Tout Abidjan enlève ses chaussures, à l’exemple de la prêtresse du Matiko, Chantal Taïba, pour vibrer au son de son dernier album Népata. Rencontre avec une icône de la chanson ivoirienne.
Népata, décembre 2000, est le dernier opus de la chanteuse ivoirienne Chantal Taïba. C’est aussi l’album qui permit à l’artiste de baptiser enfin son style musical : le Matiko. A l’origine, c’est une danse de réjouissance des femmes en pays kroumen – dont est native Chantal Taïba – qui s’exécute au clair de lune. « Je l’ai modernisée ! », remarque la chanteuse. Devenue un modèle pour les jeunes filles qui l’adorent avec ses corsages très près du corps et ses jupes coupées en biais, la jeune femme avoue faire de son mieux pour être la plus simple possible, afin que les parents n’aient pas à s’arracher les cheveux pour satisfaire leurs petites chéries. En enlevant ses chaussures en fin de prestation, elle a définitivement frappé l’esprit des mélomanes ivoiriens. Explication : « Le Matiko se danse pieds nus au village et puis il n’y a aucune confusion possible avec Césaria Evora qui est déjà pieds nus quand elle rentre en scène ».
Népata, une renaissance ? « C’est vrai que d’une certaine manière, je me suis sentie renaître ! Je m’étais auto-produite sur mes précédents albums. Pour Népata (sept en langue kroumen, ndlr) je me suis posée des questions. Si ma musique est appréciée, il n’y avait pas de raison pour que je ne trouve pas une maison de disques pour me produire ! Et puis EMI, représenté par JAT Music en Côte d’Ivoire m’a fait une offre et c’est comme ça que l’aventure a commencé. Musicalement aussi, cet album a été une renaissance. Depuis Amour, j’avais décidé de ne plus chanter pour chanter, je souhaitais que les gens retiennent quelque chose de mes chansons. »
Un début de carrière difficile
La petite Chantal est élevée par sa tante dont elle est l’homonyme. « Je n’ai jamais réellement vécu avec mes parents. Papa est décédé quand j’avais 12 ans et maman l’a suivi en 1998 quand je commençais à me rapprocher d’elle. Quand j’ai voulu chanter, l’oncle chez lequel j’habitais m’a mise à la porte. C’est Jeanne Agnimel (une figure de la chanson ivoirienne, N.D.L.R ) qui m’a hébergée quand j’ai débarqué chez elle en pleine nuit. Elle m’a demandé ce que je voulais faire, je lui ai répondu : chanter. »
Chantal Taïba débute sa carrière en février 1982, comme choriste au sein de l’orchestre de la Radio Télévision Ivoirienne (RTI) puis, en 1983, elle sort son premier album Ayo Se. En 1984, la chanson éponyme de l’album sera reprise comme hymne des Eléphants, l’équipe nationale ivoirienne, pour la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). C’est l’année du succès mais aussi celle du drame. « Je passais sur les antennes de toutes les radios du monde puis en fin d’année est arrivé ce malheureux accident de la route alors que j’allais en France et aux Etats-Unis me produire ». Elle en sort complètement défigurée. « Les fans ont été formidables ! J’avais eu un accident et c’était comme si toute la Côte d’Ivoire avait eu un accident ». Une icône nationale était née. « J’ai reçu un immense soutien, dans cette épreuve, de la part de tous les Ivoiriens et notamment du Président Félix Houphoüet-Boigny. »
Le Matiko à la sauce espagnole
Elle se remet peu à peu du drame et en 1986, elle lance l’album You. Le titre phare de l’album, You, est choisi pour Variétoscope (concours de danse adressé aux jeunes pendant les grandes vacances, devenu depuis une institution en Côte d’Ivoire). « Ce choix a participé au succès qu’a rencontré cet album ». Elle revient sur la scène musicale ivoirienne deux ans plus tard avec Nouh, son troisième album. En 1993 et 1997, les albums Ingratitude et Amour verront le jour.
Sur Népata, Chantal Taïba compose et interprète. « Je traite de sujets qui me touchent moi ou mon entourage ». Croyante, elle s’inspire aussi de la Bible. « Je veux chanter pour l’âme de celui qui m’écoute ». N’kanin , extrait de son dernier album, traite du choix des amis. Une situation vécue ? Les paroles de la chanson ne sont pas des plus tendres. « Dans les moments difficiles, j’ai découvert sur qui je pouvais réellement m’appuyer ».
Comment l’artiste envisage-t-elle sa carrière ? « Avant tout, je veux me donner les moyens de bien faire mon métier. Et puis j’essaie de garder la tête sur les épaules. Ce n’est pas toujours évident dans ce métier ». En 1999 est né le groupe « les Matikos » d’une collaboration entre l’artiste et des musiciens espagnols. « Je suis allée en Espagne pour un spectacle et j’ai rencontré les musiciens avec lesquels nous avons décidé de former ‘les Matikos’. Ensemble nous essaierons d’améliorer le Matiko à la lumière de nos horizons culturels respectifs ! »