Nommée à la tête de la Mission d’observation électorale de l’Union Européenne (UE) au Burkina Faso, Cécile Kyenge, originaire du Congo, ancienne ministre de l’Intégration en Italie, députée européenne depuis juillet 2014, est actuellement à Ouagadougou où elle prépare le terrain avec son équipe pour garantir la pérennité de la présidentielle fixée au 29 novembre suite au coup d’Etat du 16 septembre. Elle revient pour Afrik.com sur sa mission très délicate dans un pays qui panse encore ses plaies après avoir été ébranlé par un putsch. Sans oublier de nous livrer son regard sur la crise migratoire en Europe. Interview.
Débordée par une masse de travail, Cécile Kyenge, actuellement à Ouagadougou, nous a toutefois accordé un entretien téléphonique dans son emploi du temps très chargé. Il faut dire qu’elle n’a pas une minute à perdre, car l’heure de la Présidentielle au Burkina Faso est proche.
Le nom de Cecile Kyenge, 50 ans, originaire de la République démocratique du Congo (RDC), a fait le tour du monde, notamment lorsqu’elle était ministre de l’Intégration en Italie, où elle est partie vivre, il y a trente ans, pour faire ses études. Durant son mandat, elle a subi de nombreuses insultes racistes, mais a toujours tenu tête à ses détracteurs. Médecin spécialiste en ophtalmologie de formation, elle était loin d’être destinée à la politique. « C’est la politique qui est venue à moi » aime-t-elle dire, dans un français très éloquent, chantonnant.
Si elle s’est engagée dans la politique, il y a 12 ans maintenant, c’est pour aider tout simplement les plus démunis et pas seulement les immigrés de son pays contrairement aux idées reçues. Aujourd’hui, c’est au sein de l’Union Européenne qu’elle œuvre pour apporter sa contribution et son expérience. Entretien.
Afrik.com : Comment avez-vous accueilli votre nomination à la tête de la mission d’observation électorale de l’UE au Burkina Faso ?
Cécile Kyenge : J’ai ressenti une grande joie lorsque j’ai appris ma nomination. Surtout que le Burkina a une histoire particulière et une position stratégique en tant que pays de la région de l’Afrique de l’Ouest. Pour l’Afrique, c’est donc un pays très important. D’autant qu’il est en train de souffrir d’une crise profonde après le coup d’Etat du 16 septembre. Aujourd’hui, on a besoin dé résultats transparents et d’élections apaisées. Après le coup d’Etat, tout s’est arrêté pour la mission. Les élections prévues le 11 octobre ont finalement été reportées. La mission va donner un soutien technologique au processus électoral en cours au Burkina Faso. Nous répondons à une demande sur l’invitation du gouvernement burkinabè.
Pensez-vous que le pays qui est encore en train de panser ses plaies après le coup d’Etat soit prêt pour les élections ?
J’ai confiance dans les institutions du pays qui ont démontré, dans les moments délicats, qu’elles étaient capables de contrôler la situation. La preuve est que le gouvernement a annoncé, il y a quelque jours, la tenue des élections pour le 29 novembre. Le message a été très précis et très fort. Tous les acteurs du processus électoral ont été écoutés par le chef de l’Etat et ont affirmé leur volonté de voir se terminer le plus tôt possible la Transition pour arriver aux élections. La mission de l’Union Européenne est présente pour observer, sur le court terme mais aussi le long terme. Elle était d’ailleurs présente déjà un mois avant les élections avant que le coup d’Etat ait lieu. Malgré tout, on a préféré rester pour apporter notre soutien au pays. Aujourd’hui, nous sommes là pour poursuivre le travail que nous avions commencé. Il y a en tout 80 observateurs qui pourront accompagner le processus électoral.
Quel est votre regard sur le putsch du 16 septembre ?
Il faut sévèrement condamner le coup d’Etat. Il a mené le désordre total dans le pays. Il faut condamner tout changement de la Constitution pour le pouvoir, et c’est un message qui doit passer dans d’autre pays, d’autant que l’objectif de ma mission est de soutenir des élections libres et transparentes pour garantir des institutions fortes et démocratiques.
L’Europe fait actuellement face à une grave crise migratoire. Des milliers de réfugiés affluent sur ses côtes. Quel est votre regard sur la situation ? Quelles sont les solutions pour y faire face ?
Les solutions sont là. Et le Parlement européen en a proposées. Mais le problème, c’est l’impasse politique qu’il y a au niveau des pays européens. La responsabilité est au niveau des Etats membres. Pour arriver à des solutions concrètes qui fonctionnent avec la situation des migrants, les pays membres doivent être solidaires et aller dans le même sens. Pour travailler sur ce point et avancer, il faut l’implication des Nations Unies.
Depuis de nombreuses années, des migrants venus du monde entier prennent le bateau pour se rendre en Europe. Beaucoup perdent la vie en mer. Selon-vous qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans les mesures de l’UE pour mettre un terme à ces drames ?
Je pense que ce qui n’a pas fonctionné, c’est le retard avec lequel on a donné cette réponse politique. On ne doit pas seulement intervenir, mais on doit faire de la prévention et donner des réponses immédiates. Or, l’Europe a sa part de responsabilité. Nous sommes intervenus un peu tard. Aujourd’hui, il y a des points précis qui sont en train d’être mis en place pour inverser la tendance comme la redistribution équitable des migrants sur les 28 pays de l’Union Européenne; ce qui démontre une responsabilité partagée équitable. On s’est aussi fixé comme objectif de mettre la priorité sur le sauvetage des vies humaines. Il faudrait beaucoup travailler sur l’intégration et l’accueil, et renforcer la coopération avec les pays tiers. Il faut aborder de nombreuses questions, non seulement les questions liées à l’immigration, mais aussi au conflit en Syrie et du moyen orient. C’est ce qu’on compte faire lors du sommet à Malte. On doit avoir une stratégie commune pour arriver à une solution sur le long terme et non pas juste à court terme.
Selon-vous la fermeture des frontières est-elle une solution comme le prônent de nombreux Etats européens ?
La fermeture des frontières n’est pas une solution et je l’ai toujours dit. Cette mesure démontre l’égoïsme de beaucoup d’Etats qui refusent de voir le phénomène tel qu’il est. Si on parle de la fermeture transitoire prévue par le traité de Schengen qui est prise en compte seulement si la motivation est valable, c’est une chose. La commission peut alors donner son avis sur cette fermeture des frontières qui doit être transitoire et pas permanente. Chaque Etat est alors dans son droit de la réclamer sous plusieurs conditions, toutefois, pour l’appliquer. Autrement, je trouve que c’est du populisme. Ce n’est pas une réponse qu’un politique devrait donner. Mais c’est de l’hypocrisie institutionnelle ! Il faut montrer à la population que nous sommes capables de gérer le phénomène migratoire et de transformer cette tragédie humaine en quelque chose de positif.