Ces dieux qui divisent les Ivoiriens


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D’un côté, les chrétiens évangélistes, auxquels le président sortant Laurent Gbagbo est affilié en théorie, voient les signes de sa victoire se multiplier dans le ciel ivoirien. De l’autre, les musulmans qui, par le jeu des raccourcis, sont considérés comme des pro-Ouattara et se retrouvent dans la ligne de mire des forces loyales à Laurent Gbagbo. Au milieu, des illuminés et des martyrs.

La crise ivoirienne se joue aussi sur le terrain du mysticisme et de la religion comme en témoignent les sujets de la presse écrite et audiovisuelle et l’insécurité ressentie par les musulmans en Côte d’Ivoire. « Je vous envoie ce courrier pour sauver la Côte d’Ivoire. Le secret de la gouvernance de Monsieur Laurent Gbagbo s’y trouve. (…) Monsieur Laurent Gbagbo a signé des pactes sanguins avec les génies. Donc son trône subsiste par le sang humain », peut-on lire dans un courrier publié dans les colonnes du journal pro-Ouattara, Le Patriote. « Pour la destruction du pouvoir » du président sortant ivoirien, la missive préconise l’usage de « la presse écrite proche RHDP, la Radio RHDP et Télé Côte d’Ivoire (TCI) (tous proches d’Alassane Ouattara) » et l’organisation de marches pacifiques où la formule suivante sera scandée : « Gbagbo, tes génies te lavent avec le sang des gens qu’on tue. Le jour où on te le dira, tes génies t’abandonneront et tu seras un humain vulgaire ». Ce courrier a été également diffusé dans la tribune « Libre opinion » du journal Nord-Sud Quotidien, proche de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) dirigée par Guillaume Soro, le Premier ministre d’Alassane Ouattara.

Les croyances reflétées par la presse

Pourtant, dans le camp de Laurent Gbagbo, ce sont plutôt les références chrétiennes qui ont le vent en poupe aussi bien dans les reportages que dans les commentaires des présentateurs des journaux télévisés de la Radio télévision ivoirienne (RTI), le média public ivoirien à la solde du président sortant. Brou Amessan Pierre, directeur général de la RTI, et présentateur du journal télévisé, a contribué à illustrer le phénomène. Dans un de ses récents 20h, il annonce que « des rebelles ont été foudroyés cet après-midi au ministère de la Défense ». « Ils sont burkinabè pour la plupart, des Maliens, des Sénégalais. Ils n’ont pas compris qu’il y a des lieux sacrés, des bastions imprenables », poursuit-il. Le reportage, qu’il lance, celui de Laurent Seri, débute par cette phrase : « Qui s’y frotte, s’y pique ». La caméra n’hésite pas alors à montrer les corps sans vie des « assaillants » pro-Ouattara, criblés de balles. Et puis la chute du sujet vient souligner le caractère divin de cette opération militaire. « Fait insolite, annonce Laurent Sery, un nuage a décollé du ciel pour atterrir dans l’enceinte du ministère de la Défense. Le combat a donc dépassé le cadre des hommes pour atteindre celui de l’Eternel des armées. Dieu garde la Côte d’Ivoire ». Et le pied du sujet de Brou Amessan Pierre enfonce le clou : « Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ?».

 

En ce même mois de mars, c’est «un arc-en-ciel miraculeux» qui apparaît dans le ciel abidjanais. « Que dire donc de l’arc-en-ciel autour du soleil apparu dans le ciel de la Côte d’Ivoire, le samedi 19-03-2011, s’interroge-t-on dans une tribune publiée le 20 mars dans Le Temps, journal proche de Laurent Gbagbo. Nous pouvons affirmer que ce signe est divin parce qu’il nous est, d’une part, concédé après plusieurs autres phénomènes observés déjà dans notre pays, à savoir le miracle de la Vierge Marie à Agboville, celui du  »cœur sacré » dans la sauce de cette dame, et de ce « nuage » lors des attaques des rebelles. Notre pays est, d’autre part, persécuté par des forces que nous pouvons (…) qualifier de forces diaboliques (…) puisque les pratiques des rebelles ne peuvent se prévaloir de la doctrine chrétienne ou de l’islam. Les talismans, les hommes égorgés indiquent que nous sommes face à des personnes qui invoquent satan, et non le Dieu unique », conclut-on dans Le Temps.

« Les Ivoiriens sont-ils tombés sur la tête au point de tout avaler », lit-on sur le site Abidjan.net qui reprend un article daté 21 mars du journal Le Patriote. « Apparemment oui ! y répond-t-on. Hier, c’était un nuage filmé par la première chaîne de la RTI qu’un quidam aurait recueilli entre ses mains (…). Puis, ce sont de prétendus cœurs qui envahissent les sauces de foyers ivoiriens (…). Gagnés par la peur et l’intoxication, certains Ivoiriens ont perdu tout sens du discernement. Des habitants de ce pays croient déceler en toute chose un message caché de Dieu. La semaine dernière, l’apparition d’un arc-en-ciel autour du soleil a suffi pour faire dire aux inconditionnels de Laurent Gbagbo que le Seigneur est à l’œuvre en Côte d’Ivoire ». Le journal publiera néanmoins quelques jours plus tard l’article d’opinion cité ci-dessus.

Les références religieuses reprises par les journaux sont d’abord celles des politiciens. L’un d’eux n’est autre que Simone Gbagbo, l’épouse du président sortant de Côte d’Ivoire. Elle se livre depuis la crise post-électorale à un exercice à mi-chemin entre le prêche et le discours politique. Le 16 janvier, celle qui s’est attiré en 2009 les foudres de certains pasteurs évangéliques qu’elle avait appelé à jeûner durant 40 jours affirmait : « C’est Dieu qui mène notre combat et (…) ce Dieu-là, nous a déjà donné la victoire. « Peut-être que tu es un ivoirien qui n’a pas vite compris que Gbagbo était ton sauveur, le leader que Dieu mettait à ta disposition aujourd’hui», clamait-elle.

La religion : une arme politicienne

La rhétorique chrétienne est un instrument politique que les partisans de Laurent Gbagbo utilisent depuis des années. Un article de Nord-Sud Quotidien, publié le 2 novembre 2009, se fait écho des propos de Gbamanan Félicien, maire et directeur de campagne à Yopougon, quartier acquis à Laurent Gbagbo. « Les autres religions ont déjà choisi leur candidat. L’élection à venir oppose ceux qui veulent la paix à ceux qui veulent la guerre. Tous les chrétiens doivent affirmer le choix de Gbagbo, afin que leurs prières l’accompagnent à la victoire. Aux Etats-Unis même, ce sont les églises qui déterminent les élections», faisait valoir l’élu alors qu’il assistait au culte de la paroisse Saint-Gabriel d’Abobo Akéikoi de l’église du christianisme céleste. Laurent Gbagbo, chrétien déclaré, a contracté un mariage coutumier avec une musulmane, Nadiana Bamba. Le 20 septembre 2010, alors qu’il était invité à rompre le jeûne avec les musulmans à la mosquée de la Rivièra-Golf, l’une des communes de la ville d’Abidjan, le président sortant ivoirien déclarait qu’il était pour « l’égalité de traitement de toutes les religions », sa conception de la laïcité. Laurent Gbagbo s’était alors excusé des « manquements » dont avaient souffert les musulmans au nom de l’Etat ivoirien, « même (celui) de demain ».

Quelques mois plus tôt, la porte-parole d’Alassane Ouattara avait critiqué les pratiques du camp Gbagbo à l’égard des musulmans dans les colonnes du Patriote alors qu’elle offrait du sucre à la rédaction, un geste de sympathie à l’attention des musulmans pendant le ramadan. « C’est humiliant, affirmait Anne Ouloto, à la limite, nos frères musulmans son persécutés par le FPI (le parti de Laurent Gbagbo), ce n’est pas du tout acceptable. A travers ce geste que nous posons nous voulons traduire notre fraternité à tous les musulmans de la Côte d’Ivoire et les exhorter à la prière, car il n’y a que la prière qui nous débarrassera de cette race très particulière de dirigeants qui nous est imposé depuis dix ans ». Depuis le début de la crise post-électorale en décembre dernier, des mosquées ont été touchées par les balles des Forces de défense et de sécurité (FDS), restées loyales à Laurent Gbagbo, et des imams ont trouvé la mort. « Le 8 mars dernier, à Bloléquin, c’est l’Imam Issiaka Sacko et son fils qui sont froidement assassinés. Le mardi 15 mars, c’est l’Imam Bamoussa Diabaté de la mosquée de Port-Bouët 2, qui est mortellement atteint d’une balle avant l’office de 18h30 », rappelle un communiqué du Conseil supérieur des imams (Cosim), daté du 17 mars dernier. Les origines nordistes d’Alassane Ouattara et le raccourci qui fait que les gens du Nord sont systématiquement considérés comme des musulmans font de cette communauté une cible, notamment pour certains des partisans de Gbagbo dont les leaders prônent l’œcuménisme. Une veillée de prière organisée par les jeunes Patriotes, sous la houlette de leur chef Charles Blé Goudé, réunissait toutes les confessions religieuses. Le Cosim a invité les musulmans « à la patience, et à l’endurance afin de ne pas tomber dans le piège qui veut transformer ce conflit politique en un conflit entre religions ».

La communauté musulmane elle-même est par ailleurs divisée. Le Conseil national islamique (CNI), que l’on dit proche du camp Gbagbo, proposait à la mi-mars une date pour la célébration de la naissance du prophète Mahomet, alors que le Cosim, qui rassemblerait la majorité des imams ivoiriens, une autre. C’est la dernière qui sera suivie par les partisans d’Alassane Ouattara.

Le clivage chrétiens-musulmans est assurément un fonds de commerce politique. Notamment aux Etats-Unis, où Laurent Gbagbo a des amis parmi les hommes politiques chrétiens. Le sénateur de l’Oklahoma Jim Inhofe aurait ainsi écrit, rapporte un article du site Salon.com une lettre à la secrétaire d’Etat américaine afin que les élections soient réorganisées en Côte d’Ivoire. L’élu américain, qui serait le plus influent sénateur démocrate quand il s’agit des affaires africaines, s’est rendu en Côte d’Ivoire «neuf fois» et connaît Laurent Gbagbo. Ce qui les unit : un mouvement de la droite chrétienne, « The Fellowship (Foundation)» également connu sous le nom « The Family ». Le couple Ggagbo a participé à leur unique évènement public, « The National Prayer Breakfast », qui se tient chaque année au mois de février à Washington. Pour ce puissant mouvement chrétien, la Côte d’Ivoire est un pays clé en Afrique. Les forces pro-Ouattara marchent ce jeudi sur Abidjan où les combattants font d’heure en heure défection à Laurent Gbagbo, porteur des espoirs d’évangélisation du « Fellowship » en Terre d’Eburnie.

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Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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