Les pays pauvres et les firmes pharmaceutiques du Nord entrent en guerre pour la production des médicaments nécessaires à la lutte contre le sida. Faisant fi des accords internationaux qui protègent la propriété industrielle, le Brésil et la Thaïlande produisent des médicaments génériques. Et rencontrent un soutient international croissant.
L’Occident a porté la capote financière pour empêcher l’entrée des médicaments contre le sida dans les pays pauvres. Par un doux euphémisme, appelons ça une exclusion thérapeutique. Plus de 25 millions de personnes atteintes du VIH vivent sur le contient africain. 15 millions d’africains sont déjà décédés de la pandémie. Une situation « inacceptable » pour certains pays qui se sont révoltés contre les firmes pharmaceutiques du Nord ainsi que les institutions financières internationales telles que la Banque mondiale. Il s’agit de la Thaïlande, du Brésil et de l’Inde.
Ces pays ont, en effet, décidé depuis quelque temps de se lancer dans la fabrication des médicaments nécessaires. Sans avoir la licence des firmes ayant le droit de propriété sur la combinaison des antiretroviraux (ARV). Aujourd’hui donc, il existe, à côté des ARV mis sur le marché par les firmes du Nord, la trithrapie » made in Brasil « . Par cette réaction politiquement risquée et humainement soutenable, le Brésil offre actuellement la possibilité aux personnes atteintes du VIH de se soulager un peu de la charge virale.
Peur de représailles
Farouchement opposée à la politique de médicaments adoptée par les pays du Nord, l’association française Act-Up a appuyé la démarche des pays du Sud. Notamment en demandant au « Brésil et la Thaïlande de produire la trithérapie en quantité industrielle pour soigner les malades en Afrique. De mauvaises langues disent que c’est un produit de contrefaçon inefficace. Mais cela n’est pas vrai puisque ce sont les mêmes molécules qui sont utilisées et aujourd’hui, des gens soumis à la trithérapie fabriquée au Brésil ont constaté une remontée de leur immunité « , révèle, Sylvain Couchet, responsable de la commission Nord/Sud à Act-up.
Au Brésil, 90.000 personnes atteintes bénéficient de ce traitement à la trithérapie locale. Avec des résultats satisfaisants, explique-t-on.
La production des ARV dans le trio de pays » rebelles » permettrait d’approvisionner les pays africains en médicaments. Ceux-ci devraient être payés à un coût relativement bas. Mais, certains pays du continent ne sont pas enthousiastes à l’idée de rompre le cordon de dépendance aux pays du Nord. Ils craignent les représailles des institutions financières internationales. Dans cette optique d’ailleurs, une firme pharmaceutique (Glaxo Wellcome) aurait adressé une correspondance enjoignant l’Inde de ne pas livrer la commande de trithérapie au Ghana. De même, les USA menacent la Thaïlande de ne pas importer son bois et son minerai si elle exportait des médicaments vers les pays du Tiers-Monde.
L’intransigeance des firmes occidentales commence à provoquer des grincements de dents jusqu’au sein des institutions internationales. A Onusida (cellule onusienne chargée de lutter contre la maladie) des experts ont laissé entendre que la stratégie des pays du sud est défendable, « Il faut explorer tous les moyens pour que les malades puissent accéder à la trithérapie » soutient, in petto, une source autorisée.
C’est désormais une guerre qui sévit entre le Nord et le Sud. Car le Brésil a eu l’outrecuidance de proposer aux autres pays africains un transfert de la technologie de production de la trithérapie ainsi que la formation du personnel aux techniques analytiques utilisées par les labos. Les autorités du pays parlent aussi d’ « un approvisionnement des pays africains en médicaments antiretroviraux aussi longtemps que les gouvernements s’engageront à les distribuer gratuitement à la population « .
La zidovudine (Azt) ; la didanosine (ddt), la zalcitabien (ddc), la stavudine (d4t) la lamivudine ((3tc), la zidovudine+lamivuddine (Azt+3tc), l’indinavir et la névirapine sont les produits fabriqués au Brésil. Après les négociations d’Onusida avec une firme du Nord, celle-ci a accepté de mettre gratuitement la névirapine à la disposition de tout pays qui en fait la demande.
Pas d’argent international pour les médicaments
Principal bailleur de fonds des pays africains, la Banque mondiale a déboursé 500 millions de dollars pour aider l’Afrique à lutter contre le sida. Elle a proposé un prêt de 85 à 110 millions de dollars aux Caraïbes, confrontées à un nombre croissant de séropositifs. Le hic, c’est que l’institution refuse systématiquement l’usage de l’argent pour l’achat des médicaments. Le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, M Madavo a fait son méa culpa en disant : » Très franchement, nous n’avions pas réalisé la gravité de la dévastation engendrée par cette épidémie « . Il était pourtant à la conférence de Durban, il avait entendu toutes les communications des différents pays dont la séroprévalence est plus qu’inquiétante.
En vérité, la promotion des génériques permettant un large accès de malades aux médicaments, la Banque mondiale ne saurait s’obstiner dans son refus de financer une telle politique. L’urgence de la situation est telle que » la mise en compétition des produits de marque avec leurs copies pourrait faire baisser les prix « , soutient M. Couchet d’Act-up.
En attendant les résultats de l’expérimentation des vaccins en cours en Ouganda, au Kenya, en Thaïlande et aux USA, deux millions d’Africains sont morts du sida en 1999. Dans la solitude et à l’abri de toute agitation médiatique.