Le film Indigènes de Rachid Bouchareb, réalisateur algérien, a reçu le prix d’interprétation masculine pour ses cinq acteurs « Premier rôle », Jamel Debbouze, Samy Nacéri, Roschdy Zem, Sami Bouajila et Bernard Blancan.
Ils sont unis, tout au long du film, par le hasard de l’affectation militaire, qui les a tous versés, engagés volontaires de 1940, dans le 7ème RTA, Septième Régiment de Tirailleurs Algériens.
Ils sont des enfants du bled, ils ont été élevés en Algérie dans les années 1930 dans une société inégalitaire, où les « indigènes » n’étaient pas des citoyens français comme les autres. Mais à l’heure où la patrie souffre, à l’heure où elle est envahie, que peuvent bien faire ces différences… Tout soldat est bon à prendre.
À partir de leur aventure, sur la trame de leur héroïsme qui rendra à la France, dès le débarquement des alliés en Italie, une place à la table des vainqueurs, Rachid Bouchareb réalise une magnifique fresque qui accompagne leurs combats et raconte, sans exagération pédagogique et sans effet de pathos, leurs difficultés, leurs désillusions, et toujours leur courage et leur droiture.
Qui se souvient aujourd’hui qu’Ahmed Ben Bella, premier Président de la République algérienne socialiste et populaire, fut lui-même de ces soldats algériens qui donnèrent leur sang pour la France, décoré de la Légion d’Honneur par le Général de Gaulle pour ses exploits en Italie?
Un film juste
De fait, il faut saluer la performance de ces cinq acteurs d’exception, emportés dans un film d’histoire qui est à la fois un film de guerre et une introspection psychologique de cette France perdue entre un orgueil colonial écorné et une occupation blessante et humiliante par les armées allemandes.
Car leur puissance, alliée à la qualité du travail de Rachid Bouchareb, permet de n’appuyer sur aucun trait, ce qui transformerait le film en démonstration. Au contraire, scène après scène, chaque personnage devient un peu plus complexe, un peu moins univoque. Et le film parvient parfaitement à rendre le trouble de cette époque bouleversée, traversée par des hommes en armes qui sont chacun aux prises avec sa propre destinée.
Au passage, le film nous rappelle que les pensions militaires de ces soldats d’exception de l’armée d’Afrique furent gelées, dès la fin des années 1950, et que plusieurs années après avoir été rendu, l’arrêt du Conseil d’Etat qui oblige la France à les rétablir dans leurs droits légitimes, à l’égal de leurs compagnons d’armes d’origine européenne… n’est toujours pas appliqué! Ultime abandon, et terrible économie, de la part de la République française, vis-à-vis de ceux qui se faisaient tuer pour elle en 1944-1945.
Performance d’acteurs
Mais cette peinture, glorieuse et intime à la fois, repose avant tout sur la performance des acteurs. C’est à travers eux que l’on ressent la peur, l’angoisse, le courage, l’élan, le devoir, la fierté, la colère, l’amour, la solidarité, la générosité qui va jusqu’à la mort.
Le jury ne pouvait donc pas faire autre chose, après cette formidable leçon de solidarité et de fraternité humaine tissée dans les épreuves, et face à la mort, que de couronner ensemble du Prix d’interprétation masculine Jamel Debbouze, Samy Nacéri, Roschdy Zem, Sami Bouajila et Bernard Blancan !
C’était probablement la meilleure manière de saluer un grand film, le premier grand film de cinéma algérien depuis plusieurs années, dont on veut espérer qu’il annonce un nouvel effort pour que, sur cette terre qui a tant donné au 7e Art, une nouvelle moisson de films mémorables puisse lever !