Mercredi, démarre à Paris le procès de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, accusé d’avoir insulté les musulmans dans trois caricatures du prophète Mahomet publiées en février 2006. Le journal dénonce un procès contre la liberté d’expression. La Grande mosquée de Paris, qui a lancé la procédure en juillet dernier, affirme lutter contre le racisme anti-musulman.
Le 8 février 2006, en pleine tempête des caricatures de Mahomet, le journal satirique français Charlie Hebdo reproduit les dessins publiés le 30 septembre 2005, dans l’anonymat, par le quotidien danois Jyllands-Posten. Un geste accompli « par solidarité » avec Jacques Lefranc, le directeur de publication du quotidien France Soir, renvoyé après avoir été le premier à les montrer au public français, et « par devoir d’informer », a expliqué mardi Caroline Fourest, essayiste pour le célèbre journal, lors d’une conférence de presse.
Un devoir d’informer que la Grande mosquée de Paris et l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) refusent au célèbre satirique français. Les deux organisations, récemment rejointes par la Ligue islamique mondiale, l’ont attaqué en justice en juillet dernier pour « injure envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Pourquoi ne pas en avoir fait autant avec France-Soir ? Parce que France Soir était « dans sa mission d’information normale » alors que Charlie Hebdo était « dans la provocation », a répondu lundi Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris et président du CFCM (Conseil français du culte musulman), qui souhaite « protéger les musulmans des abus insultants ». « La nuance nous échappe », avoue Philippe Val, directement poursuivi en qualité de directeur de publication de Charlie Hebdo.
« Mahomet débordé par les intégristes »
Parmi les caricatures publiées – 12 du Jyllands-Posten plus des originales – la plainte vise celle figurant le prophète enturbanné avec une bombe, la plus polémique, et celle où sont représentés des « kamikazes », arrivant le sac à dos encore fumant à la porte du paradis, et qui s’entendent dire par Mahomet : « Stop, stop, nous n’avons plus de vierges ». La seconde vise clairement le fondamentalisme islamiste, à travers une croyance qui voudrait que les bombes humaines sont attendues par 70 vierges au paradis. La première, prise au premier degré, se rapproche plus de l’imagerie antisémite du début du 20è siècle et peut être lue de la façon la plus la plus raciste. Philippe Val préfère lui accorder plus de pertinence. Selon lui, elle condamne les terroristes qui se réclament de l’Islam » et non les musulmans.
La troisième et dernière caricature en cause est celle, originale, publiée à la Une de Charlie Hebdo. « Mahomet débordé par les intégristes », peut-on lire sur un bandeau, alors que le prophète se prend la tête dans les mains et déclare : « c’est dur d’être aimé par des cons… » Philippe Val explique avoir délibérément « fait déborder [quelques lettres du] bandeau sur le dessin afin qu’il ne puisse être détourné sur Internet » par des individus qui ne garderaient que la bulle du prophète sans que l’on voit clairement que ce sont les terroristes qui sont visés.
La censure « par voie jurisprudentielle »
« Evidemment que les caricatures n’étaient pas racistes. On a évidemment rien contre les musulmans. C’est même une honte pour moi d’avoir à dire cela », se désole le directeur de publication qui dénonce un « procès médiéval ». Selon lui, certaines autorités voudraient rétablir le délit de blasphème « par voie jurisprudentielle » après avoir échoué à le faire par le biais de la loi. Le projet de loi déposé le 28 février 2006 par Jean-Marc Roubaud, le député UMP du Gard, et dans lequel il était question de l’atteinte volontaire « aux fondements des religions », n’avait pas été retenu.
« Si ce procès est perdu, ce sera un retour en arrière pour toute l’Europe », a témoigné mardi Flaming Rose, le directeur de la rubrique Culture de Jyllands-Posten. Charlie Hebdo s’enorgueillit d’avoir remporté une vingtaine de procès « tendant à faire passer la critique de la religion catholique pour du racisme ». Mais « l’affaire n’est pas gagnée », assure Philippe Val. D’autant que le tribunal correctionnel de Paris sera présidé par le président du tribunal de grande instance de Paris, Jean-Claude Magendie. C’est lui qui au début de l’année 2005 avait interdit la publicité des créateurs de mode Marithé et François Girbaud, parodiant la cène, au motif qu’elle faisait « gravement injure aux sentiments religieux et à la foi des catholiques ». Un jugement cassé en novembre de la même année par la cour de cassation.