plus durablement et sur un nombre de cas significatif, elle nuirait à un des atouts majeurs de la Réunion en termes d’attractivité touristique et économique : la sécurité. Des études menées ont permis d’évaluer en quoi ce caractère de sécurité est essentiel pour un nombre important de touristes ou d’investisseurs métropolitains. « Si la maladie devait durer, les stratégies de développement économique de la Réunion et les objectifs de communication dépendraient de sa virulence : on ne gérera pas de la même façon 500, 5 000 ou 50 000 cas annuels », a-t-il déclaré à Clicanoo, un quotidien local.
Le BTP aussi…
A l’instar du secteur hôtelier, de nombreuses Petites et Moyennes Entreprises (PME) réunionnaises souffrent de l’épidémie de chikungunya, les salariés en arrêts maladie et l’absentéisme ralentissant leurs activités. Par exemple, dans le secteur du bâtiment, Jean-Marie Le Bourvellec, président de la FRBTP (Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics), affirme que 60 % des entreprises de son secteur ont subi de 8 à 69 jours d’arrêts de travail. Pour l’heure, 850 salariés sur 19 000 (7% de l’effectif) sont absents. Le président estime les pertes quotidiennes dans le BTP à 200 000 euros par jour, soit 50 millions d’euros sur l’année, si l’épidémie ne persiste pas. Pour le secrétaire général des affaires régionales, Jean Ballandras, la catastrophe est à venir, les annulations en cascades auxquels sont confrontés les différents secteurs d’activités pouvant déboucher sur des licenciements.
Communication chaotique
« La médiatisation du phénomène chikungunya risque de décourager les intentions de voyage », juge Gérard Ethève, président de la compagnie aérienne Air Austral, interrogé par Clicanoo. Les communications contradictoires qui ont court dans l’hexagone font douter les touristes potentiels et nourrissent la psychose dans l’île. Laissant peu de place à une explication claire et officielle, le bilan de la maladie fait les gros titres de la presse et le jeu de la surenchère des journaux télévisés. Les chiffres sont en constante augmentation. Jour après jour, depuis mars 2005, date de l’apparition du chikungunya sur l’île de la Réunion, 70 000 personnes ont été touchées – dont 20 000 dans la première semaine de février.
Le Chikungunya, virus transmis par l’aedes albopictus, moustique à pattes tigrées, entraîne des fièvres et des paralysies articulaires chez la majorité des malades ; vingt-cinq décès sont imputables de manière indirecte au virus, dont un nourrisson de quatre semaines. Habituellement présent en Afrique de l’Est, il connaît une forte croissance à la Réunion depuis décembre et le début de l’été austral.
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