J’ai proposé, dès le 12 avril, l’entrée de Césaire au Panthéon et cette idée est soutenue par des politiques respectables : Ségolène Royal, Jean-Christophe Lagarde, Abdou Diouf. Bien entendu, il y a ceux que cela agace. On les comprend. D’aucuns préféreraient que tout soit vite expédié, là-bas, loin de Paris, pour bien montrer que Césaire n’était qu’un auteur mineur, régional et communautariste, que, pour la France, cela n’a aucune importance. Enterrons-le vite en Martinique, et qu’on n’en parle plus ! D’autres préféreraient que Césaire soit à jamais séparé des «blancs». Examinons un peu leurs arguments.
Par Claude Ribbe
Les uns disent que Césaire ne mérite pas le Panthéon et que lui en ouvrir les portes serait un acte « communautariste » et démagogique. C’est à peu près la position de la frange raciste de l’extrême droite. Les autres soutiennent qu’il «faut» le laisser en Martinique, sans explication ou en parlant vaguement de « racines », ce qui revient exactement au même. C’est du Barrès, c’est du Maurras au petit pied ! C’est la position des Afro-fascistes et des Afro-racistes qui haïssent la République française et toutes ses institutions. C’est aussi la position de Dieudonné. C’est aussi la position de Dominique de Villepin. Je n’ai d’ailleurs pas compris à quel titre ce monsieur s’exprimait. En tant que poète comparable à Césaire ? En tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères qui envoya sa soeur, aux frais de la République, boycotter le bicentenaire d’Haïti et approuver un coup d’Etat qui fit vingt mille morts et dont les conséquences plongent aujourd’hui le pays dans la famine ? En tant qu’ancien Premier ministre qui refusa de commémorer le bicentenaire de la mort du général Dumas ? En tant qu’époux d’une « Béké » de la Martinique ? En tant qu’admirateur de Napoléon qui rétablit l’esclavage dans les colonies françaises et fit entrer au Panthéon Ambroise Régnier (qui y est encore) pour avoir signé en 1803 une circulaire interdisant les mariages mixtes sur le territoire métropolitain ?
C’est malheureusement aussi la position de François Bayrou, qui, pour le coup, aurait mieux fait de se taire. Une pareille attitude n’étonnera personne quand on sait que Bayrou fit discrètement retirer, lorsqu’il était ministre de l’Education, à la demande d’Alain Griotteray, Le Discours sur le colonialisme des programmes scolaires. Donc pour ces gens, Césaire serait un auteur de portée « régionale » (entendez : il n’intéresse que les « nègres »). Donc, les Martiniquais en Martinique, les Africains en Afrique et la France aux Français ! Outre qu’il ne connaissent pas la Martinique et ignorent que les indépendantistes, largement représentés, n’ont pas pardonné à Césaire la départementalisation, ceux qui refusent le Panthéon à Césaire oublient les Martiniquais qui sont nés en France, qui sont très attachés à leur île, mais qui n’ont aucune intention d’y retourner. – Ah oui, c’est vrai ! On n’y avait pas pensé ! – Eh bien pensez-y, Mesdames et Messieurs les Ministres. Et pensez-y vite ! Ainsi, donc, le « Cinquième DOM » ne compterait pas ? Il y a autant de Martiniquais et de Guadeloupéens en métropole et principalement dans la région parisienne (pas loin du Panthéon) qu’en Martinique et en Guadeloupe. Ceux là, qui lisent Césaire, mais qui ne parlent pas tous le créole, ne sont certainement pas opposés à la panthéonisation. Mais leur avis ne compte pas.
Qu’a-t-on fait, jusqu’ici, pour les Antillais déracinés de métropole, mis à part d’enterrer leurs congés bonifiés, de les priver de leurs bonus de retraite, de les empêcher d’aller voir leur famille par des tarifs aériens prohibitifs ou de les infantiliser en leur proposant de se donner en spectacle place de la Sorbonne et de danser le zouk et au son du tambour devant le ministre de l’Agriculture sous prétexte de « veiller » Césaire sous l’œil bienveillant des tenants du communautarisme blanc et colonial ? Si ce folklore ridicule et indigne doit servir à promouvoir la banane martiniquaise, est-ce bien le moment ? Les Antillais de France sont-ils au moins représentés à Paris pas l’un des leurs ? Non pas ! Alors si les Antillais de France n’ont même pas le droit d’être représentés à Paris par un éminent Antillais vivant, qu’on leur laisse au moins la dépouille du plus éminent des Antillais, maintenant qu’il est mort. L’avis des Martiniquais insulaires ? On n’a pas voté en Martinique, que je sache, pour savoir si les Martiniquais insulaires sont d’accord ou pas pour que Césaire entre au Panthéon. S’est-on occupé de ce que pensait le département de l’Aisne pour savoir s’il fallait panthéoniser Dumas ? J’ai suivi les choses en direct et de très près. Beaucoup d’habitants de Villers-Cotterêts étaient contre. Mais le président de la République de l’époque a pris ses responsabilités en passant outre et il a fort bien fait. Il y a bien eu une petite polémique entretenue par quelques irréductibles, mais elle est vite retombée. Aujourd’hui, à Villers-Cotterêts, tout le monde s’est rallié au Panthéon, ce qui n’empêche pas que l’on continue à aller en pèlerinage sur place. Le «culte» dumasien s’en est même trouvé renforcé. Aux Martiniquais de profiter de cette panthéonisation pour demander au président de la République les aides de la métropole dont ils ont grand besoin.
Le Président de la République seul qui décide de la mise au Panthéon
La position de Césaire sur sa propre panthéonisation ? Ridicule ! Il n’y a aucun exemple d’une personne vivante qui déclare vouloir être inhumée au Panthéon (sauf peut-être le grand poète Dominique de Villepin). Je n’ai pas remarqué que Césaire se soit opposé à la panthéonisation de Félix Eboué qui était guyanais ni, plus récemment, à celle d’Alexandre Dumas. Césaire n’avait aucune position là-dessus. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il était foncièrement républicain et que tout républicain de mérite accepte, a priori, le Panthéon si tel est le souhait de la République. Parlons un peu de la famille. Elle ne s’est jamais exprimée. D’ailleurs, pourquoi s’exprimerait-elle ? C’est le Président de la République et le Président de la République seul qui décide de la mise au Panthéon. C’est à lui et à lui seul de faire valoir auprès de la famille l’intérêt général qui l’emporterait sur les intérêts particuliers. Oui, l’intérêt général ! Car si Césaire est un grand Français –et il doit l’être puisqu’on va lui offrir, conformément à ma demande, des funérailles nationales, – sa famille, c’est aussi la France et non plus seulement sa famille biologique. C’est au non de l’intérêt général que le Président de la République doit trancher, la famille biologique entendue, naturellement. Mais je doute que la famille biologique de Césaire ne partage pas mon point de vue. Et puis un Président de la République doit prendre seul, en certaines circonstances, des décisions importantes, sans entendre les criailleries des uns ou des autres. Césaire doit entrer au Panthéon, parce que c’est le meilleur moyen d’attirer l’attention sur une oeuvre finalement méconnue du grand public. La panthéonisation de Dumas, par exemple, a été l’occasion de nombreuses rééditions.
Césaire doit entrer au Panthéon parce que c’est un grand poète. Et des poètes, au Panthéon, jusqu’à présent, il n’y en a qu’un : Victor-Hugo. Césaire doit aller lui tenir compagnie. Césaire doit entrer au Panthéon en hommage aux Martiniquais : les insulaires et ceux de métropole pour lesquels on ne fait rien si ce n’est de les humilier en les donnant en spectacle dans la rue, aux Parisiens, comme on les exposerait au zoo. Césaire doit entrer au Panthéon parce que si lui n’y entre pas, aucun Antillais n’y entrera jamais. Césaire doit entrer au Panthéon pour rendre hommage à la négritude, c’est-à-dire à la mémoire de ceux qui ont lutté contre le colonialisme et l’esclavage. Césaire doit entrer au Panthéon pour rendre hommage à l’Afrique que la France a explloitée pendant des siècles. Césaire doit entrer au Panthéon pour rendre hommage aux Africains que la France a mis en esclavage en Martinique et aux Antilles et en particulier à Césaire, ancêtre d’Aimé Césaire, un esclave révolté de 1833. Césaire doit entrer au Panthéon parce qu’il a montré son attachement au quartier en passant huit ans de sa vie sur la montagne Sainte-Geneviève. Ce qu’il est, il le doit aussi au lycée Louis-le-Grand et à l’Ecole normale de la rue d’Ulm (promotion 1935) qui sont, comme le Panthéon, des institutions emblématiques de la République. Césaire doit entrer au Panthéon parce qu’il a été, durant une bonne partie de sa vie, traité comme un pestiféré (pendant longtemps aucun préfet ne franchissait le seuil de la mairie de Fort de France !) et qu’on doit réparer cette offense en lui accordant au moins cet honneur posthume. Césaire doit entrer au Panthéon, car s’il n’y entrait pas, le monde entier dirait que la République française est raciste. Césaire doit entrer au Panthéon pour échapper à la récupération communautarise qui s’ensuivrait forcément s’il n’y entrait pas. Césaire doit entrer au Panthéon pour que l’on continue à parler de son oeuvre au lieu de l’enterrer précipitamment sous quelques pelletées de « négritude ». Césaire doit entrer au Panthéon parce que son ami Senghor n’y a pas eu droit, malgré la demande d’Abdou Diouf. Césaire doit entrer au Panthéon le 10 mai 2008, histoire de donner un peu de sens à cette date pour laquelle le gouvernement n’a rien prévu d’autre qu’un singerie au Sénat orgnaisée par des gens qui n’ont ni compétence ni légitimité et au mépris de l’Outre-mer.
Il y a quelques temps, j’ai été traité de « normalien noir » par un écrivain français que d’aucuns respectent, paraît-il, alors qu’il a traité les Martiniquais d’ « assistés ». Césaire aussi était un « normalien noir ». Eh bien moi, « normalien noir » de la promotion 1974 de la rue d’Ulm – premier Guadeloupéen à entrer dans cette école – moi qui ai passé trois ans de ma vie sur les bancs du lycée Louis-le-Grand sur les pas d’Aimé Césaire, avant de passer quatre autres années à l’Ecole normale, toujours sur les traces de mon aîné, je revendique ce titre de « normalien noir», je revendique aujourd’hui ma négritude de « normalien noir » pour demander, au nom de tous les « normaliens noirs » qui ne sont, hélas, pas bien nombreux, et au nom de tous les normaliens « blancs », « jaunes » et « verts » dont aucun n’a jamais été panthéonisé depuis la création de l’Ecole en 1794 (année de l’abolition de l’esclavage) ; au nom d’Evariste Gallois, de Jean Jaurès, d’Henri Bergson, de Romain Rolland, de Léon Blum ; au nom de Charles Péguy, au nom aussi des normaliens des promotions 1914-1918, tombés pour la France ; au nom de Simone Weil, de Jean Cavaillès, de Marc Bloch, de Pierre Brossolette ; au nom de Maurice Genevoix, au nom de Jean Guéhenno, au nom de Jean Guitton, au nom de Jean-Paul Sartre, de Paul Nizan, de Michel Foucault, de Vladimir Jankélévitch ; au nom de mes maîtres Jean-Toussaint Desanti et Pierre Boutang, qui furent camarades de promotion de Césaire, au nom de Julien Gracq, de Maurice Clavel ; au nom de mon ami Alain Peyrefitte, au nom de Georges Pompidou, qui, lui, n’aurait pas hésité une seconde, je demande l’entrée de mon camarade Césaire, comme moi « normalien noir », au Panthéon de la République française le 10 mai 2008. L’idée que le premier normalien a entrer au Panthéon soit justement un « normalien noir » me paraît plutôt séduisante. Bref, Césaire ou Finkielkraut, maintenant, il faut choisir ! Et si Césaire n’a pas droit au Panthéon, alors exhumons vite Félix Eboué de cette nécropole interdite à la diversité, pour le renvoyer chez lui, chez les nègres, au soleil, en Guyane, là où il doit avoir, comme Césaire, ses « racines » !