Nous l’avions espéré, nous l’avons eu. Alors qu’en 2009 aucun film africain n’avait eu l’opportunité d’être en compétition sur la Croisette – Min Ye de Souleymane Cissé étant présenté hors compétition – l’année 2010 fait honneur au cinéma africain en sélectionnant deux réalisateurs déjà primés dans de nombreux festivals : le tchadien Mahamet Saleh Haroun et le franco-algérien Rachid Bouchareb.
Le jeudi 15 avril 2010 s’est tenue la conférence de presse tant attendue du 63e Festival de Cannes. L’occasion pour Gilles Jacob, président du festival et Thierry Frémaux, délégué général, d’annoncer la sélection 2010. Si le jury officiel présidé par le réalisateur américain Tim Burton ne compte aucun artiste africain, la sélection officielle de film propose, elle, deux longs-métrages africains: Un homme qui crie n’est pas un ours de Mahamet Saleh Haroun et Hors-la-loi de Rachid Bouchareb.
Ils nous avaient déjà émerveillés par leurs précédents films, l’un proche des exilés, des immigrés et de l’Histoire (Little Sénégal, Indigènes, London River), l’autre s’intéressant au retour au pays, à l’absence du père et à la vengeance (Bye Bye Africa, Abouna, Daratt). Si Rachid Bouchareb et Mahamat Saleh Haroun vivent en France, il est à souligner que leur source d’inspiration provient essentiellement du continent africain. Pour l’un, filmer les immigrés et les soldats « indigènes » reflète un besoin puissant de témoigner d’une Histoire encore trop douloureuse entre la France et ses anciennes colonies (même si certains de ses films se déroulent aux États-Unis – Little Sénégal – ou en Angleterre – London River). Pour l’autre, l’un des seuls réalisateurs de longs-métrages de son pays, dépeindre la situation politique dramatique qui perdure au Tchad est un défi, sauf lorsqu’il s’essaie à la comédie (Sexe, gombo et beurre salé) qui touche avec justesse la situation d’une famille africaine vivant en France entre tradition culturelle et modernité des mœurs.
Pas de Palme d’Or pour l’Afrique depuis 1975
Pour l’un comme pour l’autre, les festivals de cinéma internationaux ont déjà déroulé le tapis rouge. Bouchareb, l’aîné, l’ancien, a permis à l’ensemble de ses acteurs (Zem, Debbouze, Naceri, Blancan, Bouajila) de décrocher le prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes 2006 avec son film Indigènes. En 2009, c’est le festival de Berlin qui récompense feu Sotigui Kouyaté, son fidèle comédien décédé la semaine dernière, d’un Ours d’argent du meilleur acteur. Haroun, le discret, le penseur, s’évertue davantage à faire jouer des comédiens inconnus, puisant dans leur vitalité pour trouver la justesse de son propos. Ainsi Daratt, saison sèche reçoit en 2006 le Prix Spécial du Jury au Festival de Venise et l’Etalon de Bronze du FESPACO en 2007. Autant de prix qui font de nos deux réalisateurs de remarquables compétiteurs pour cette 63e édition du Festival de Cannes.
Car rappelez-vous, l’Afrique n’a pas eu de Palme d’Or depuis 1975 (Chronique des années de braise de l’algérien Lakhdar Amina), soit depuis 35 ans ! Pour la décrocher cette année, encore faudra-t-il évincer les pontes du cinéma mondial en compétition, pour certains déjà primés au Festival de Cannes : le français Jean-Luc Godard, membre fondateur de la Nouvelle Vague (Film socialisme) et son compatriote Bertrand Tavernier (La princesse de Montpensier), le centenaire portugais qui réalise plus d’un long-métrage par an Manoel de Oliveira (O estranho caso de Angelica), le génie mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu (Biutiful), le poétique Abbas Kiarostami (Copie conforme), le très respecté japonais Takeshi Kitano (Outrage), le prometteur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (Long boonmee raluek chat) et le metteur en scène anglais Mike Leigh (Another year).
Un défi de plus pour nos deux réalisateurs qui, avec leurs films sur la transmission de savoirs père/fils perturbée par l’effort de guerre (Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse) et sur les massacres du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata (Hors-la-loi), vont nous tenir en haleine lors de cette 63e édition.