La diva du raï, qui enflamme l’Algérie depuis 1954, sort un nouvel album, Nouar, dans lequel elle montre qu’elle n’a rien perdu de sa fougue. Copiée, voire pillée par les jeunes chebs, elle reste pourtant inégalée. Son parcours, exemplaire, se confond avec l’histoire du raï moderne.
Cheikha Rimitti chante depuis les années cinquante de sa voix profonde et râpeuse ce « blues des déracinés », ce raï qui déchaîne les foules et apparaît dans la région d’Oran dès le début du siècle. Musiciens et danseuses ambulants sillonnent alors la région et font montre, dans leurs improvisations musicales, d’une irrévérence et d’un franc-parler insolent. Leurs morceaux se terminent le plus souvent par l’expression ya rayi, ô mon raï, que l’on peut traduire par le mot destin, mais ici dans le sens de « poisse » ou « mauvaise étoile ». Le raï est né.
Le titre de cheikh, et donc de cheikha, est donné aux auteurs et interprètes de l’art bédouin, qui avec les années s’enrichit d’influences diverses. Dans les années trente, la musique égyptienne donne la première note d’un métissage musical qui atteindra sa plénitude dans les années cinquante. En pleine guerre d’Algérie, on assiste à l’avènement des cheikhates, maîtresses d’un raï traditionnel et provocateur dont la Rimitti fait partie.
Elle sort son premier disque en 1954, intitulé Charak gataâ (Déchire, lacère), évocation à peine voilée du dépucelage. La cheikha parle sans détour de la passion charnelle, et prend comme toile de fond la société algérienne. Sa chanson La Camel, s’ancre dans la politique de grands travaux qui secoue l’Algérie dans les années soixante et soixante-dix, et raconte comment, sur le chantier de construction du port méthanier d’Arzew (à 40 kms à l’ouest d’Oran), les ouvriers dépensent leur temps et leur argent en boissons alcoolisées et plaisirs de la chair. Passe-temps bien entendu interdits par l’Islam.
Roses et fleurs au goût de miel
Ce tube sera repris par Cheb Khaled, sur son premier album enregistré en France en 1987, Kutché, qui marque le premier gros succès du « pop raï » sur le sol français.
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Cheikha Rimmitti n’a que faire de ces « emprunts » à sa musique. Née en 1923 dans un petit village algérien, analphabète et orpheline dès son plus jeune âge, elle accueille la vie comme elle vient. Adolescente, elle chante dans les fêtes de villages et les mariages, au gré de ses rencontres, et se bâtit peu à peu une réputation. Son nom viendrait de la déformation de l’expression « remettez-ça », en référence à une tournée mémorable offerte dans un bar d’Alger.
Installée en France depuis la fin des années soixante-dix, elle a fait les belles heures des mariages maghrébins du XVIIIème arrondissement de Paris. Elle y a choisi un petit hôtel modeste qu’elle ne quitterait pour rien au monde, et consacre son activité musicale à différents festivals de musique arabe et de musique raï.
Son dernier album parle d’amour, encore et toujours : En compagnie de mon bien aimé / j’irai jusqu’aux cimes de la montagne / cueillir roses et fleurs / Roses et fleurs au goût de miel / à offrir pour celui que j’aime (« Nouar », La fleur). À 77 ans, la mamie du raï n’a rien perdu de sa malice : Je veux gâter mon coeur / avec mon nouveau préféré / telle est ma passion / les autres s’amourachent du beau mec / moi de l’expérimenté (« Hak Hak », Tiens tiens).
Discographie
Les racines du raï (CMM Productions/Buda Musique)
Aux sources du raÏ (Institut du monde arabe/Blue Silver, 1993)
Sidi Mansour (Absolute Record/Media 7, 1994)
Nouar (Sonodisc, 2000)