Faut-il être tourmenté pour acheter l’ouvrage d’Atangana Mebara, ainsi que le suggère son vœu liminaire (« Puisse la lecture de cet opuscule procurer à chaque lecteur la paix intérieure qui est la mienne en ce moment. », Avant-propos, P.20 ) ?
Dans le monde libre, on lit pour apprendre, comprendre, s’évader… Un livre comme celui qu’il nous offre de lire ne saurait donner la paix à ses ennemis ni à ceux qui ne le connaissent pas, tant il révèle un homme sinon juste très habile, bref inclassable. Comme l’est du reste cet ouvrage qu’il a fait publier, c’est son droit, sans précision de genre.
En réalité, on pourrait s’arrêter à la préface du Christian Tumi et à l’avant-propos pour comprendre l’esprit qui anime l’homme d’Etat déchu. L’esprit d’un homme qui n’a désormais de certitudes que métaphysiques, et se montre très prudent. Ses références sont Dieu, la Bible, Julien Dray (grand ami de DSK, éprouvé dans un contexte moins infernal), en attendant que sa foi brise les murs de Kondengui, son ouvrage connaîtra une nouvelle fortune à l’occasion de son actualité récente.
Une kyrielle de remerciements
Sa lettre à sa fille commence par l’énumération macabre d’une dizaine de personnalités décédées dans des conditions qu’il trouve au minimum louches (« méningite, semble-t-il »). Kondengui, c’est la mort, ceux qui en reviennent en un seul morceau sont des petits Jésus, l’ancien SGPR l’apprend et prépare sa fille au pire. C’est son seul moment d’évidente panique.
La tentation est grande de conclure, tant que le président Biya n’a pas livré sa version des faits, qu’Etoudi retourne chaque obstacle qui se dresse devant lui contre ceux qui le gênent aux entournures : le G11 est une invention pour légitimer politiquement l’ensauvagement de la lutte, la lutte anti-corruption elle-même un motif pour organiser une « cabale » judiciaire et les émeutes de février 2008, qui avaient eu lieu dans beaucoup d’autres pays, le prétexte d’une violence en retour ciblée…
Paul Biya a-t-il réussi à diviser ces amis ? N’y a-t-il pas d’amitié au sommet de l’Etat, est-ce un délit de revendiquer publiquement un soutien ? L’ancien ministre d’Etat n’en veut à personne, il pardonne à tout le monde et demande pardon à tous, pour ce qu’il a fait, voire pour ce qu’il n’a pas fait. S’il le pouvait il s’excusait auprès de ses ennemis d’exister et de n’être pas encore mort.
C’est à peine s’il lance quelques piques à son ancien ami, par exemple dans sa lettre à sa fille Armelle Olive : « Tonton Henri, comme vous l’appeliez, quand il me fréquentait encore ». Il rappelle presque malicieusement que sa propre mère appelait le ministre Eyébé Aysissi « son fils ». A titre personnel, au Canada, nous avions vu Henri Eyébé Ayissi en « porteur de sac », du temps de sa gloire, quand comme ministre de l’Enseignement supérieur, il allait distribuer des « subsides » aux étudiants étrangers…
S’il ne cherche pas à attendrir voire à attirer sur lui les sentiments les plus mielleux, Atangana Mebara verse en tout cas dans le pathos, en étalant ses drames personnels, la disparition de sa mère, son amour démesuré pour celle-ci et les funérailles presque officielles auxquelles elle avait eu droit.
Une kyrielle d’incorrections
Pour être entendu, il n’hésite pas à se montrer insistant dans son expression, insistant voire redondant ( « Avec émotion et plaisir », « avant tout et par-dessus tout », etc.), pour prévenir toute commisération, il indique qu’il se considère « Comme homme libre » : une sorte de déni freudien, d’autant qu’il en fait une anaphore et donc le réitère dans deux phrases qui se suivent (« comme homme libre »).
Atangana parle d’ « opuscule » au sujet de son ouvrage qui fait, excusez du peu, 322 pages. C’est-à-dire que par une humilité fantastique, qui lui fait préjuger de la qualité plutôt médiocre de ses « lettres » (littérairement parlant), il a voulu dans la forme comme dans le fond livrer une optique sans prétention. Qu’importe n’est-ce pas le contenu, si l’on a l’ivresse voulue. Le type catégoriel de son ouvrage est à mi-chemin entre l’autobiographie et le témoignage, mais il cite, en page 15, les « Lettres persanes » de Montesquieu, le modèle n’a en rien été suivi.
Son livre est aussi un festival de coquilles (« remonter en déluge », p.28 : n’est-il pas plus simple d’écrire « au déluge » ? « cet homme jugé d’hautain »P.70, « cet espèce de philistintisme » -une espèce donc cette espèce, etc.)
Au lieu de s’excuser par avance en disant qu’il n’est pas un homme de lettres, comme ces ados qui envoient des lettres d’amour à leurs amoureuses, en précisant d’emblée dans une lettre qu’ils ont relue mille fois « non relue », au lieu d’avoir à s’excuser, il aurait pu proposer l’écriture de son « opus » (sic, p.63) à un professionnel, à un nègre ou à un auteur qui en aurait ouvertement assuré la paternité.
Un bisounours en politique ?
Le récit d’un homme qu’on a déshabillé et qui n’hésite plus à parler de sa nudité. Atangana n’a pas, cela se voit tout de suite, la plume de Titus Edzoa, mais il dégage une impression d’intégrité, tout dans son passé et dans son parcours tend à plaider pour lui… Un homme qui en 322 pages n’insulte personne, ne fait aucune révélation fracassante, quand Dieu sait ce qu’il pourrait lancer de « bombes », un tel homme est quelqu’un de foncièrement bon que les Camerounais doivent s’empresser de lire.
Il ne peut évidemment pas réfuter toutes les présomptions qui pèsent sur lui, son dossier est comme les tonneaux des Danaïdes, ses accusateurs pourront toujours y puiser quelque chose, les charges qui s’abbattront sur lui comme une Hydre de Lerne, alors s’il évacue un soupçon, une accusation, il en restera toujours d’autres. Qu’il s’apprête donc à nous écrire d’autres livres.
Et que dire de sa fille, Armelle Mebara, qui sur sa page Facebook, au lendemain de l’acquittement de son père se répandait en remerciements, annonçant la fin du calvaire… ? De nombreux proches de l’homme politique déchu s’étaient alors lâchés sur le « froid dictateur » que doit probablement être Biya. Il y a du dégoût, de l’écœurement, que l’on ressent à la lecture des traitements dégradants et régulièrement humiliants auxquels les siens sont soumis, comme par vengeance.
Les pères ont goûté de l’absinthe, les fils doivent en assumer l’amertume : la guerre dont il veut prévenir sa fille a commencé et va de toute manière continuer. Parce que leurs ennemis ne seront plus jamais en sécurité, toutes les réconciliations à venir seront probablement fausses, et le monde de Gandhi n’est possible que dans un milieu qui peut enfanter des Gandhi. Quoi qu’ils fassent bien des « fils de » seront exposés dans les années à venir.
En fait, Atangana Mebara se présente lui-même comme un « homme politique camerounais » (Wikipedia), il ne nie nulle part avoir jamais pensé qu’il serait le prochain président de la République. Le pouvoir lui reproche, en sus de ce qu’il sait dans son for intérieur et dont il diffère la divulgation, le pouvoir lui reproche d’avoir accepté de faire l’objet de telle rumeurs lésant la majesté du président Biya, à la tête d’un peuple qui comme son Chef, rumine, rumine, rumine, mais n’est pas dupe.
De plus en plus, le régime va se durcir, faire se succéder des fautes grossières, s’emmêler les pédales, parce qu’il court irrémédiablement à sa fin. Atangana Mebara lui-même qui vantait tant les mérites du président Biya qu’il nous présentait, au Canada, comme un grand incompris s’était-il trompé sur cet homme qu’il côtoyait de si près ou avait-il essayé de nous tromper délibérément ? Dans les deux cas, il est responsable en partie de la culpabilité éventuelle de son Chef, il reconnaît comme, après lui Marafa, que Biya n’est pas une immaculée conception.
Craintes et tremblements
Quand Biya aura épuisé ses Edzoa, Olanguena, Abah Abah, Marafa, Mebara, et cetera, quand, au fur et à mesure des épisodes du feuilleton minable dont on repaît les Camerounais, tous ses Judaillons et autres hérétiques du G11 auront été neutralisés, le président du RDPC trouvera-t-il, vivant, l’impossible paix des cimetières qu’il recherche ?
Autour de lui, le grand ménage est fait, en lui-même que se passe-t-il ? Cette guerre entre un arbre qu’on nous dit mauvais et ses fruits qui ne sauraient être bons aura des conséquences gravissimes pour le Cameroun, dussent-elles au final se révéler salutaires. Parce que le maintien de Mebara à Kondengui après son acquittement est perçu comme un acharnement sauvage.
Le président Biya tremble, ses ennemis tremblent, le peuple tremble, le Cameroun est comme en état de guerre larvée et peut-être plutôt que de créer une nouvelle juridiction d’exception, eût-il convenu de créer une Commission Vérité et Réconciliation, parce que de cela, nous aurons finalement besoin : « fais quoi fais quoi » !
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