Les pays musulmans appellent au boycott des produits danois pour protester contre la parution dans certains pays européens de caricatures du Prophète Mohamed, caricatures parues en premier lieu dans un journal danois. Les premières conséquences économiques se font déjà ressentir au Danemark, alors que la mobilisation s’organise via Internet et les SMS. Et ce, malgré les mises en garde de Bruxelles…
Par Morad Ouasti avec Badara Diouf
La crise des caricatures du prophète Mohamed s’aggrave. Alors que le débat fait rage autour de la question du choc des civilisations et de la liberté d’expression, le conflit entre pays européens et arabo-musulmans prend une dimension économique. Le monde musulman appelle en effet au boycott des produits du Danemark, pays où les caricatures décriées ont pour la première fois été publiées. Un appel lancé via des courriels dénonçant les codes barres des produits danois à bannir et des SMS (message textes sur les téléphones mobiles). La décision de Téhéran (Iran) de rompre ses échanges commerciaux avec le Danemark provoque le mécontentement de Bruxelles et donne des idées à d’autres pays musulmans. Pendant ce temps, les entreprises européennes adoptent une stratégie commerciale ad hoc en prenant de la distance avec une image danoise qui pourrait leur nuire.
Le secteur laitier est secoué
Le secteur des produits laitiers est le premier touché. Le groupe danois Arla Foods, coopérative appartenant à 11 600 producteurs danois et deuxième exportateur européen, assure le tiers des exportations danoises vers les pays arabes. Astrid Nilsen, porte-parole du groupe a expliqué, vendredi : « Nous allons licencier 125 personnes dans une laiterie à Bislev, près d’Alborg ». Il ajoute que « les ventes dans les pays arabes sont complètement arrêtées et Arla Foods perd 10 millions de couronnes danoises par jour (1,3 million d’euros, ndlr) ».
La société danoise a momentanément fermé sa laiterie de Ryad (Arabie Saoudite) et a suspendu un projet de laiterie en Arabie Saoudite. Selon la directrice de communication de l’entreprise Arla Foods, Astrid Nielsen, citée par El Watan, des distributeurs viennent d’annuler leur commande en Algérie, au Maroc et en Tunisie. A cette réaction en chaîne de boycottage des produits danois, la population danoise et les intérêts économiques de la couronne sont les premières victimes de ce matraquage médiatique sans précédent pour le pays.
Plusieurs sociétés retirent les produits danois des rayons
Les exportations danoises vers les pays membres de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) ont rapportés 1,9 milliard d’euros en 2005. Le banquier danois, Jyske Bank, affirme dans un rapport publié le 31 janvier que, si le boycott se prolongeait pendant un an, il menacerait 11 200 emplois et causerait un manque à gagner d’un milliard d’euros au Danemark. Face à cette menace, d’autres groupes ont pris des mesures.
A l’image du colosse suisse du secteur laitier, Nestlé, qui a publié dans un encart publicitaire du quotidien panarabe, Asharq al-Awsat : « Ce n’est ni produit au Danemark ni importé du Danemark », pour ne pas être pris pour un groupe danois. Tandis que le français Carrefour, numéro deux mondial de la grande distribution, très présent dans les pays arabes, voit ses franchisés retirer les produits danois de leurs rayons. En Egypte, le franchisé de Carrefour a annoncé, sur son site Internet, la suppression des produits danois de ses surfaces. Il semblerait que la même attitude ait été adoptée à Dubaï.
Le numéro un laitier français Danone a simplement déclaré qu’il ne commercialisait pas de produits danois. Le groupe Lactalis, géant européen du fromage, Tesco, le leader britannique des supermarchés Safeway, ont quant à eux dit ne pas avoir de magasins dans la région. Toutefois Stimorol, géant du chewing-gum qui a pour slogan publicitaire : « Mâchez danois », risque de se trouver dans une impasse. Le groupe Cadbury Schweppes, à qui appartient la marque, a soutenu que le groupe « ne considère pas la marque comme danoise, c’est global, très largement vendu en Europe de l’Est, en Russie, sur beaucoup de marchés ».
Des SMS et des sites organisent le boycott
La réaction contestataire religieuse prend une toute autre forme : celle d’une lutte commerciale. Une lutte relayée par les messages SMS sur les téléphones cellulaires et les sites Internet. Puk, Lego, Yoggi… Ces noms ne vous disent peut-être rien mais ce sont quelques-uns des produits victimes de la campagne menée par certains musulmans. Voici des messages que l’on lire sur les portables ou lire sur le Web. Le SMS est le suivant : « Le code barre des produits danois commence par 57. Pour ceux qui aiment notre prophète Mohamed (paix et salut sur Lui) et veulent boycotter les ennemis d’Allah. Faites passer ce msg (message, ndlr) ».
D’autre part, ce courriel, qui est diffusé largement, va plus loin dans la lutte commerciale. « Suite à l’affaire des caricatures de notre cher prophète PBUH (paix et bénédiction sur Lui, ndlr) publiées dans un journal danois. Voilà la liste des produits danois pour participer à la compagne de boycott afin de protester contre tous ceux qui osent s’attaquer à notre cher Prophète (PBUH). N’oubliez pas de chercher le numéro 57 sur tous les codes barres de vos produits, c’est la moindre des choses qu’on peut faire ». Et d’ajouter une liste de ces dits produits sur l’adresse d’un site web en arabe.
Crise diplomatique
Le site « No4denmark » dresse la liste des produits danois à bannir, comme pour laver le déshonneur du prophète de l’Islam. « No4denmark » étale minutieusement une liste pour le moins exhaustive des denrées alimentaires laitières, shampoing, jouets qui sont largement consommés dans les pays arabes et musulmans. Son slogan est très clair : « Pour le prophète et Non au Danemark ».
L’Iran, par la voix de son ministre iranien du Commerce, a annoncé, lundi, sa décision de suspendre ses échanges commerciaux avec le Danemark – alors que Bruxelles mettait en garde tous les pays qui boycotteraient les produits européens. « Un boycottage des produits danois est par définition un boycottage des produits européens », a déclaré Johannes Laitenberger, porte-parole de l’Union européenne. La Commission européenne étudie « sa réaction » face à la décision iranienne de suspendre tous les échanges commerciaux avec le Danemark.
En Jordanie, 64 députés ont signés une pétition, lundi, demandant au gouvernement d’annuler ses accords et d’interdire les importations de produits du Danemark, mais aussi de Norvège et de Nouvelle-Zélande, pays dans lesquels des caricatures ont également été publiées. Dans la même veine, ils souhaitent que les autorités mettent en œuvre la tenue de sommets arabe et islamique, jugeant que les caricatures sont un « crime » et qu’il ne suffit pas de les dénoncer. Le Premier ministre jordanien par intérim, le ministre des Finances Ziad Fariz, a affirmé qu’il étudierait la requête des députés par rapport aux intérêts nationaux.