Alors que Bangui est en proie aux troubles et à l’insécurité, certains ont manifestement déjà l’esprit tourné vers l’élection présidentielle programmée pour fin 2014.
Et visiblement, pas seulement la classe politique centrafricaine ; certains médias aussi. La prise de position univoque de Jeune Afrique, hebdomadaire cinquantenaire installé à Paris, Rue d’Auteuil, suscite des interrogations.
L’engagement des troupes de l’ONU et de la France dans la construction de la paix civile en Centrafrique ne semble rien changer : certains acteurs ont manifestement déjà l’esprit tourné vers l’élection présidentielle programmée pour fin 2014. Et visiblement, pas seulement au sein de la classe politique centrafricaine : certains médias aussi s’en mêlent. Ceux – nombreux – créés à des fins partisanes et dont l’objectif premier, voire unique, est de promouvoir celui qui les stipendie (ils fleurissent aujourd’hui sur la toile). Mais aussi d’autres, ou plus exactement un autre, dont la qualité de doyen impose le respect, mais dont les prises de position partisanes depuis plusieurs semaines suscitent l’interrogation : Jeune Afrique.
Pour l’hebdomadaire panafricain basé à Paris, les hommes politiques centrafricains engagés dans la transition seraient dans leur écrasante majorité, responsables du malheur qui frappe leur pays à l’heure actuelle. Ce serait le cas du Président actuel de la transition, Michel Djotodia, dont le Président français François Hollande, a indiqué qu’il « n’a rien pu faire, voire même a laissé faire ». Avec toutes les nuances qu’il convient d’apporter dans une situation aussi complexe, force est de constater que ce jugement recoupe une malheureuse réalité.
Plus étonnant, ce serait le cas également du Premier ministre de la transition, Nicolas Tiangaye, qualifié par Jeune Afrique de « chef visiblement épuisé d’un gouvernement… sans moyen ni programme ». Mais aussi de Martin Ziguélé, le leader du MLPC, que le Premier ministre soutiendrait « ouvertement ». Ou encore d’Alexandre Ferdinand Nguendet, le Président du Conseil national de la transition. Tous trois auraient « accompagné… le monstre Séléka à Bangui ». Jeune Afrique oublie simplement de préciser que c’est le non respect des accords de Libreville par l’ancien Président François Bozizé, ainsi que l’absence de soutien armé – à l’intérieur comme à l’extérieur du continent – qui a provoqué la chute de l’ancien régime et l’entrée des troupes de la coalition Séléka dans la capitale centrafricaine, à la fin du mois de mars dernier. Dès le mois de mai, le Premier ministre Nicolas Tiangaye exhortait la communauté internationale à donner un mandat clair à la FOMAC et à la France afin qu’elles puissent intervenir pour mettre fin aux exactions à Bangui, comme dans le reste du pays. Celui-ci a réitéré ce message le 25 septembre dernier lors de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. Mais ces faits, Jeune Afrique semble les avoir occultés.
La classe politique centrafricaine serait-elle dès lors, sans exception aucune, irrémédiablement décrédibilisée ? Dieu merci, non ! Car une personnalité semblerait être à la hauteur de la situation et trouver ainsi grâce aux yeux de Jeune Afrique. Il s’agit du seul, de l’unique Anicet Georges Dologuélé. Cet ancien gouverneur de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), dont le mandat a été écourté à la tête de l’institution en 2010, est visiblement très en Cours au 57 bis, rue d’Auteuil, à en juger par le traitement de faveur dont il bénéficie depuis plusieurs mois.
Celui-ci a d’abord eu droit, le 19 juin dernier, à une interview en bonne et due forme. Intitulée « Pourquoi je serai candidat », elle donne l’occasion à cet ancien Premier ministre de Patassé (dont le mandat fut là aussi écourté après deux années seulement d’exercice) de distribuer bons conseils et mauvais points. Le 20 septembre dernier, un nouvel article, au titre messianique (« Dologuélé, le retour »), lui est consacré. Après onze années d’absence, l’enfant prodigue revient à Bangui !
Troisième acte notable, le 27 novembre 2013, Jeune Afrique consacre un dossier à la RCA, sous le titre : « Séléka dégagez ! » Tous les hommes politiques centrafricains sont mis dans le même sac et en prennent pour leur grade. Tous sauf un : l’incontournable Anicet Georges Dologuélé. Celui-ci y va de son commentaire – il est le seul homme politique centrafricain à qui cette opportunité est donnée – sur la situation d’un pays dont il s’est pourtant tenu à l’écart pendant plus d’une décennie : « Un tel degré de sauvagerie, je n’ai jamais vu cela dans l’histoire de mon pays. » Et Jeune Afrique de poursuivre : « La communauté internationale ne sait même pas à qui donner de l’aide d’urgence, car il n’y a aucune autorité fiable pour la recevoir ».
Dernier acte cette semaine. Jeune Afrique consacre sa « une » à la Centrafrique. En pages intérieures, un chapitre de l’article qui s’y rapporte est consacré à l’élection présidentielle à venir. Les candidats potentiels sont égrenés un à un mais un seul, à nouveau, semble réunir toutes les qualités requises : lequel ? Vous l’avez deviné : Anicet Georges Dologuélé, présenté comme un « concurrent sérieux » et qui serait visiblement le seul à pouvoir élargir sa base électorale au-delà de sa région d’origine, en raison de ses « liens matrimoniaux ». Et peu importe que son parti, créé à Paris en août dernier, ne soit enraciné que très superficiellement dans le pays…
Entre journalisme impartial et communication politique, Jeune Afrique semble avoir choisi.