Chahine politiquement incorrect


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Youssef Chahine
Youssef Chahine

On connaît l’homme de cinéma Youssef Chahine mais on a moins l’habitude de se frotter à ses idées politiques. Pourtant, l’adorateur du septième art ne mâche pas ses mots et n’épargne pas les dirigeants. Interview d’un homme en colère.

Youssef Chahine est un cinéaste brillant et engagé qui n’hésite pas à coucher ses idées sur la pellicule. Mais en dehors de ses films, Youssef Chahine a beaucoup de choses à dire. Il l’a prouvé lors d’une conférence de presse donnée à Paris le 11 décembre autour du thème  » Faire du cinéma après le 11 septembre  » et organisée par le Club de la presse arabe. Le cinéaste égyptien, qui a bien entendu abordé les questions relatives au cinéma, s’en est surtout pris aux politiques.

Afrik : Quelle a été votre réaction face aux évènements du 11 septembre 2001 ?

Youssef Chahine : Je n’ai pas été particulièrement surpris par ce qui s’est passé car différents facteurs me faisaient penser à cette issue. Par contre, j’aurais aimé que les politiques soient plus visionnaires. A travers mes films j’ai toujours eu une vision du futur. Dans Le retour de l’enfant prodigue, j’avais prévu que les choses iraient mal pour le monde arabe et le film est paru trois mois avant la guerre du Liban. Quant au Moineau, il prédisait la guerre de 1967 avec les Israéliens. Si les américains avaient vu Le Destin ils se seraient fait une idée du danger qu’entraînent les lavages de cerveau des extrémistes et ce à quoi on peut s’attendre.

Afrik : Quel est votre sentiment vis à vis des Etats-Unis aujourd’hui ?

Youssef Chahine : Leur arrogance me rend fou. C’est incroyable, ils ont les plus grandes universités, les plus grands chercheurs mais ils produisent des générations d’une ignorance inouïe. Ils sont renfermés sur eux-mêmes à tel point qu’ils ne consomment qu’américain. Ils ne connaissent rien de l’extérieur, à fortiori des pays arabes mais cela ne les empêche pas d’envoyer leurs enfants s’y faire tuer. Les Américains ont un vrai problème avec l’Autre, ils se cherchent toujours un ennemi. Avant, c’étaient les Japonais puis les Russes puis les Arabes. Là c’est devenu dangereux, ce sont les musulmans sans distinctions.

Afrik : Et que pensez-vous des différents gouvernements arabes ?

Youssef Chahine : Je suis très en colère. Je me demande comment on devient président dans les pays arabes autant qu’aux Etats-Unis. Quand je pense que Bush a instauré de nouveau les tribunaux militaires alors qu’il les critiquait en Egypte ! Mais pour tous les pays arabes je m’interroge : comment en sommes nous arrivés là ? Cela me fait songer à moi quand je fais un film. Quand je ne trouve personne pour tenir le rôle dans mon film, je dis à n’importe qui  » allez toi, viens donc « . Vous savez, Sadate voulait faire du cinéma lorsqu’il était jeune et il a été refusé par une productrice. Plus tard je lui ai dit qu’elle aurait dû l’accepter, au moins on aurait échappé à sa présidence.

Afrik : Pensez vous que vos films soient une manière de livrer un combat pour la démocratie?

Youssef Chahine : C’est un combat à mon échelle mais ce genre de combat ne se livre pas seul, c’est une bataille collective. Il faut tous s’y mettre pour ébranler les divers gouvernements auxquels nous avons à faire. En plus moi je ne suis pas totalement libre, il y a la censure qu’il faut contourner. Les gens misérables et médiocres sont prêts à tout pour vous assassiner le plus rapidement possible alors il faut y aller avec des pincettes. Je fais de mon mieux dans ce contexte pourri mais je refuse d’aller tourner à l’étranger pour être plus libre.

Afrik : Quel est votre sentiment face à la situation en Palestine?

Youssef Chahine : La situation en Palestine est incroyable et tout le monde l’accepte. Les Arabes sont des lâches au même titre que les autres. Monsieur Sharon, je regrette de dire monsieur, est un boucher et il s’arroge le droit de dire qui est terroriste ou pas. Quelle légitimité a-t-il ? Celle d’être cautionné par Bush ? C’est ce dernier qui a incité Israël à se battre sur le terrain du terrorisme. L’occupation est une violation des droits et la résistance est un acte légitime. Si demain il arrive que quelqu’un vienne et occupe mon territoire alors peut-être que je deviendrais membre du Hamas moi aussi. Israël se plaint de la violence mais occuper, ce n’est pas de la violence ?

Afrik : Pour revenir au cinéma égyptien, où en est-il dans le contexte actuel ?

Youssef Chahine : Il est dans le même état que le pays, c’est à dire pas en très grande forme. Mais demandez moi où en est l’industrie du livre aujourd’hui je vous répondrai la même chose. Alors qu’en Espagne il y a environ quinze livres qui sortent par jour, chez nous c’est ce qui sort en un an et encore. En plus on ne parle encore que de Naguib Mahfouz ou de Gamal Ghittany. Ca suffit, il y a autre chose !

Afrik : Que fait le gouvernement pour aider le cinéma ?

Youssef Chahine : Si le cinéma va mal, c’est justement qu’il y a une incompréhension à ce niveau-là. Je vais vous raconter une anecdote assez significative. En Egypte, il y a ce qu’on appelle le Jour des Intellectuels. Un de ces jours, j’ai demandé au  » grand esprit  » (Housni Moubarrak, ndlr) ce qu’il pouvait faire pour aider le cinéma. Voilà ce qu’il a répondu :  » Moi, je me pose sur ma chaise et je zappe d’un match à l’autre « . Face à cette réponse époustouflante, je n’ai pas beaucoup d’espoirs. Quand au Premier Ministre, il ne s’intéresse qu’aux sociétés qui rapportent. La mienne, bien qu’elle fasse des films engagés, ne génère pas assez d’argent pour qu’il s’y intéresse.

Afrik : Avez vous une idée pour votre prochain film ?

Youssef Chahine : J’ai déjà le titre : La Colère. Il va parler de ma colère face à l’accumulation de faits insensés et de l’arrogance américaine. Mais j’ai fais une découverte majeure en écrivant le film : je ne hais pas l’Amérique et j’y ai même appris beaucoup de choses. Haïr c’est bête et il faut être crétin pour haïr. En fait, mes sentiments envers les Etats-Unis sont mêlés : il y a de l’amour mais aujourd’hui il s’est transformé en colère. L’histoire du film débutera à mes dix-sept ans et se terminera aujourd’hui.

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