Fruitvale Station de Ryan Coogler, présenté à Un Certain Regard, raconte les ultimes vingt-quatre heures de la vie d’Oscar Grant. Le jeune Afro-américain a été tué par un policier dans la station de métro, qui donne son nom à la fiction, à San Francisco le 1er janvier 2009. C’est le premier film du cinéaste américain de 26 ans, déjà acclamé au dernier Festival de Sundance. Son œuvre y a reçu le Grand prix du jury et le Prix du public. Entretien avec Ryan Coogler.
Afrik.com : Comment êtes-vous entré en contact avec la famille d’Oscar Grant ?
Ryan Coogler : J’étudiais le cinéma quand Oscar a été tué et j’avais un ami qui était en droit. Il est également originaire de cette région de la baie de San Francisco (à l’instar d’Oscar Grant et de Ryan Coogler). À l’époque, nous avions parlé de ce drame, qui était relayé partout à travers les Etats-Unis et le monde, et qui nous avait affectés. A l’instar de beaucoup d’autres. Je lui ai expliqué que quand une situation était source de frustration pour moi, la seule manière de m’en libérer, en tant que cinéaste, était d’en faire un film. Je lui avais dit que je voulais qu’on voit les choses de l’intérieur, qu’il ne s’agirait en aucun cas de faire d’Oscar un démon ou un saint. Mais seulement de parler de l’être humain qu’il était, de ses combats, de ce qui était important pour lui et de montrer aux gens cet aspect de la situation, de leur permettre de passer du temps avec quelqu’un qu’il n’aurait jamais rencontré parce qu’ils ne sont pas issus du même milieu social. Parmi eux, certains deviendraient peut-être des policiers qui comprendraient que des personnes comme Oscar et tant d’autres sont des êtres humains comme eux, qu’ils ont une famille… J’avais confié tout cela à cet ami.
Les années ont passée, j’ai fait quelques films à l’école et lui est devenu avocat. Un jour, il a appelé pour me dire qu’il travaillait avec l’avocat qui représentait la famille Grant. Il m’a demandé si je voulais toujours faire le film dont j’avais parlé. Il m’a dit que c’était le bon moment parce qu’il pouvait me présenter à son patron, en charge du dossier au civil. J’ai rencontré ce dernier et je lui ai montré mon travail. Il m’a alors promis de me présenter à la famille quand l’affaire serait terminée. Entretemps, j’ai fait des démarches et la maison de production de Forest Whitaker m’a dit qu’elle était intéressée par le projet. J’ai donc rencontré la famille Grant, gagné leur confiance et elle a accepté de vendre les droits de cette histoire à la production. C’est comme ça que j’ai fait le film et eu accès aux proches d’Oscar Grant.
Le film a été tourné en une vingtaine de jours en juillet 2012. C’est à cela aussi que le film doit son énergie ?
Ryan Coogler : Le tournage a été rapide et très intense. Ce qui nous a aidés, c’est que tout le monde voulait faire ce film. Nous avons tourné là où les évènements retracés se sont réellement produits : dans la même prison, dans la même gare, dans le même hôpital, la même morgue… Cette énergie et la volonté de faire quelque chose de positif nous a permis de nous conformer à ce planning très serré.
Quand on regarde Fruitvale Station, on se dit, en pensant aux affaires similaires, que c’est décidément très dur d’être Noir aux Etats-Unis encore aujourd’hui. Vous êtes afro-américain et vous vivez aux Etats-Unis. Dites-nous où placer le curseur pour trouver un juste milieu entre la réalité et ce que l’on peut imaginer ?
Ryan Coogler : Etre afro-américain renvoie à des problèmes très spécifiques qui sont liées à la longue histoire des Etats-Unis. Est-ce que je pense que c’est difficile d’être Noir aux Etats-Unis ? C’est mon quotidien, c’est ma réalité, c’est toute ma vie… Je ne peux pas dire si c’est dur ou pas parce que je ne peux comparer cela à rien d’autre. Mais c’est vrai que nos combats sont spécifiques. C’est très différent d’être afro-américain aux Etats-Unis.
Fruitvale Station de Ryan Coogler, avec Michael B. Jordan, Melonie Diaz et Octavia Spencer