Carnet du Tchad


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Ennedi

En février, le mimosa est aussi en fleur dans l’Ennedi. Les petites boules jaunes de l’acacia seyal du Sahara régalent l’odorat tout autant que la vue. On y croit à peine mais dans ce sable doré qui fait écrin aux roches théâtrales pousse tout un monde végétal. De l’herbe haute couleur vert tendre ou blé pas mûr. De drôles de fleurs qui ressemblent à des myosotis. Des acacias géants au feuillage dur, vert sombre, qui profitent pour grandir de la relative proximité de l’eau. Véridique : la noria du puits nous a renseignés. L’eau est à environ quinze mètres de profondeur.

Il faut avoir le dos dans un état correct pour se lancer à l’assaut des beautés de l’Ennedi depuis la capitale, N’Djamena. Comptez trois jours de 4×4 sur des pistes maltraitantes et en musardant pour voir les troupeaux de gazelles qui ne bouderont pas votre plaisir, détalant avec souplesse sous vos yeux. Des colonies de pintades sauvages narguent certains esprits chasseurs du groupe, mais c’est sans espoir pour le dîner. Arrivez à la nuit à votre campement, pour de multiples raisons. Par exemple : vous vous êtes arrêtés à Moussoro, un gros bourg sans beauté particulière mais qui propose de l’essence, de l’eau en bouteilles et les regards des habitants amusés par vos allures de touristes. Il n’est pas si fréquent, au Tchad, de voir un aréopage de Blancs équipés de leur barda, matelas, jerricans d’eau et d’essence, gamelles, nourriture…et qui n’affichent d’autre but que de se promener dans le pays. Cet hiver, entre février et mars, le voyagiste Point-Afrique a lancé cette destination en ouvrant une ligne aérienne entre Marseille et Faya-Largeau, dans le Nord du pays. Quelques touristes ont joué les pisteurs en partant de N’Djamena avant l’arrivée du premier vol. Nous en sommes, avec 978 kilomètres à parcourir.

N’Djamena est une ville plutôt calme le jour et gaie la nuit, dans les alcôves où la musique prend ses quartiers, avec l’aide de quelques bières Gala. On ne peut guère y faire de photos, interdictions multiples obligent. Les rues sont étonnantes de propreté. Le marché est étrangement discipliné. On y croise des femmes en hijab et d’autres en boubou, une mosaïque de populations et autant de cultures. Au centre ville, la place de la Nation prend des airs staliniens. On ne voit personne sur cette vaste esplanade frappée par le soleil, construite par le Président Idriss Déby en l’honneur du cinquantenaire des Indépendances. Le Président fait en ce moment procéder à l’abattage des beaux arbres centenaires du centre. Un citadin avance qu’il s’agirait d’une mesure préventive, au cas où de nouveaux rebelles ambitionnent de s’approcher de la présidence en se planquant derrière les arbres. Résultat : plus un brin d’ombre et par conséquent, plus un marchand ambulant sur ces trottoirs livrés à la chaleur. Au bord du Chari, le fleuve qui sépare la capitale du Cameroun sur la rive opposée, le coucher de soleil est évidemment magique. Surtout en compagnie de Brahim, un écrivain qui parle de son pays et de littérature africaine. Au journal Ndjamena Hebdo, principal titre de l’opposition, Jean-Claude Nekim, le patron, explique à ses stagiaires qu’ « il faut mettre le savoir au service de la population ». Le journal a du mal à joindre les deux bouts, mais Jean-Claude Nekim et son équipe tiennent bon et aiment leur boulot. Deux ordinateurs, pas de haut débit pour la connexion Internet mais « bientôt la fibre optique via le Cameroun », se réjouit le boss, qui reconnaît qu’il n’y a pas vraiment de censure mais des pressions et, au final, une autocensure dans les médias tchadiens.

Du grand oeuvre

Le nez dans les étoiles et au chaud dans le duvet, le film du trajet repasse dans les têtes. Aux villages prospères de la savane ponctuée de cultures maraîchères, de rôniers et de baobabs ont succédé, à mesure qu’on avance vers le nord-est, des terres sablonneuses jalonnées de campements de huttes. Les chameaux ont remplacé les chevaux. A la tombée de la nuit, dans un coin de brousse, une chamelle vient de mettre bas. Le petit encore humide tente déjà de se dresser sur ses pattes graciles.

L’Ennedi est une grande œuvre de la nature, une scène magistrale où se tutoient le tragique et le comique dans les formes que le vent a imposées, au fil des millénaires, à ses roches rouges. Cavernes, arches majestueuses, labyrinthes, failles, cheminées de pierre, sculptures oniriques, le spectacle est grandiose. Ici, des hommes et des femmes ont vécu heureux, veut-on croire : un musée à ciel ouvert offre à en perdre le souffle des peintures rupestres représentant bœufs, chevaux, moutons, chèvres. La grotte de la vache géante, à Terkei, ouvre cette farandole d’art rupestre avec son tracé impeccable. Là, sur ce pan de roche accessible par un sombre couloir dans la falaise, surplombant la plaine sablonneuse à perte de vue, à l’abri du soleil et des prédateurs, nos ancêtres devaient se sentir suffisamment sereins pour passer des heures à dessiner. Plus loin dans ce massif de l’Ennedi, des peintures de girafes, d’hippopotames, des antilopes, des crocodiles témoignent de l’époque où le Sahara était une riche savane, il y a encore 7 000 ans.

Dans le secret de la guelta

Quelques crocodiles sont pourtant toujours là. Dans ce massif de l’Ennedi, les éléments ont creusé une faille étroite qui a donné naissance à la guelta d’Archei, un plan d’eau qui court entre les hauts murs roses et prend sa source dans le pli d’un rocher. Dans cette ambiance de cathédrale un peu sombre, on approche prudemment mais les crocodiles qui prennent le frais ont encore plus peur que nous, ils se faufilent lestement vers la mare. Plus loin, des troupeaux de chameaux s’abreuvent enfin, après huit jours de soif.

Au bivouac installé au pied d’un immense acacia qui courbe ses longs bras vers l’humidité du sol, des effluves de ragoût de viande chatouillent les narines. Au village d’Archei, un ensemble de huttes coquettes bordées d’enclos et ombragées par une double rangée d’arbres, un berger nous a vendu un mouton. C’est le premier repas carnivore que peut offrir la cuisinière du convoi, Lucie, originaire du sud du Tchad, bien loin d’ici, qui a eu le cran, pour avoir un travail, de se lancer à la conquête des sables du Nord en compagnie de ces bouches à nourrir. Et Lucie, ne la ratez pas car son riz au gras ou à la sauce arachide est incomparable.

Le petit matin vous trouvera aguerri, et grand bien vous fasse car le jeune guide toubou qui attend vous réserve un crapahutage en règle. Deux bonnes heures à gravir le canyon sur un sentier de chèvre, en s’agrippant par endroits aux éboulements pour se hisser plus haut. Toutefois, en atteignant le sommet, vous ne vous poserez plus la question de savoir pourquoi diable cette aventure. Du haut de la falaise, c’est un instant d’éternité qui s’offre à nos esprits. Le regard embrasse l’étroite faille où s’est logée la guelta et suit le cours d’eau de bout en bout. Sur la rive la plus cachée se sont assoupis les crocodiles, entre les hautes herbes. L’écho répand les notes gutturales de dizaines de chameaux qui, tout en bas, manifestent leur joie désespérée de se baigner. Les montagnes ferment l’horizon comme pour préserver ce secret. Seuls les singes batifolent dans les encoignures de roches, indifférents. Les humains que nous sommes semblent être totalement exclus de la scène, et nous nous sentons tels des voyeurs. Alors, nous faisons silence.

Les monuments ne manquent pas dans l’Ennedi. L’arche d’Aloba en est certainement le plus célèbre dans l’iconographie de la région. Le vent a troué la montagne de son énorme doigt malicieux, comme pour se ménager un oeil-de-boeuf lui permettant de surveiller l’autre côté de son palais de pierre. Notre caravane prend ses quartiers de nuit au pied de cet ouvrage intimidant. Des jeunes filles toubou des campements nomades nous rendent visite en voisines. Cette étape incontournable pour les touristes, même peu nombreux, les a habituées au commerce de l’artisanat local. Colliers, gri-gri et menus objets changent de mains. Heureusement, aucun vestige paléontologique n’est proposé.

Le temps de la nostalgie

Fin de parcours pour le petit groupe de « pisteurs ». A Faya-Largeau, les véhicules sont réquisitionnés pour des besoins urgents. Certains touristes devant arriver de Marseille par l’avion de Point-Afrique seront débarqués à Abéché plus au sud, et il faut aller les chercher… Nous ne verrons pas les fabuleux lacs d’Ounianga, plus au nord dans le BET (Borkou Ennedi Tibesti). L’oasis de Faya est un gros bourg de 8 000 habitants, implanté par les colons français et fief du dictateur Hissène Habré aujourd’hui exilé au Sénégal dans l’attente de son procès pour crimes contre l’humanité. Dans le désert, les carcasses de chars détruits témoignent des années de conflits, avec la Libye voisine notamment, que cette région a connus. L’armée française est présente à Faya depuis 1986 et affiche aujourd’hui un rôle humanitaire auprès des populations locales. Un camp de réfugiés soudanais jouxte le marché, mais il est presque vide désormais. Pour survivre, les réfugiés recyclent les chaussures données par les habitants. A l’entrée de la ville, un gisement de natron, une sorte de « sel » exploité par les Tchadiens, aveugle le regard de ses masses blanchâtres. Dans les jardins de la palmeraie, un système d’irrigation par canaux alimente les parcelles où poussent salades, tomates, oignons, patates douces et d’imposants palmiers dattiers. La source domestiquée jaillit avec force de la bouche d’eau. Les habitants de Faya ne manquent apparemment pas d’eau, et beaucoup de maisons possèdent un puits. Mais les fosses septiques sont souvent polluées, créant des problèmes de santé.

La nuit, Faya dort tôt. L’électricité y est rare, car trop chère pour les familles. Malgré tout, les étoiles brillent plus faiblement qu’en plein désert. Heureusement, il y a le thé au gingembre de notre hôte pour adoucir la nostalgie. Demain nous reviendrons au Tchad, c’est promis. Nous avons encore beaucoup à y apprendre.

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