Docteur ès sciences en biologie-santé, spécialité ethno-botanique, Marc Olivier recherche de nouvelles plantes pour agrémenter les produits cosmétiques du grand parfumeur français, Christian Dior. Depuis sept ans, il explore la flore burkinabé avec la collaboration des habitants. Le contrat, tacite, repose sur un échange de bons procédés : les anciens transmettent à Marc Olivier les connaissances ancestrales dont il a besoin pour ses recherches, lui, rend compte de ses découvertes et emploie des villageois pour les récoltes.
De notre envoyée spéciale Nathalie Rohmer
A Koro, près de Bobo-Dioulasso, tous les villageois connaissent Marc Olivier. « Sans eux, je ne pourrais pas faire mon travail », explique spontanément ce petit homme blanc de 37 ans, avec un accent d’expatrié africain prononcé. Docteur ès sciences en biologie-santé, spécialité ethno-botanique, Marc Olivier recherche de nouvelles plantes pour agrémenter les produits cosmétiques Christian Dior. Il explore ainsi la flore burkinabé depuis sept ans avec la collaboration des habitants. « Le plus dur était de gagner leur confiance. Au début, les sages ne voulaient pas révéler leurs secrets. Les colons ont méprisé les médecines traditionnelles et aujourd’hui, beaucoup d’Africains pensent que les Occidentaux pillent leurs richesses. »
Marc Olivier a donc dû prouver sa bonne foi tout en glanant habilement quelques mystères botaniques. « Les vieux des villages m’ont testé et ils ont vite compris que je m’intéressais vraiment à leurs traditions. Ils ont apprécié que je les respecte et que je partage mes connaissances et mes résultats », explique-t-il, indigné que d’autres prennent juste le temps de prendre ce dont ils ont besoin sans donner suite. « Les vieux des villages et moi travaillons en collaboration. Ils savent que je ne fais pas d’humanitaire. Chacun sait de quoi il retourne. Il n’y a pas de mensonge ou de profit malhonnête », explique encore Marc Olivier.
Recherche et gratitude
Ce souci de clarté et de transparence a sans doute facilité son implantation au village. Il s’est vu attribuer dans un premier temps une terre qui lui permettait de faire des expérimentations. « Les anciens étaient curieux de savoir ce que j’allais en faire. J’ai employé des villageois pour arroser des plantes médicinales, donc ça a apporté des revenus au village et ça les a rassurés. » Les anciens du village de Koro disent avoir trouvé en Marc Olivier un ami et un allié. Pour le remercier, les villageois ont même profité d’un de ses voyages en France pour construire un barrage, en signe d’amitié. « Les pluies avaient inondé une partie du jardin botanique. J’avais donc parlé de faire un barrage mais je pensais mettre ce projet en branle à mon retour. Quand je suis rentré, le barrage était déjà construit. Ça m’a vraiment touché », confie, encore ému, Marc Olivier.
Autre preuve d’amitié, lorsque Marc Olivier a demandé aux vieux de Koro un deuxième terrain pour y établir un jardin botanique, ludique, pédagogique et touristique, les anciens ont non seulement accepté mais ils lui en ont donné un à côté de l’endroit où les villageois se réunissent chaque année pour la fête des masques, près de la rivière sacrée.
Répercussions économiques
Ainsi, le contrat, tacite, repose sur un échange de bons procédés : les anciens transmettent à Marc Olivier les connaissances ancestrales dont il a besoin pour ses recherches, lui rend compte de ses découvertes.
Grâce à son contrat pour Dior, Marc Olivier emploie trois permanents et une trentaine de personnes pour répondre aux commandes saisonnières. Mamourou, qui travaille avec lui, est un des piliers. C’est lui qui recrute les villageois lorsque Marc Olivier reçoit une commande de France. « L’année passée, Dior a commandé quatre tonnes et demi d’écorce. Marc a payé chacun mille francs CFA par jour, soit 25 % de plus que le salaire moyen, sachant qu’il est difficile de trouver du travail. Beaucoup ont pu s’acheter des choses utiles pour leur famille ou pour réaliser des projets… », raconte Mamourou, reconnaissant.
Ces périodes de récoltes ont des répercussions favorables sur tout le village. Pendant le travail, une cantinière sert des repas tous les midis, les productrices de dolo (bière de mil) trouvent de nombreux clients… Marc Olivier emploie aussi des villageois pour veiller de jour comme de nuit sur le séchage des récoltes. Il paie également des gens pour transporter les écorces à dos d’âne jusqu’à Bobo-Dioulasso, point de départ du frêt… « Tout le monde en profite », ponctue Marc Olivier.
Une forme de développement durable
L’ethnobotaniste essaie de créer du « développement durable ». Patrice André, responsable du laboratoire Dior en France, préfère parler plus modestement de « relation et d’action durables ». « Nous aidons les groupements de femmes à s’organiser en association pour mieux vendre. Nous sensibilisons les jeunes sur le danger qu’ils encourent à délaisser le savoir des anciens. Je m’intéresse de près aux médecines traditionnelles, qui selon moi peuvent sauver l’Afrique à moindre coût. Nous avons mis en place un projet de formation sur les plantes, la récolte, l’hygiène, la toxicité des plantes médicinales, la posologie, le conditionnement… Nous attachons aussi une grande importance au reboisement. A chaque récolte, nous replantons des arbres parce que le Burkina Faso fait partie des pays ravagés par la déforestation ». Grâce au budget alloué par Dior, de sa propre initiative, Marc Olivier finance également des micro-projets, offre à certains de quoi célébrer la fameuse fête des masques, très suivie au Burkina Faso.
En sept ans, Marc Olivier a ainsi déniché cinquante échantillons de plantes tropicales africaines dont les vertus cosmétiques et thérapeutiques sont susceptibles d’intéresser Christian Dior. Il arpente les villages, discute, expérimente des plantations, teste les récoltes, observe, analyse… Il consacre 80 % de son temps à la recherche. Dior les teste dans son laboratoire. L’industrialisation doit conserver l’efficacité du produit. Le marketing suit. Marc Olivier sent l’air du temps et sait quoi proposer pour innover. Il a senti la mode des produits ethniques, des cosmétiques pour homme…
Par exemple, en observant que certains hommes du village se servent d’une plante pour se faire des massages et apaiser la peau et les corps, Marc Olivier a imaginé que Dior pourrait utiliser ce produit pour des après-rasage, puisque la plante apporte une sensation de bien-être et de fraîcheur. Dior étudie les idées, la faisabilité, le marché. Cela prend du temps. Pour l’heure, la marque n’a commercialisé qu’un échantillon envoyé par Marc Olivier. La gamme vient juste de sortir, sous le seau de « Bikini ». Trois produits à base d’anogessus leiocarpus dont les feuilles ont des vertus amincissantes, hydratantes ainsi qu’un pouvoir raffermissant sur la peau. Le produit Bikini Celluli Diet coûte en France 41 euros. Une fortune au regard du coût de la vie au Burkina. « Les habitants savent bien que leur travail est destiné à des produits de luxe qui vont coûter très cher en Europe, explique Mamourou. Nous aussi, on utilise des produits de beauté. Alors ça ne nous choque pas. A la limite, ça nous fait rire. »