Ecrire comme on chante, une sorte de mélopée qui galope, une sorte de course dans la nuit qui s’accroche où il y a des reflets, des flammes et des étoiles brillantes. Le dernier roman de Carl de Souza, « Les jours Kaya », dérive dans une Ile Maurice soudainement plongée dans la violence.
C’est une descente aux enfers que cette aventure de Santee, lancée, et perdue, à la poursuite de son frère, Ram, à travers le désordre d’un monde adulte qui perd ses règles. Tous deux vont nouer, en se surveillant et en s’ignorant à la fois, leur destin rapide et bref aux méandres de l’histoire politique, que le hasard rend tumultueuse au même moment.
Le chanteur dont la mort en prison vient de déclencher les émeutes rappelle par bien des traits le pape de l’afrobeat, Fela Anikulapo Kuti, que ses révoltes contre le régime nigérian avaient conduit bien des fois sous les barreaux, jusqu’à sa mort, du Sida, en 1997. Prise de conscience politique, liberté autoproclamée, l’artiste est celui auquel on ne met pas de bâillon, et peu importe la torture, peu importent les coups, même s’il en meurt, il ne se taira pas. Dieu le fracas que fait un poète qui meurt (Aragon)…
Fuite hallucinée
« Santee et son compagnon traversèrent le jardin qui longe la rue Van der Meersch et s’engouffrèrent dans le passage sous l’ancienne voix ferrée. Les autres s’acharnaient sur le taxi abandonné. Ils avaient ouvert toutes les portières et, se suspendant à elles, le faisaient danser sus ses suspensions. Quand ceci ne leur suffit plus, ils le renversèrent, ouvrirent le réservoir d’essence et mirent le feu. Santee et le gars entendirent les cris, les rires et chants avant d’apercevoir les flammes au-dessus des toits en tôle. Ils prirent la rue devant le couvent. Quand il lâcha son bras, ses doigts y avaient fait des marques rouges. Le souffle court, il lui demanda où elle allait, comprit aussitôt l’absurdité de la question, où peut-on aller quand votre taxi n’a plus de chauffeur, où peut-on aller quand on y a mis le feu, où peut-on aller quand on vous a enlevée ? ».
La voix se casse, il n’y a soudain plus d’horizon, mais l’on continue à marcher, et l’errance sans espoir des personnages, à la fois naïve et lucide, n’a pas d’issue joyeuse. Le monde qui prend forme autour de Santee n’est pas celui auquel elle était préparée, il est violent, noir, rapide. Elle n’est pas sûre de tout comprendre, il n’est pas sûr qu’elle comprenne tout ce qui lui arrive, le livre se déroule comme une chanson sans refrain, les couplets s’enchaînent et se suivent, leur sens manque parfois, le suivant le rattrape, les situations se bousculent, le texte comme l’aventure devient hallucinée… Et peu importe où finit le parcours.
• Commander le livre : Carl de Souza, Les jours Kaya, éd de l’Olivier, mars 2000.
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