Les rebelles du Sélaka ont sommé ce mercredi le pouvoir de déposer les armes. Après avoir pris les villes de Ndélé, Bria, et Bambari, ils ont mis la main mardi sur la ville stratégique de Kaga Bandoro. Le Sélaka, coalition de plusieurs groupes armés dans le pays, a repris les armes le 10 décembre, exigeant que les autorités à Bangui respectent les accords de paix signés entre 2007 et 2011. Ces accords prévoyaient notamment un programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion. Roland Marchal, chercheur au CNRS, spécialiste de la Centrafrique, analyse la situation. Interview.
La situation est tendue en Centrafrique. Pour le moment, les forces armées centrafricaines, sous équipées, n’arrivent pas à faire face à la rébellion. Le Tchad reste aussi timide face à la situation. Il a envoyé des éléments de son armée à bord d’une vingtaine de véhicules, positionnés en force d’interposition et non d’attaque. Cette passivité du Tchad, lui vaut d’être accusé par certains Centrafricains d’être responsable de la situation et de soutenir les rebelles. Les chefs d’Etat de la Communauté économique des états d’Afrique centrale (CEEAC) réunis vendredi en urgence à N’Djamena, capitale du Tchad, avaient accepté de renégocier différents accords de paix avec les rebelles. A condition toutefois qu’ils se retirent des villes qui sont tombées entre leurs mains dans un délai n’excédant pas une semaine. Une requête rejetée par les rebelles qui refusent d’effectuer un retrait sans effectuer un accord préalable de cessez-le-feu.
Afrik.com : Qui sont les rebelles du Sélaka ? Que revendiquent-ils ?
Roland Marchal : Cette coalition improbable regroupe plusieurs mouvements armés très différents qui sévissent dans le nord de la Centrafrique. L’essentiel de ces membres sont musulmans alors que la majorité du pays est chrétienne. Elle bénéficie des défaites successives de l’armée centrafricaine. Ce qui lui a permis d’intégrer différents mouvements armés inactifs depuis de longs mois ou débandés. Le Sélaka souhaiterait aujourd’hui un changement de régime, même s’il continue de mettre en avant des accords de paix signés entre 2007 et 2011, notamment les conditions d’un programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion qui a montré ses limites. Après avoir signé les accords de paix, les rebelles ont eu le sentiment que la mise en œuvre de ces textes était trop lente, partielle, et chiche. Mais C’est pour cela sans nul doute qu’une partie d’entre eux a décidé de reprendre les armes.
Afrik.com : Le pouvoir n’a donc pas respecté les accords de paix ?
Roland Marchal : Le pouvoir, il est vrai n’a pas été jusqu’au bout des accords de paix. Mais toutefois 30% des effectifs des rebelles en ont bénéficié. Certains responsables sont même devenus parlementaires. Le problème est que dans les rangs du Séléka, cela ne s’est pas passé aussi bien que dans pour d’autres mouvements : les chefs ont eu accès à des postes et à certains privilèges mais les combattants de base en ont été privés. Il y a donc eu une certaine avancée du processus même s’il devait déjà être achevé quatre ans après la signature des accords. Cependant, ces accords ne sont pas l’unique revendication des rebelles. Je pense qu’ils s’en servent plus comme un prétexte pour expliquer leur reprise des combats. Ils souhaitent aussi une plus grande présence de l’Etat dans le nord du pays, gage d’emploi et d’investissements. Ils réclament des biens publics pour le développement de leur région. Ce qui est préoccupant aujourd’hui, au sein du sélaka, c’est qu’il y a des ralliés de la garde présidentielle qui ont des intérêts totalement autre. Une grande confusion en perspective.
Afrik.com : Que se passe-t-il au sein de l’armée centrafricaine ? Pourquoi n’arrive-t-elle pas à faire face à cette rébellion ?
Roland Marchal : L’armée centrafricaine a des officiers bien formés. Le problème ne se situe pas à ce niveau. Selon une source proche du pouvoir, que j’ai rencontrée lorsque j’étais à Bangui, des officiers supérieurs ont été voir le fils du président Bozizé, ministre de la Défense, et lui ont demandé des moyens pour mener l’offensive contre les rebelles. Ce dernier a rendu compte à son père de cet entretien. Et le président Bozizé lui a répondu : « si tu leur donnes les équipements qu’ils réclament, sois sûr que dans les quatre heures qui suivent, ils mèneront un coup d’Etat contre moi ». Une phrase qui explique tout. Bozizé doute de sa propre armée. Il craint un coup d’Etat. C’est pour cela qu’il refuse de lui donner plus de moyens. C’est quelqu’un qui ne prend aujourd’hui aucune décision, demeure attentiste alors que sa vie est en jeu.
Afrik.com : Que voulez-vous dire ? Son régime est-il menacé ?
Roland Marchal : Oui son régime est menacé. Il n’y a aucun doute là-dessus. La situation est actuellement extrêmement tendue. Et le régime ne réagit pas. D’une part, les officiers supérieurs sont découragés mais souhaitent qu’on leur donne plus d’indépendance. Car Bozizé filtre toute leurs décisions, qu’il supervise à la lettre. Les militaires ne peuvent en prendre aucune sans son aval. D’autre part, les soldats qui sont envoyés sur le terrain sont très jeunes et inexpérimentés. Ils perdent beaucoup de batailles. Face à eux, ils ont des rebelles bien armés et formés qui connaissent très bien le terrain. C’est une boucherie à chaque fois ! Pourtant, la force des rebelles n’est pas impressionnante. Vous les mettez face à l’armée nigériane, bien organisée, ils ne tiennent pas un quart d’heure ! Mais c’est à cause de la faiblesse de l’armée centrafricaine qu’ils sont en position de force actuellement. Tout cela parce que le pouvoir ne laisse pas fonctionner l’armée centrafricaine comme une vraie armée.
Afrik.com : Dans quel état se trouve aujourd’hui la Centrafrique depuis que Bozizé a été réélu en 2011 après avoir effectué un coup d’Etat en 2003 ?
Roland Marchal : C’est un pays de plus en plus pauvre depuis les élections de 2011. Le dynamisme de la période 2003-2005 s’est estompé. L’élite s’est enrichie alors que la population s’est appauvrie. Le gouvernement dit oui à tout ce que fait Bozizé. Un quart du parlement est issue des proches du président. Il y a intégré maîtresses, fils, frères, oncles, et cousins. Même l’ex-président Ange Félix Patassé, qui a ruiné l’économie du pays dans les années 90, n’avait jamais fait cela. C’est aussi pour cela que Denis Sassou Ngesso et Idriss Deby sont très critiques à l’encontre de Bozizé. Rappelons, que le coup d’Etat contre Ange Félix Patassé, qui a permis à François Bozizé de prendre le pouvoir en 2003, a été avant tout un coup d’Etat régional. Il a été mené avec le soutien de Sassou Ngesso et Deby. Il y a eu en effet une espèce de convergence régionale pour se débarrasser de Patassé qui devenait trop encombrant. S’il ne prend pas garde, Bozizé pourrait être pris à son propre jeu et subir le même sort.
Afrik.com : Pourtant Denis Sassou Ngesso et Deby ont soutenu Bozizé à son arrivée au pouvoir. Qu’est-ce qui les gêne dans la façon dont il dirige le pays ?
Roland Marchal : Sassou et Deby sont loin d’être exemplaires en matière de démocratie et de bonne gouvernance. Mais ils estiment qu’il y a des choses qu’on ne fait désormais plus, même lorsqu’on est au pouvoir. Or ce message, Bozizé ne le comprend pas. Même Omar Bongo, lui a dit un jour lors d’une discussion : « Tu dois comprendre quelque chose. Il faut savoir faire de la soupe pour ensuite pouvoir la partager avec tout le monde » Il le regardait sans rien comprendre. Pour lui, tant qu’il y a de l’argent, il faut se servir.