La décision de la Cour pénale internationale (CPI) d’ouvrir une enquête sur les présumés crimes commis en République centrafricaine (RCA) en 2002 et 2003, pendant le conflit armé entre le gouvernement et la rébellion, devrait permettre de traduire en justice les auteurs de ces crimes.
« J’ai contracté le VIH/SIDA [lorsque] j’ai été violée par des rebelles congolais, en 2002. Je serai soulagée le jour où les auteurs de cet acte d’humiliation seront traduits en justice et condamnés pour ce qu’ils m’ont fait », a indiqué mardi à Bangui, la capitale de la RCA, une femme de 44 ans. Sa fille, qui avait 13 ans à l’époque des faits, a elle aussi été violée.
Selon l’Organisation pour la compassion des familles en détresse (OCODEFAD), une organisation non gouvernementale locale, quelque 1 000 femmes auraient été violées par des rebelles de la République démocratique du Congo (RDC) entrés en RCA pour prêter main forte au régime du président Ange-Félix Patassé. L’OCODEFAD, qui fournit une assistance aux victimes de viol pendant les conflits, a indiqué que plus d’une vingtaine d’hommes avaient également été violés. Depuis, certaines victimes sont mortes du VIH/SIDA.
En annonçant, le 22 mai, l’ouverture d’une enquête, la CPI avait également précisé qu’elle agissait sur requête du gouvernement centrafricain. « Mon bureau a minutieusement examiné les informations fournies par diverses sources. Nous pensons que de graves crimes, qui relèvent de la compétence juridictionnelle de la Cour, ont été commis en République centrafricaine », a indiqué le procureur, Luis Moreno-Ocampo, dans un communiqué de presse. « Nous mènerons une enquête indépendante, réunirons des preuves et poursuivrons les principaux responsables », a-t-il ajouté.
La crise a éclaté en RCA lorsque M. Patassé, qui dirigeait le pays depuis août 1993, a été confronté à une rébellion sanglante dirigée par François Bozizé. Au plus fort de la crise, des miliciens du Mouvement de libération du Congo (MLC), un mouvement rebelle de la RDC, étaient entrés en RCA pour soutenir M. Patassé.
Le président Patassé a été renversé le 15 mars 2003 par M. Bozizé, ce qui a mis fin à six mois de combats et contraint les rebelles congolais à quitter le pays. Exilé au Togo, M. Patassé a été condamné par contumace, en août 2006, à 20 ans de travaux forcés, une condamnation assortie d’une lourde amende pour création de sociétés fictives.
Selon la CPI, la plupart des assassinats, pillages et viols ont été commis en octobre-novembre 2002 et février-mars 2003.Cette enquête constitue un précédent, car c’est bien la première fois que le procureur de la CPI examine un dossier dans lequel les violences sexuelles présumées surpassent en nombre les crimes (et de loin).
« Des témoignages crédibles font état de viols commis sur des civils (des femmes, des jeunes filles et des hommes). Des scènes de cruauté, constituant un facteur aggravant, ont souvent été rapportées, notamment des viols en réunion commis devant une tierce personne et auxquels les parents des victimes étaient parfois contraints de participer », a révélé la CPI.
« Beaucoup de victimes ont souffert de stigmatisation sociale et certaines d’entre elles ont contracté le VIH », a souligné la Cour, révélant que 600 victimes de viol avaient été identifiées en l’espace de cinq mois. « Les informations dont nous disposons laissent penser que les viols de civils étaient bien trop nombreux pour pouvoir se soustraire au droit international », a commenté M. Moreno-Ocampo.
Une ouverture d’enquête bien accueillie
« Cette décision vient couronner les efforts déployés par le gouvernement centrafricain pour rendre justice aux centaines de personnes qui ont souffert sous l’ancien régime », a indiqué mardi, à Bangui, Firmin Feindiro, le procureur général de la RCA. Cette décision, a-t-il confié à IRIN, touche des personnes clés telles que M. Patassé et le dirigeant du MLC, un mouvement rebelle de RDC, mais également le conseiller militaire de M. Patassé.
Pour Edith Lawson Douzima, avocate et coordinatrice du bureau centrafricain de la Coalition pour la Cour pénale internationale, « il y a lieu d’être totalement satisfait de la décision de la CPI d’ouvrir une enquête, même s’il a fallu beaucoup de temps à la Cour pour réagir ».
L’ouverture de l’enquête, a-t-elle ajouté, est le signe que le dossier pourrait aboutir. Elle permettra également au pays d’en savoir plus sur les graves violations des droits humains commises pendant cette période.
Cependant, d’après un partisan de M. Patassé, qui a requis l’anonymat, il y a eu des violations des droits humains sous l’ancien régime, mais la rébellion, dirigée par François Bozizé, le président en exercice, a également commis des crimes.
Selon la CPI, la Cour de cassation, l’organe suprême de la justice en RCA, avait indiqué que le système judiciaire centrafricain n’était pas en mesure de mener les procédures complexes nécessaires à l’enquête et de poursuivre les auteurs présumés de ces crimes.
Conformément au Statut de Rome portant création de la CPI et ratifié par la RCA, la Cour ne se saisit d’une affaire que si les autorités nationales compétentes sont incapables ou refusent d’engager de véritables procédures judiciaires.
Pendant les enquêtes, le procureur continuera de suivre l’évolution de la situation actuelle en RCA, car des « rapports inquiétants font état de violences et de crimes commis dans les régions nord limitrophes du Tchad et du Soudan », a indiqué la CPI.
Photo / IRIN : Luis Moreno-Ocampo, procureur de la Cour pénale internationale