Les tractations se poursuivent à Libreville pour tenter de trouver une solution à la crise centrafricaine. Les rebelles du Séléka, qui contrôlent les ¾ du pays, exigent la démission du président François Bozizé. Ce dernier, qui se cramponne au pouvoir, refuse de négocier son départ. Afrik.com est allé à la rencontre d’Eric Massi, porte-parole et coordonateur des rebelles. Il livre leurs attentes, revendications et projets politiques pour la Centrafrique.
Corpulence imposante. Vêtu d’un pantalon pince noir assorti d’une chemise bleu, Eric Massi, 41 ans, est élégant du haut de ses 1m 85. A première vue, difficile de croire que c’est lui la tête pensante de la rébellion séléka en confrontation depuis décembre avec François Bozizé. Le consultant financier d’une entreprise de management à Paris, au verbe facile, n’a en effet rien d’un rebelle. C’est d’ailleurs avec le sourire et des poignées de mains chaleureuses qu’il nous accueille à l’hôtel Lutetia, après avoir été mainte fois sollicité et répondu à plusieurs appels téléphoniques. Son agenda est chargé. Mais il s’efforce de rester aimable avec tous ses hôtes qui défilent tout au long de la journée. Mais l’homme à la voix grave et posée devient grave dès lors qu’on aborde la crise centrafricaine.
Il n’oubliera jamais le 19 décembre 2009. Jour où son père Charles Massi, homme politique sous le régime du défunt président Ange Félix Patassé, qui a créé un laboratoire pharmaceutique, a été assassiné sur les ordres du président François Bozizé. Sa mère Denise Massi décède quelques mois après la mort de son mari. Pour Eric Massi, doublement orphelin, la blessure est encore vive. Tout débute en 2008, lorsque Charles Massi, ministre d’Etat des Transports de Bozizé, conteste le massacre mené par les troupes du régime contre les fiefs de l’ex-président Patassé, dans le nord du pays. Une voix discordante qui irrite le président centrafricain qui le limoge deux mois après et lui coupe tous ses vivres. Charles Massi décide alors d’unir les rébellions du pays divisées et dispersées pour rétablir un état de droit. François Bozizé comprend vite que les projets du médecin constituent une menace pour son règne. Il décide alors de l’éliminer.
Un assassinat qui révolte les différents groupes armés, qui décident de se rassembler. D’où la naissance du séléka, qui signifie alliance dans la langue locale. Les rebelles font finalement appellent à Eric Massi pour terminer le travail que son père avait entamé. « J’ai pris mes responsabilités pour honorer sa mémoire. Nous nous sommes réunis en août 2012 avec les différents chefs rebelles. Nous avons en septembre mené des opérations pour signaler à Bozizé que nous sommes toujours là, explique Eric Massi. Nous lui avons indiqué que nous avions la capacité de destabiliser Bangui pour qu’il ouvre des négociations. Mais au lieu de négocier avec nous, il a ordonné des attaques contre nos bases. Raison pour laquelle nous avons pris la décision de riposter en décembre, même si au départ ce n’était pas prévu ». L’héritier de Charles Massi, lui, ne s’imaginait pas encore il y a quelques mois, qu’il dirigerait la coalition de la rébellion centrafricaine susceptible d’entraîner la chute du président Bozizé.
Afrik.com : Pourquoi n’êtes-vous pas à Libreville pour faire avancer les pourparlers ?
Eric Massi :
Est-ce que Francois Bozizé y est lui ? Pour le moment nous attendons de voir comment les choses se déroulent. J’attends le moment opportun pour m’y rendre.
Afrik.com : Qu’attendez-vous des négociations de Libreville ?
Eric Massi :
La conférence à Libreville a été très mal préparée. De quoi va-t-on parler ? Tout est encore très flou. Nous n’avons pas d’agenda précis concernant les négociations. Or, nous réclamons le départ de Bozizé, que nous refusons de négocier. Nous ne voulons pas faire les mêmes erreurs que dans le passé en entamant des dialogues qui ne déboucheront à rien. Nous avons les moyens de rentrer dans Bangui mais nous ne l’avons pas fait afin de préserver les vies des populations. J’ai indiqué aux rebelles qu’il était inutile de rentrer dans Bangui car une capitale ne se prend pas, elle se donne. Nous adhérons aux valeurs de paix de l’Union africaine. Et je suis prêt à aller à Libreville pour porter ce message au nom du peuple centrafricain. Car contrairement à ce que l’on pense, il n’y a pas que des milices au sein du séléka. La rébellion regroupe aussi des populations centrafricaines qui se sont jointes à nous ainsi qu’une nouvelle génération d’hommes politiques prêts à redresser le pays.
Afrik.com : Nombre de Centrafricains peinent toujours à comprendre la raison de vos actions. Hormis le fait qu’il n’ait pas respecté les accords de paix signés entre 2007 et 2011, pourquoi réclamez-vous le départ du président Bozizé ?
Eric Massi : D’abord je tiens à préciser à nouveau que si nous avions voulu faire une prise de pouvoir par la force nous ne nous serions pas arrêtés à Bangui. Nous volons une solution politique et non militaire. Nous réclamons le départ de Bozizé car il a perdu toute crédibilité vis-à-vis de son peuple. Il aurait dû lui tendre la main dès le début de la crise. En tant que père de la Nation, il doit respecter sa parole et préserver l’unité de son peuple. Mais il ne l’a pas fait. Il n’a fait que créer des divisions au sein du peuple centrafricain. Il a d’ailleurs aussi perdu toute crédibilité au sein de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (Cemac), qui lui a prodigué des conseils en mettant à sa disposition tous les moyens matériels. Les chefs d’Etats de la Cemac ont tout fait pour que nos pays vivent dans la paix. Nous voulons dire qu’en Afrique il existe des talents. On doit leur permettre de s’exprimer en créant un cadre adéquate. Aujourd’hui, une opportunité se présente à toutes les bonnes volontés. C’est aux Centrafricains et aussi aux chefs d’Etats africains de faire preuve de courage, en nous soutenant. C’est le message que nous comptons leur adresser lorsque nous irons à Libreville.
Afrik.com : Que comptez-vous faire si François Bozizé refuse de quitter le pouvoir malgré les négociations ?
Eric Massi :
Nous espérons que les négociations puissent aboutir. Je dis toujours qu’il ne faut pas ajouter l’humiliation à la défaite. Nous espérons que François Bozizé saura entendre ses pairs s’ils décident de l’aider à quitter le pouvoir dignement. Dans le cas contraire, nous serions dans une impasse politique. Nous n’excluons pas de le déloger du pouvoir par la force s’il s’entête. Mais cette décision ne nous appartient pas seuls. Il faudra également consulter l’armée centrafricaine sur la question. Toutefois, pour le moment, nous restons patients mais nous ne pouvons exclure l’utilisation de la force pour qu’il s’en aille. Plusieurs éléments montrent que Bozizé est inquiet pour la survie de son régime. Il a fait venir une force sud-africaine pour le protéger. Cela signifie-t-il qu’il n’a plus confiance en sa propre armée ni aux forces de la Cemac ? Pourquoi a-t-il pris une telle décision alors que les forces de la Cemac sont à sa disposition. En attendant, les exécutions sommaires se poursuivent dans le pays, notamment contre les familles et proches des membres de la rébellion. Quand la crise prendra fin, beaucoup de choses seront révélées.
Afrik.com : Vous êtes à la tête de la rébellion confrontée à François Bozizé, qui a ordonné l’assassinat de votre père. Est-ce un moyen avant tout pour vous de régler vos comptes personnels avec lui ?
Eric Massi :
Mes affaires personnelles regardent la justice. Mon cas est certes plus médiatisé, mais il est loin d’être isolé. Nombre de Centrafricains ont souffert de la répression du régime de Bozizé. D’ailleurs je n’ai même pas besoin d’agir. Plusieurs plaintes ont déjà été déposées par la société civile contre les exactions menées par le régime de Bozizé. Maintenant c’est à la justice internationale de se mettre en marche. Le régime de Bozizé ne représente pas le peuple centrafricain. Nous appelons la communauté internationale et les chefs d’Etats africains à nous soutenir. L’opposition centrafricaine doit aussi prendre ses responsabilités. Il est de son intérêt d’accompagner une nouvelle génération au pouvoir, qui fait preuve d’une probité morale et intellectuelle.
Afrik.com : Quels sont projets politiques ?
Eric Massi :
Nous devons rebâtir le pays et rétablir la sécurité (Il pèse ses mots). Et créer des conditions qui permettent à une démocratie de fonctionner. Mettre en place des routes, infrastructures. Relancer l’économie. Permettre aux médias de s’exprimer. Nous devons aussi immédiatement relever le niveau de vie de nos compatriotes. C’est essentiel. En Centrafrique, le salaire moyen n’est que de 25.000 Fcfa (40 euros) ! C’est inacceptable ! Nous devons mettre en place une gestion de l’Etat. Pour cela, il faut que cette nouvelle génération de politiques qui a envi d’agir pour son pays puisse être mise aux commandes.
Afrik.com : Si vous arrivez au pouvoir qu’est ce qui garantit que vous ne mettrez pas en place une nouvelle dictature après le départ de Bozizé ?
Eric Massi :
D’abord si nous avions voulu pendre le pouvoir par la force, nous l’aurions fait car nous en avons les capacités. Nous avons prouvé notre bonne volonté à dialoguer, à préserver les vies des populations centrafricaines. Nous ne voulons pas de victoire militaire mais politique. Nous allons travailler avec tous les Centrafricains. Nous voulons aussi que ce soit un civil qui dirige le pays, non un militaire.
Afrik.com : Même si vous affirmez avoir la volonté de redresser le pays, ne craignez vous pas qu’au sein des milices du séléka, certains puissent s’emparer du pouvoir pour rétablir une dictature ? Ne craignez-vous pas de perdre le contrôle de votre mouvement?
Eric Massi :
Nous n’ignorons pas toutes les difficultés que requiert cette situation. Mais si nous avions voulu mener une action militaire contre Bozizé nous ne lui aurions pas tendu la main. De plus, le président du séléka Michel Djotodia, qui dirige les actions militaires sur le terrain, n’est pas un militaire mais un haut fonctionnaire. Nous n’avons pas des profils de dictateurs ! Et nous ne sommes pas dans une logique de conquête du pouvoir.
Afrik.com : Si le président Bozizé accepte de quitter le pouvoir, comptez-vous mettre en place des nouvelles élections ? Si c’est le cas est-ce que vous seriez candidat ?
Eric Massi :
Vous allez un peu vite en besogne (il sourit). Pour le moment, nous n’en sommes pas encore à ce stade. Mais si nous réussissons à atteindre nos objectifs, notre première tache sera d’établir un changement. Nous allons définir une feuille de route qui nous permettra de rétablir le pays. Concernant mon éventuelle candidature, je ne suis pas encore dans cette réflexion. Je ne sais pas encore comment aboutiront les pourparlers à Libreville. Va-t-on mettre en place une transition politique ? Bozizé se représentera-t-il aux prochaines élections ? Il y a encore trop de questions en suspens.
Afrik.com : Que pensez-vous de la position de la France qui a décidé de ne pas intervenir dans le conflit. Pourrait-elle jouer un rôle d’arbitre ?
Eric Massi :
C’est une affaire africaine. La France n’a pas à intervenir. Je salue d’ailleurs sa décision de ne pas intervenir. Cette crise doit être réglée entre Africains. Je pense que c’est une très bonne chose que les Africains se mobilisent pour gérer ce type de situation et montrer qu’ils en sont capables.