Impuissance de l’ONU et de la fameuse Communauté Internationale, manque de crédibilité et passivité des Casques bleus, les soldats de la paix… tel est le lot quotidien des forces « militaires » des Nations Unies.
Ce constat, cinglant et terrifiant, est dressé – quelques mois avant son départ à la retraite en juillet 2008 – par le diplomate français et onusien Jean Guéhenno, alors sous-secrétaire général des Nations Unies chargé des opérations de Maintien de la Paix. Fonction qu’occupa avant lui le Ghanéen Kofi Annan, de 1992 à 1996 ( pendant le génocide au Rwanda en 1994, le massacre de Srebrenica en 1995 dans l’ex-Yougoslavie), futur secrétaire général de l’ONU.
Avant de quitter cette fonction hypersensible et surtout très exposée, Jean Guéhenno martelait à juste titre, de conférences en communiqués de presse (en boucle) : « L’ONU n’a pas d’armée. Chaque opération doit être conçue en fonction des circonstances propres au conflit auquel il s’agit de mettre fin. Chaque fois que le Conseil de Sécurité décide d’en mettre une en place, il faut repartir de zéro ». Eternel recommencement qui est la faiblesse structurelle patente des Casques bleus, et qui nuit à leur efficacité opérationnelle dans leurs terres de mission.
Faute d’une armée « permanente », on est dans le bricolage permanent !
La tragédie sans fin congolaise du Nord Kivu, avec son cortège de crimes sexuels de masse (viols répétitifs et – planifiés- à grande échelle), la banalisation du Mal (des meurtres de masse), sans oublier les 250 000 personnes déplacées au gré des convulsions d’une guerre de rapine. C’est la loi du genre dans tous les conflits armés médiatisés tout comme des « guerres oubliées » avec son corollaire inévitable : une gigantesque catastrophe humanitaire. Les ONG sont désemparées…
500 000 femmes et fillettes violées
Les Casques bleus désarmés… face au terrorisme sexuel : 500 000 femmes violées à l’est de la République démocratique du Congo. La fatalité leur tient désormais lieu de gilet métaphysique par balles et de seul bouclier face à l’horreur, à la barbarie et la sauvagerie humaine… Les soldats de la Paix préfèrent alors se réfugier dans le repos du guerrier : abus sexuels et trafics en tout genre.
L’ONU en est réduit au bricolage permanent. Une opération de maintien de la paix suppose un montage financier (l’argent est le nerf de la guerre : quels Etats payent), humain (quelles sont les Nations disposées à fournir un contingent?), et enfin des considérations juridico-géopolitiques sur la définition du mandat des Casques dans leur terre de mission, attribution qui relève du Conseil de Sécurité au sein duquel les membres permanents ont un droit de veto. Des tensions au sein de cette instance, il en sort des résolutions mi-choux mi chèvre accouchant de mandats bancals pour les Casques Bleus. Le flou juridique nourrit le mépris des belligérants. A l’est du Congo, le mandat du Conseil de sécurité qui autorise pourtant l’usage de la force, « la protection des civils est mis à mal ». Les femmes et les fillettes sont livrées à elles-mêmes.
Les soldats de la paix face au terrorisme sexuel
Les Casques bleus, en l’état actuel, ne sont qu’un empilement de forces militaires hétérocliques et antagonistes, comme c’est le cas au Congo, au Nord-Kivu. Des contingents issus d’ennemis historiques depuis 1947, l’Inde (4400 hommes) et le Pakistan (3600 hommes) constituent l’ossature de la Mission des Nations Unies au Congo. Les Sikhs Indiens arborant un turban bleu au lieu de porter le casque bleu. La guerre pour le Cachemire continue au Congo,et au sein des forces de l’ONU. Cet antagonisme historique paralyse la mission. Faut-il rappeler que les attentats de Bombay du mois de novembre illustrent plus que tous les discours la profondeur et la permanence de cette césure entre Indiens et Pakistanais. Le nationalisme des contingents mine l’efficacité de cette force d’interposition. Peut-être faudrait-il mettre une force d’interposition entre les Casques bleus Pakistanais et Indiens. En effet, chaque contingent prend ses ordres auprès
de la hiérarchie militaire de son pays. Les Indiens appellent New Delhi, les Pakistanais Islamabad, les Uruguayens Montevideo ; les Bengalis, Népalais, Sud-Africains doivent en faire autant. Pire, des cartes géographiques ont été conçues spécialement pour les Pakistanais. Plus inquiétant, certains contingents croisent les bras, refusent d’assurer la protection des civils et exigent de changer de zones
d’opération.
Des crimes sexuels de masse «féminicides»
Bref, on est « Au cœur des ténèbres », pour reprendre le titre du beau roman de Conrad.
Le commandant des Casques Bleus, le général espagnol Vicente Diaz de Villegas, a préféré jeter l’éponge au bout de trois semaines d’« occupation » de la fonction onusienne. Officiellement pour des « raisons personnelles ». Il a entrevu les limites des opérations de maintien de la Paix. Les Indiens n’obéissent pas à un commandant pakistanais et inversement. La force 17000 Casques Bleus déployés au Congo, dont 6000 à l’est de ce pays-continent au titre de la MONUC, est la plus importante opération de maintien de la Paix des Nations au monde. Faut-il rappeler que l’intervention des Casques bleus n’est pas la première au Congo. Comme, du reste, vient le rappeler le choix de l’ancien président du Nigeria, Obasanjo, comme envoyé spécial pour le Congo, par le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon. En effet, le général Obasanjo avait été casque bleu au Congo en 1960-1961, au lendemain de l’indépendance de ce pays. 49 ans après son premier séjour, l’émissaire spécial du secrétaire général de l’ONU s’y retrouvera-t-il ?
Autre faiblesse dans la composition des Casques bleus : les pays du Sud, le Nigeria, le Pakistan, le Ghana, le Népal, l’Uruguay, la Jordanie, le Kenya, l’Ethiopie et l’Inde (pays pourtant émergent) sont les plus grands fournisseurs de contingents de Casques bleus. Ils portent le « fardeau » des Nations désunies… L’Union Européenne participe pour 10% et les Etats-Unis pour 1%.
Sous-équipés, mal formés, sans commandement intégré comme pour les troupes de l’Otan, les Casques bleus ne peuvent faire face à la gigantesque catastrophe humanitaire et au terrorisme sexuel, avec des camps de déplacés « volatiles ». Ce qui complique toute assistance d’urgence des populations civiles et la lutte contre le viol – ou plutôt l’utilisation des viols de masse comme arme de guerre. D’aucuns, comme Perla Servan-Schreiber n’hésitent pas à déclarer « féminicides » les crimes sexuels de masse. Le Tribunal Pénal International de la Haye a qualifié en 1998 cette pratique barbare de crime contre l’Humanité.
Il n’y pas de spectateurs innocents…
Bolya Baenga est un écrivain congolais. Derniers ouvrages parus Afrique, Le Maillon Faible et la profanation des vagins, le Serpent à plume, 2005.