Certains artistes [ivoiriens] en mal de publicité prennent pour prétexte, les évènements douloureux de 2002 qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire entière pour exacerber la haine, la xénophobie et le tribalisme, juste pour s’attirer la sympathie des tenants du pouvoir et autres patriotes corrupteurs.
Auguste Gnaléhi
L’art, selon la mythologie gréco-romaine, voire africaine, prend sa source dans le malheur et par le malheur. Et le plus grand malheur de l’Homme, c’est la mort. Au regard de ce qui précède, on savait que l’après 19 septembre 2002 serait très fécond en œuvres artistiques. Mais, là où le bât blesse, c’est que certains artistes en mal de publicité prennent pour prétexte, les évènements douloureux de 2002 qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire entière pour exacerber la haine, la xénophobie et le tribalisme juste pour s’attirer la sympathie des tenants du pouvoir et autres patriotes corrupteurs.
En effet, ces poètes, ces artistes prisonniers de la haine sont légion. Or, l’intérêt d’un récit ou d’un texte, dans une situation sociopolitique de ni paix ni guerre, c’est selon le bon sens de recoller les morceaux, aplanir toutes les crevasses, tous les monts et collines. D’une façon prosaïque, l’artiste c’est celui qui, à travers ses œuvres, dans ce cas de figure, réconcilie, apaise le peuple, adoucit les mœurs.
De ce point de vue, il est normal que certains artistes, la minorité, créent une prosodie particulière. Car la vie est un mouvement, c’est-à-dire faite de contradictions. Mais de là à écrire des textes, récits et poèmes « patriotiques » qui puent la haine, le nazisme et le fascisme c’est non seulement fragiliser la précarité de la paix sociale obtenue au prix des humiliations, mais pousser à bout le peuple, à une guerre fratricide. Même si écrire ou chanter est un acte thérapeutique, une sorte de catharsis, l’art possède une fonction particulière dans la société. Non seulement parce qu’il est une création renfermant les mythes et les désirs, les rêves et les passions de la communauté, mais l’art est didactique, éducatif, ludique et éthique, possédant une conscience propédeutique.
C’est le lieu ici d’interpeller ces artistes de la haine sur le fait que l’art dénonce les tares de la société qui sont, outre bien sûr l’attaque du 19 septembre 2002, le racket des forces de l’ordre, la catégorisation des Ivoiriens, le déni de patronyme, la corruption, le tribalisme au sein de l’armée, la haine exacerbée… Ne pas dénoncer ces choses-là aboutit inexorablement à la rébellion armée. L’artiste, au sens noble du terme, c’est d’être rebelle, c’est s’opposer à l’arbitraire, à la laideur de l’injustice pour récréer le beau : une société nouvelle où tout le monde est égal devant la loi. Où tout le monde va à chance égale pourvoir à un poste. Car l’artiste c’est l’être imperceptible, insaisissable qui nous fait rêver pour oublier un tant soit peu, les vicissitudes de la vie.
Auguste Gnaléhi
Critique littéraire
(Quotidien LE FRONT Côte d’Ivoire)