Alors qu’il vient de réussir l’une de plus importantes levées de fonds que la Centrafrique ait jamais connue de son histoire, plus de 2,2 milliards de dollars de promesses de dons, le Président Touadéra se retrouve paradoxalement dans une situation plus qu’inquiétante : les événements successifs de ces derniers mois dégradent le climat centrafricain et des nuages se forment de nouveau sur l’avenir.
Depuis l’élection du Président Touadéra, on avait observé une accalmie voire le retour de la paix et de la sécurité dans la majeure partie du pays. La population reprenait le cours de sa vie et les activités économiques retrouvaient leur élan un peu partout. Mais depuis septembre 2016, des épisodes violents se succèdent et se ressemblent, un peu partout dans le pays, particulièrement dans les zones sous contrôle des fractions rebelles, Bangui n’étant pas pour autant épargnée. Ce qui pourrait, aux dires des experts militaires, maquiller un plan de déstabilisation du Président Touadéra.
En cause, le refus d’amnistier les criminels
Tout aurait commencé en septembre dernier lors de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. Selon certaines indiscrétions, le Président Touadéra aurait reçu un accueil froid de la part de certains de ses pairs mais également de certains représentants d’organisations internationales œuvrant en Centrafrique. En cause, son refus d’amnistier les criminels notoires recherchés ayant causé la mort de plusieurs milliers de centrafricains. En effet, certains criminels recherchés, pour certains d’entre eux bénéficiant de la bienveillance de certaines autorités sous régionales, mais également des têtes couronnées dans les pays du Golfe, tentent tant bien que mal d’échapper à la justice par tous les moyens y compris par les armes, quitte à semer le chaos partout dans le pays si cette amnistie ne leur était pas accordée.
Pour rappel, les forums de Brazzaville et de Bangui en 2015, avaient, dans leur conclusion, souligné que désormais il n’était plus question de prime à l’impunité, c’était clair et net. « Tous les criminels devront répondre de leurs crimes devant la Cour pénale spéciale pour la Centrafrique qui verra le jour dans quelques mois ». Dans le projet d’amnistie, que certains pensaient imposer, on retrouve un activisme inquiétant de la part de certains hommes politiques y compris dans les organes de décision eux-mêmes.
Sinon comment comprendre que certains hommes politiques et non des moindres, dont certains ont participé aux forums de Brazzaville et de Bangui, puissent revenir à la charge et chercher à tout prix à imposer voire forcer le nouveau Président élu à revenir sur ce que toute la population ne veut plus entendre, « l’impunité ». Par un lobbying intense dans la sous-région, mais également à l’international, ils ont induit en erreur certains dirigeants, en parlant d’un projet d’amnistie qui serait sur le point d’aboutir alors qu’au même moment, le pouvoir en place, faisait tout son possible pour mettre en place la Cour pénale spéciale, dont le financement est presque bouclé.
Selon une source onusienne, la fermeté et le refus du Président Touadéra face aux pressions en vue d’une amnistie générale pour les criminels, en a surpris plus d’un et surtout refroidi les ardeurs de ceux qui pensaient pouvoir lui forcer la main. Pour ces derniers, la paix était à ce prix, et malheureusement les événements observés ces derniers mois dans le pays ne font que confirmer cette thèse.
Bien que le Président Touadéra ait pu s’expliquer avec ses pairs afin d’apporter les éclaircissements sur la situation et dissiper le malentendu entretenu par certaines autorités, la menace n’est pas pour autant écartée. Pour preuve, curieusement, la situation a commencé à s’envenimer juste après New York. Les hostilités ont commencé dans certaines zones à l’intérieur du pays, notamment à Kaga Bandoro en octobre dernier, où les violences ont fait plusieurs morts et blessés, causant un déplacement massif de population vers d’autres zones.
Ensuite, on a observé une journée ville morte à Bangui. Un événement qui était censé se dérouler selon ses organisateurs de façon pacifique, mais qui s’est soldé par quatre morts et quelques blessés. Les manifestants auront été tout sauf pacifistes, selon les sources policières. Certains individus ont été appréhendés munis de fusils d’assaut et de lance-roquettes, selon une source policière ayant participé à leur arrestation. Devant les policiers, les individus appréhendés n’ont pas hésité à indiquer la provenance de leurs fusils.
Selon une source policière ayant requis l’anonymat, cette ville morte serait une tentative orchestrée par une frange des radicaux Selaka et Anti-balaka, en complicité avec certaines personnalités politiques y compris au sein du gouvernement, dans le but de replonger Bangui dans ses vieux démons. La question que l’on est en droit de se poser est de savoir si le Président Touadéra connait véritablement les hommes et les femmes avec qui il travaille. Cela rappelle cette phrase d’un diplomate européen à Bruxelles lors de la table ronde, « quel lendemain attend-on pour la Centrafrique si même en aparté, certains dirigeants ne jouent pas collectifs, même pour les enjeux nationaux ? »
Manque de patriotisme
Malheureusement, dans le pays de Barthélemy Boganda, considéré comme le père fondateur du Centrafrique, la classe politique est souvent critiquée pour son appât du gain, souvent privilégié sur l’intérêt national. Ainsi, le commentaire de ce diplomate est d’autant plus vrai qu’à Bruxelles, les agissements de certains laissaient penser que chacun était venu défendre son petit territoire au lieu d’un projet commun pour l’avenir de tout un peuple. Il est temps que l’intérêt national soit remis au cœur de l’action politique toute catégories confondues, mais plus particulièrement au gouvernement, où l’affairisme de certains responsables n’est pas compatible avec l’exercice du pouvoir.
Les Centrafricains ont payé un très lourd tribut depuis bientôt quatre ans. Ce peuple mérite la paix et la sécurité, condition sine qua non pour un développement harmonieux. Que certains criminels veuillent prendre tout un peuple en otage est inacceptable. Le temps de l’amnistie générale, suivi d’un maroquin ministériel est révolu. C’est l’impunité qui a amené ce pays dans la situation dans laquelle il se trouve actuellement. Ne pas en tenir compte et répéter la même erreur serait fatal.