Deux piètres conseillers ou peut-être trois, à savoir l’humiliation, la rancœur et une sorte d’impuissance ont aiguillonné la manière de règlement de comptes qui a eu lieu à bord de l’aéronef d’Ethiopian Airlines le 21 mars dernier, en présence du Premier ministre centrafricain Faustin-Archange Touadéra.
Les faits
Le président de la commission de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (Cemac), Antoine Ntsimi, est de fait le chef de la diplomatie subrégionale et est accrédité par les Chefs d’Etat qui l’ont désigné. Il a, par exemple, été le négociateur en chef des fameux accords APE (Accords de partenariat économique).
Non, il n’a pas rang de Président de la République, n’a pas été élu au suffrage universel, mais il mérite toute la considération due à ceux qui l’ont désigné et au peuple dont il est ressortissant. Les invectives dont ont été abreuvés les médias à son propos sont naturellement inacceptables.
Antoine Ntsimi, candidat déclaré à sa propre succession, ainsi que lui en donnent droit les textes, a fait preuve de retenue. Ses détracteurs ont accusé tous ceux qui relevaient les méthodes cavalières de la République centrafricaine (RCA) d’avoir été soudoyés par l’ancien ministre des Finances camerounais.
S’il s’est retenu, cela a pu être interprété comme un acte ultime d’arrogance. Depuis quand l’arrogance suscite-t-elle des haines aussi féroces ? Elle a même souvent été vue comme une qualité aristocratique. Le fait est que, du palais de la Renaissance à la caserne de Kati, quand on veut noyer son chat, on l’accuse d’arrogance.
Les méfaits
Antoine Ntsimi n’a-t-il eu dans son action à la tête de la Communauté que l’intérêt de celle-ci ? Il est permis d’en douter. Non pas en raison de ce qu’il mènerait grand train, à Bangui : sa villa à Ekouda, ses états de carrière expliquent son opulence. Et contrairement à ce que l’on croit à Bangui, ce n’est pas l’institution qui l’a enrichi.
En revanche, il suffit de visiter le site institutionnel de la Cemac, presque aussi incroyablement mal fait que celui du Minproff (ministère camerounais de la Promotion de la femme et de la famille) pour réaliser que le lien « Antoine Ntsimi » qui conduit à la page personnelle de l’ancien ministre des Finances se démarque : multimédia, conviviale, conceptuellement irréprochable, éditorialement au point, techniquement à la pointe, bref de la belle ouvrage !
Antoine Ntsimi est sans doute la personnalité politique camerounaise qui se vend le mieux dans les blogs. La promotion de son image s’est elle fait au détriment de l’intérêt communautaire ? Ça n’est pas le sujet ! Du moins, ce ne sont pas là les griefs que ses nombreux ennemis ont relevés a priori.
Position du problème
Si l’ancien ministre de Bokassa commençait par apurer les arriérés de contribution que son pays doit à la Cemac, peut-être serait-il plus fondé à manifester aussi bruyamment son courroux, plus recevable à étaler ses affects.
Il est souverain en RCA, mais cela lui fait une belle jambe au niveau de la Communauté. La RCA qui jette comme un malpropre un ressortissant camerounais, c’est proprement le Petit Poucet qui s’est mis dans l’esprit de dévorer l’ogre auquel il a déjà spolié l’appétit…
Solution retenue par Bangui : ci-gît le bon sens
Si l’on supprime les titres et nombreuses épithètes qui environnent les commanditaires de cette agression, on trouvera la juste qualification du délire dans lequel la Cemac est actuellement empêtrée.
En voyant débarquer les « émissaires » du président de la RCA, François Bozizé Yangouvonda, qui ont fait fi de l’inviolabilité sa personne physique, Antoine Ntsimi a dû se demander de quelle Nafissatou Diallo il était victime.
Pourquoi les autorités centrafricaines n’ont-elles pas officiellement déclaré non grata Antoine Ntsimi et adressé une copie figurée de leurs décisions au Minrex (ministère des Relations extérieures du Cameroun), avec une notification à l’intéressé ? Quel délai ont-elles donné à leurs pairs de la Communauté ? Qui d’Idriss Deby ou d’Omar Bongo est l’actuel président de la Cemac ? Qui parmi eux a la préséance protocolaire ? Sassou Nguesso et Paul Biya ont donc été court-circuités. Savaient-elles seulement qu’Antoine Ntsimi aurait pu être Knock-outé de façon plus intelligente ?
Antoine Ntsimi est le président de la Commission : celle-ci est réputée fonctionner de manière collégiale. François Bozizé Yangouvonda aurait dû, si le bon sens avait été une seule fois convoqué dans cette affaire, faire le siège de la Cemac afin de corriger tous les commissaires, coupables, ô crime odieux, de ne pas faire avancer la Communauté, quand la RCA connaît sous sa présidence le développement exceptionnel qu’on lui voit.
Conclusion : vers un coup d’état institutionnel ?
On a de la peine à croire que François Bozizé ait vraiment pris conscience que d’une part l’objet essentiel de la Communauté (article 2 du Traité révisé) est de promouvoir la paix ou que d’autre part le consensus est la règle (article 16). Il n’a aucune confiance dans la diplomatie des sommets et n’a pas voulu attendre la prochaine conférence des chefs d’Etat. Il aime mieux les messes basses à Ndjamena, les agressions physiques, les violations éhontées des traités internationaux.
Il y a des risques associés à donner libre cours aux émotions du Président centrafricain. Le Président Biya dont on sait la très haute considération qu’il porte au régime de Bangui, entre deux siestes à Mvomeka’a, a peut-être écouté son homologue centrafricain. L’un faisant semblant de s’excuser, l’autre faisant semblant de comprendre. C’est vers une implosion de la Communauté que l’on s’achemine, comme sans regret.
En tout cas, jusque-là, c’est beaucoup d’agitation pour très peu de résultats : Bozizé Yangouvonda, Président centrafricain de droit divin, qui ne croit évidemment pas en la pertinence du droit ou l’arbitrage de ses pairs dans le règlement du contentieux communautaire, vient donc d’interdire de séjour la Cemac en terre centrafricaine. L’incorporation dans la Commission de ses protégés a pris le pas sur toute considération véritablement intellectuelle et morale et économique.
Le monde entier sait les propositions de Bozizé Yangouvonda pour la Cemac. Il veut un président d’une intelligence faible, mieux disposé à une docilité serve : il faut pour y arriver en finir avec Antoine Ntsimi. En anglais cela donnerait « Ntsimi must go »… Exactement le genre d’injonctions auxquelles Paul Biya, par le passé, s’est déjà montré réfractaire.