Que retenir de cette année 2008 au chapitre de la situation des libertés dans notre pays ? Il est d’emblée regrettable de constater que la régression, sur ce plan-là aussi, est manifeste et cela concerne aussi bien les libertés individuelles que collectives. Hier encore, à l’occasion d’un rassemblement de soutien à la Palestine, qui s’est tenu à la Maison de la presse, les participants à cette action prenaient toute la mesure de la frustration de ne pouvoir sortir dans la rue pour une marche de solidarité avec la population de Ghaza persécutée. Toute manifestation de rue, on en est prévenu, est interdite depuis le 14 juin 2001. L’état d’urgence perdure depuis 16 ans. Les condamnations à des peines d’emprisonnement continuent d’accabler les journalistes.
Dernier fait en date : la condamnation à trois mois de prison ferme prononcée récemment par le tribunal de Sidi M’hamed à l’encontre de Omar Belhouchet et Salima Tlemçani, suite à une enquête mettant en cause un guérisseur soupçonné de charlatanisme. Citons aussi le cas du journaliste Noureddine Boukraa, ex-correspondant du quotidien Echourouk à Annaba, qui a écopé d’une lourde peine d’emprisonnement pour un article sur les services de sécurité locaux. La dépénalisation du délit de presse n’est pas pour demain… Il convient de citer également les suites de l’affaire Benchicou dont le livre Journal d’un homme libre a été saisi à l’imprimerie, un acte « revendiqué » par la ministre de la Culture. Dans la foulée, des libraires ont reçu la visite de la police et ont été embarqués au commissariat au motif d’avoir diffusé l’ouvrage frappé d’imprimatur.
Rappelons, par ailleurs, les nombreux opus interdits au dernier Salon international du livre d’Alger, faisant du SILA un festival de la censure. En somme, le pouvoir politique agit comme si les Algériens avaient besoin d’un surmoi tutorial ou d’un directeur de conscience qui leur dicterait les films qu’ils doivent voir et les livres qu’ils doivent lire et qu’ils n’avaient pas assez de discernement pour juger par eux-mêmes les œuvres et les contenus qui leurs sont proposés. Au chapitre de la liberté de culte et de conscience, le palmarès 2008 là aussi est tristement chargé, à commencer par l’affaire Habiba K., du nom de cette jeune femme de l’ouest du pays, convertie au christianisme et jugée inconsidérément par le tribunal de Tiaret pour une fumeuse histoire de prosélytisme. Ou encore ces gens de Biskra condamnés en première instance à 4 ans de prison ferme pour une présumée atteinte à la morale du Ramadhan. Même sentence prononcée à l’endroit d’ouvriers en bâtiment pris en flagrant délit de consommation de tabac avant l’adhan et condamnés par le tribunal de Bir Mourad Raïs à trois ans de prison ferme avant que la cour d’appel d’Alger ne commue le verdict en peine avec sursis. Cette vague de rigorisme qui intervient dans un contexte de durcissement des mœurs n’est pas sans rappeler les campagnes de moralisation de la vie publique qui avaient cours sous Boumediène.
Elle renvoie immanquablement à ce projet ô combien controversé de construction d’une méga mosquée surplombant la baie d’Alger et que d’aucuns ont interprété comme une pure opération populiste. Dans le même sens, signalons cette décision de fermeture de 1200 bars, qui s’impose comme une autre expression de ce rigorisme aux accents démagogiques qui rime avec islamisme. Sur le plan strictement politique, le forcing constitutionnel du 12 novembre 2008 où le Parlement votait les amendements de la Constitution autorisant M. Bouteflika à postuler pour un troisième mandat déroule le tapis rouge pour une présidence à vie au profit d’un autocrate qui n’a jamais fait mystère de sa passion du pouvoir. Faisant l’économie d’un référendum populaire dont Bouteflika redoutait sans doute quelque effet de surprise néfaste, option a été faite pour une adoption à huis clos, sans débat contradictoire et sans exégèse. En témoignent ces quatre militants du MDS arrêtés pour avoir distribué des tracts et commis des tags appelant à un débat de fond autour de la Constitution. Et maintenant, le régime s’agite pour préparer la parodie d’une élection en partant à la chasse de lièvres consentants ou plutôt de « lapins » à qui l’on va faire croire que la présidentielle d’avril prochain n’est pas jouée d’avance et qu’ils seront défaits à la régulière. En définitive, que reste-t-il dans un paysage politique aussi morose et aseptisé ? Heureusement qu’il y a le front social, enseignants en tête. Le secteur de l’éducation aura été l’un des rares à faire un peu d’animation syndicale, comme l’a montré le mouvement des enseignants contractuels, au reste sévèrement réprimé.
Citons aussi le corps médical du secteur public, ainsi que le volontarisme d’autres syndicats autonomes comme le CNAPEST, le SNAPAP et SNAPEST qui résistent autant que le verrouillage du champ politique et social le permet. Nous nous devons également de saluer l’action du RAJ qui a marqué contre vents et marrées le vingtième anniversaire des événements d’octobre 1988 avec colloque et cérémonie à la place des Martyrs. On ne peut clore cet inventaire sans faire une fois de plus le constat du « plombage » du champ audiovisuel à l’heure de l’explosion des bouquets satellites et de Youtube. Le régime campe sur son argutie selon laquelle le peuple algérien « n’est pas mûr » pour le pluralisme des images. Sans ambition de modernisation ni projet sociétal, Bouteflika ne sera pas non plus l’homme qui débarrassera les Algériens du mépris de l’ENTV. Résultat des courses : pendant cinq autres années (au moins), on va encore ne voir que lui à tous les JT…
Par Mustapha Benfodil