Pour la plupart des observateurs politiques nationaux, le passage de la deuxième à la troisième République, en ce début d’année 2017, ne pouvait que se faire aux forceps. L’instauration de cette troisième République qui se matérialise d’abord par cette nouvelle constitution votée par référendum par le peuple ivoirien, puis par un bouleversement de l’ordre protocolaire de nos institutions, suivi par un vaste mouvement de limogeage à la tête des forces de défense et de sécurité et enfin la perspective de la nomination d’un vice-président, d’un nouveau premier Ministre et d’un nouveau gouvernement étaient suffisant pour créer une zone d’incertitudes, dans un espace politique, naturellement fébrile et toujours sous tension.
Après l’élection législative ivoirienne qui a donné le ton, d’une entrée dans une zone d’incertitude politique dans le pays, avec l’arrivée surprise de 75 candidats élus sous l’étiquette « indépendant », à l’Assemblée nationale, pour les observateurs de la vie politique ivoirienne, « la démocratie en Côte d’Ivoire est désormais en marche ». De nombreuses spéculations ont fait le tour des maquis, restaurants, bars et mêmes des clubs huppés de la capitale. Telle personnalité était pressentie pour la vice-présidence, une telle pour la primature, ou pour l’Assemblée nationale ou encore pour le Sénat en avril 2017. On entendait aussi dire ici et là, que tel ministre partirait du gouvernement pour telle raison. Et telles autres personnalités seraient nommées au gouvernement pour d’autres raisons encore. Au sein des populations, chacun avait ses propres raisons de voir tel ministre viré du gouvernement et telles autres personnalités y feraient leur entrée. Très souvent, c’est tout simplement pour des raisons partisanes, religieuses ou ethniques. On se dit, « il est de ma région ». Et cela suffit pour qu’il soit ministre. Pourquoi se compliquer la vie à trop réfléchir, quand on peut prendre des raccourcis, qui mettent en lumière notre absence de culture politique. Pendant que les populations spéculent dans les maquis et bars, les acteurs politiques de premiers rangs s’activent de leur côté pour se maintenir à leur poste et sortir ainsi de la grande zone d’incertitude dans laquelle ils sont. Certains, plus que d’autres, savent qu’ils ont beaucoup à perdre dans ce chamboulement politique qui doit installer les institutions de la troisième République.
Rapports de force et rivalités politiques
Avec la création de la vice-présidence, la hiérarchie de nos institutions républicaines se trouve désormais bouleversée. Le vice-président devient de fait, au regard de la constitution, le deuxième personnage de l’Etat de Côte d’Ivoire, suivi du premier Ministre et en quatrième position, le Président de l’Assemblée nationale. Ce qui change de fait la nature même des rapports de force dans un cet espace politique, très concurrentiel, où les rivalités sont sans cesse exacerbées. Chaque erreur, chaque faux pas ou chaque chute d’un adversaire, très souvent du même parti politique, est exploité pour l’affaiblir ou le détruire politiquement. En période d’incertitude politique, comme nous venons de le vivre, tous les coups sont alors permis pour mieux négocier et obtenir un meilleur positionnement dans les rapports de force entre les différents grands acteurs qui s’affrontent pour la succession du « chef ». Comment alors expliquer que le jour même où il était prévu à 17h, ce samedi 7 janvier, une importante déclaration émanant de la Présidence de la République, éclate comme par hasard, une mutinerie ? Des soldats, qui demandent une augmentation de salaire, le paiement de prime et bien d’autres revendications. La concomitance de toutes ces zones d’incertitude dans cet espace politique très mouvant et explosif ivoirien, donne à réfléchir. Pourquoi c’est ce moment, si sensible, où les grands acteurs politiques étaient en négociation pour leur positionnement et leur avenir politique, qui a été choisi par ces militaires pour déclencher ces mutineries ? Tout cela fait partie des zones d’ombres qui engendrent les temps d’incertitudes en politique et font de cet espace, un véritable univers codifié, réservé aux seuls « initiés », pour qui toutes ces mises en scène sont normales et cohérentes, dans la marche vers la conquête du pouvoir.